p r é c a u t i on très simple que
furent
évités alors, au Sassoun et à Mo u s h ,
les massacres p r épa r é s par S. M . I.
Ab d - u l - Ham i d . L ' a n dernier, le délégué
français apparut comme un l i bé r a t eu r
aux paysans de la plaine de Mo u s h .
Il semble, à en juger par les nou–
velles les plus récentes, que la venue
à Mo u s h du vice-consul anglais de
Bitlis, M . Heathcote, ait produit une
accalmie analogue : mais la situation
des provinces a r mé n i e n n e s est si criti–
que en ce moment, que cette amé l i o –
ration locale n'est pas suffisante, et que
l'activité de leurs collègues b r i t ann i –
ques ne rend pas superflue celle des
agents français. On est par exemple
toujours sans nouvelles de l'émissaire
e nvoy é par les A r mé n i e n s de Passen à
notre consul d ' Er ze r oum pour lui s i –
gnaler l'urgence de secours.
D'autre part, tous les rapports qu i
nous sont parvenus depuis quinze
jours, et qui sont certainement confir–
mé s par ceux des r e p r é s e n t a n t s officiels
des gouvernements e u r o p é e n s mon –
trent que l'état de vilayets empire, s'il
est juste d'employer un pareil e u p h é –
mi sme pour parler de pays dépeup l é s
et dévasté déjà par les grands massa–
cres de
1895-1896.
A la fin de juillet, les Kurdes de
Dersim ont pillé le village de Gu é -
lindsck et enlevé les bestiaux.
(
Rapport
d'Erzinghian
2 7
juillet.)
Dans le courant du m ê m e mo i s , la
statistique sommaire des assassinats
dans les environs de Mo u s h peut être
établie comme suit, d ' ap r è s un rap–
port du
24
juillet :
Artert (Plaine de Moush).
H i l o M i n o y a n ,
âgé de cinquante ans, a été tué pendant qu'il
trrvaillait aux champs, par le Ku r d e A h m e d
ben Guedjèmi.
Ard^ouik (District de Pernachen).
Kirké
Bedrossian a été tué par les Kurdes de la tribu
de Chègo.
Sinamerk (Plaine de Moush).
T h o m a s
Vartanian, âgé de vingt-quatre ans, a été tué
par les Kurdes R a m o , Sils, M a h m e d et Flit, d u
village Damp e l i , q u i ont en sus emporté vingt
moutons.
Ziaret (Plaine de Moush).
Les Kurdes
Adamzadé, de Bigedif, ont tué Setrak A v o y a n ,
âgé de trente ans.
Pichoud (District de Pernachen),
A g o p
Ho u v e y a n a été tué par le Ku r d e Haidar ben
C h i p o , de la tribu Balali.
Les Kurdes de la tribu Ch è g o , c i -
dessus n o mm é s , ont si fort violenté les
A r mé n i e n s de Pirechenk, que les vingt
familles du village ont émi g r é pour
sauver du moins leur vie.
A Kha r pou t
(
Rapport
du
2
août),
en l'absence du v a l i , qu i a été r é voqu é
parce q u ' i l ne ma lmena i t pas suffisam–
ment les A r mé n i e n s , le c a ï ma k a n
imagine de faire des perquisitions pour
trouver des armes. Et, en effet, i l dé –
couvre quatre vieux fusils, bons pour
la ferraille, chez Ha r ou t h i un Semerd-
jian. To u s les habitants de la maison
sont a r r ê t é s et t o r t u r é s , les femmes
non exceptées, afin de leur faire avouer
le nom des « c o n s p i r a t e u r s leurs com–
plices ». E n réalité, H . Semerdjian
favorisait l ' émi g r a t i on clandestine de
ses compatriotes. Cela suffit à le trans–
former en r é v o l u t i o n n a i r e dangereux,
et soixante autres A r mé n i e n s furent
a r r ê t é s , tous hommes fort tranquilles,
trop tranquilles. Semerdjian est devenu
e n t i è r eme n t paralytique et un autre
A r m é n i e n , T é n é k e d j i a n a perdu la
raison à la suite des tortures subies.
Toute cette affaire a été ma c h i n é e par
le c a ï ma k am , le commissaire de police,
le h a k i m (juge religieux) et le chef
comptable de Kha r pou t , en l'absence
du vali Reouf-bey, qu i r é p r ouv a i t de
semblables pratiques, et a été depuis
lors r é voqu é et r emp l a c é par un fonc–
tionnaire plus hami d i en .
P r è s de Segherd
(
Rapport de Bitlis,
4
août),
le
18
juillet, le chef Mo u h am-
med A l i Agh a , du village d ' E r o um ,
s'en vient à Deh , afin de percevoir les
d î me s . Il loge chez le Ku r de Ch e i k h
Hassan. A u bout de quatre jours, grand
tumulte. Mouh amme d A l i Agh a p r é t end
que deux fusils ont été volés à ses
homme s ; arrestation de vingt A r mé -
nsens, menaces d'incendier le village.
Pou r donner plus d ' a u t o r i t é à ses
paroles, cet honorable serviteur d ' Ha -
mi d Effendi fait venir une colonne
nombreuse de sa t r i bu . Ap r è s e nqu ê t e ,
le c a ï ma k am est obligé de r e c o n n a î t r e
que les deux fusils ont été volés par les
propres fils du che i kh Hassan; mais le
chef kurde ne veut point d émo r d r e que
les voleurs ne soient a r mé n i e n s , bien
que le c a ï ma k a n l u i offre, outre deux
autres fusils et deux sabres, une r a n ç o n
de trente-cinq livres prélevée sur les
A r mé n i e n s innocents. Le
23
juillet,
pour parfaire le ma l heur des A r mé –
niens, qu i avaient r é c l amé a u p r è s du
gouverneur de Segherd, celui-ci leur
envoie le chef de la gendarmerie et
force zaptiehs, plus des troupes, le
tout à nou r r i r , ainsi que les Kurdes
ma n d é s par Mouh amme d A l i Ag h a .
A N i s i b i n
(
Rapport
de
Diarbékir,
5
août)
N i s i b i n , c'est l'ancienne
Nisibe que les Grecs nommaient A u -
thenmousai, à cause de la beauté des
fleurs — les Kurdes des villahes T i r -
l ak i n , Bou r an , Bilerize et Saika, for–
ment une bande d'environ cinquante
hommes et marchent sur le village
a r mé n i e n . Ils exigent une somme de
cinq mille piastres, sinon ils d é t r u i r o n t
le village. Ils prennent d'abord des
otages qu'ils gardent pieds et poings
liés. Quelques A r mé n i e n s vont se plain–
dre à Di a b é k i r , d'autres à Séverek,
aussi vainement : les Kurdes ont exé–
cuté leur menace; les maisons, les
champs, les vignes, ont été d é t r u i t s , et
la « ville des fleurs » est un monceau
de ruines et si le ma r é c h a l de Moltke,
officier à la solde du sultan Ma hmoud
lors de la guerre t u r c o - é g y p t i e n n e , n'y
retrouverait plus « le petit bois de
grenadiers d om i n é par des noyers et
des abricotiers magnifiques » où il
campait en juin
1
83
g, avant la défaite
de l ' a rmé e ottomane.
C'est là une faible partie des faits que
Francis de P r e s s en s é pourra apporter à
la tribune f r a n ç a i s e , sans c r a i ndr e ,
plus que Gustave Rouanet, voilà deux
ans, qu'aucune de ses allégations soit
d éme n t i e . Le ministre qu i l u i r é p o n d r a
en c o n n a î t la parfaite exactitude.
L a répétition obstinée d ' é v é n eme n t s
presque identiques en leur sanglante
monotonie, forcera bien un jour ceux
qui ne veulent rien entendre à quitter
leur suberbe indifférence. Il n'est pas,
contre l'inertie des hommes en puis–
sance d'agir, de plus terrible accusation
que le retour pe r pé t ue l des pillages, des
tueries et des massaces. Ils y obvieraient
en quelques semaines, s'ils voulaient.
Ils ne veulent pas, par on ne sait
quelle crainte mauvaise d'être traités
de r êveu r s et d'humanitaires; i l leur
pa r a î t plus honorable de mé r i t e r qu'on
leur reproche d'être, sans aucun i mo–
tif raisonnable, les complices d'un as–
sassin.
Pierre
Q U I L L A R D .
P.-S. — L'attentat contre un vice-consul
américain, à Beyrouth, ville cosmopolite et
presque européenne, est un signe manifeste
de l'état général créé dans l'empire turc par
le régime européen. Nous avions signalé
récemment que l'insécurité était aussi
grande en Syrie que dans toutes les autres
Fonds A.R.A.M