DOCUMENTS
Correspondance diplomatique sur les
affaires de Zeïtoun (Octobre 1895-
Avril 1896).
(
Livre Jaune de 1897).
N°
64 .
M . P .
C A M B O N ,
Ambassadeur de la Ré–
publique française à Constantinople,
à M .
B A R T H É L É M Y ,
Gé r a n t du C o n –
sulat de France à Alep :
Péra, le
23
octobre
i8g5.
Renseignez-moi sur ce qui se passe à Zeï–
toun et Hadjin où les Arméniens se seraient
dit-on, soulevés. Employez-vous dans la
mesure du possible à calmer les esprits en
annonçant que le Sultan a adopté le projet
de réformes conseillé par les Ambassadeurs
de France, de Russie et d'Angleterre. Ces
réformes sont applicables aux Cazas de
Hadjin et de Zeïtoun.
P. C A M B O N .
N " 65.
M .
B A R T H É L É M Y ,
Gé r a n t du Consulat
de France à Al ep , à M . P .
C A M B O N ,
Ambassadeur de la Ré p u b l i q u e fran–
çaise à Constantinople :
Alep, le
26
octobre
1895.
Le soulèvement de Zeïtoun et de Hadjin
n'a pas éclaté, mais est imminent et s'éten–
dra jusqu'à Souédié.
20.000
Arméniens
armés, équipés, bien encadrés, y prendront
part. La cause du mécontentement est la
circulaire de Kiamil Pacha aux Caïmakans
démentant la concession des réformes aux
Arméniens. Un chef de parti m'a promis
d'arrêter le mouvement pour un mois.
Les desiderata des Arméniens sont :
i° Que des réformes soient étendues à
toute la Cilicie, aux environs d'Antioche et
à Souédié ;
2
0
Que la Commission de contrôle com–
prenne en outre un délégué de chacune des
trois Puissances, et que le Haut Commis–
saire ne soit pas ottoman.
Dansun mois, ils entreront en campagne
espérant en avoir fini avant l'hiver.
B A R T H É L É MY .
N° 66.
M .
S U M M A R I P A ,
Vi c e -Con s u l de France
à Mersine, à M . P .
C A M B O N ,
Amba s –
sadeur de la Ré p u b l i q u e française à
Constantinople :
Mersine, le u décembre
1895.
J'ai eu des détails circonstanciés sur les
événements de Chahar-Déressi près de
Hadjin. Les habitants de ce village, se
voyant menacés par des Circassiens et Kur–
des, avaient fait part de leur craintes au
Caïmakan de Hadjin ; i l les traita de chi–
mériques. Il disposait pourtant de soldats
pouvant les protéger. Les gens de Chabar
furent attaqués et dépouillés comme ils
l'avaient prévu et réduits à se réfugier à
Hadjin où ils furent brutalement reçus par
le même Caïmakan.
Le sort de Hadjin, d'autre part, inspire
lui-même des inquiétudes. Cette ville est
gardée au dehors par
750
hommes qui
construisent des batteries contre la ville. Les
habitants tenus en état de siège ne peuvent
sortir au dehors pour les travaux des
champs. Un conflit avec les troupes est
imminent, et i l faut avouer que l'autorité
fait ce qu'elle peut pour l'amener.
Il est triste de penser que l'armée régu–
lière, qui devrait coopérer à la pacification
du pays, est la première à entretenir les
troubles.
En ce qui concerne la question de Zeï–
toun, je me borne à transmettre ci-joint à
Votre Excellence la traduction littérale
d'une lettre qui m'a été adressée par un des
Arméniens qui s'y trouvent.
Ces gens, menacés de la famine, ont
respecté des soldats turcs prisonniers et les
nourrissent pendant que les soldats exer–
cent sur leurs compatriotes les violences du
fanatisme musulman. Dans l'intérêt même
de la pacification de toute cette contrée dé–
solée, il est à souhaiter que l'Europe entende
leur cri de détresse et, en leur faisant dé–
poser les armes, les garantisse de représailles
qu'ils craignent, comme tous leurs frères
d'Asie-Mineure.
S UMMA R I P A .
A N N E X E A L A D É P Ê C H E
D U VICE-CONSUL D E F R A N C E A ME R S I N E
DU 15
D É C EMB R E
1895.
Lettre d'un Arménien de Zeïtoun au Vice-
Consul de France à Mersine.
Zeïtoun, le 27/8 novembre 1895.
T RADUC T I ON
Le 15 octobre, dimanche. 500 soldats
réguliers, accompagnés d'une bande tur–
que de Bachibozouks, attaquent le village
Arabal et commencent à combattre. Les
Arméniens, remarquant que le nombre des
soldats augmentait pour les massacrer,
s'arment de courage et de bravoure, dans
la crainte d'une mort horrible qui les at–
tend, et le 16 courant, lundi matin, blo–
quent la caserne, combattent continuelle–
ment soixante heures; à la fin les Turcs se
sentant incapables de continuer une guerre
qui leur serait favorable, soldats et offi–
ciers se rendent aux Arméniens et leur
consignent les munitions et la caserne.
A présent, nous respectons humaine–
ment les soldats qui sont en esclavage à
Zeïtoun et nous n'épargnons aucune bien–
veillance pour leur tranquillité.
Le gouvernement, après avoir ramassé
7.800
soldats de réserve (rédifs) et une
bande de Bachibozouks turcs a formé des
bataillons au bord du Djehan, à quatre
heures de distance de Zeïtoun, et i l conti–
nue de les augmenter de jour en jour; i l
parait que sous peu i l a l'intention de for–
mer une forte'armée pour exterminer les
Arméniens avec des cruautés inouïes, sans
pareilles et monstrueuses. Outre cela, les
Circassiens et les Bachibozouks turcs at–
taquent les Arméniens des villages envi–
ronnants, et ils dépouillent et gaspillent
leurs biens et les massacrent; les cris dé–
plorables de ces Arméniens agonisants
nous arrivent lamentablement et nous
crient: « Secours, secours et vengeance! »
contre les atrocités d'une nation barbare.
Hier les Circassiens, unis aux bandes des
Bachibozouks et des Archares, ont atta–
qués plusieurs villages arméniens, pillé le
bien, les céréales et les bestiaux de ces
pauvres gens, violé leurs femmes, filles et
enfants, et ils ont brûlé leurs maisons. Ne
se contentant pas de tous ces pillages et
d'infernales boucheries, ayant égorgé les
hommes, ils ont amené chez eux leurs
femmes et leurs filles; là, les menaçant de
mort, les ont forcées à se convertir; enfin
tous les villages arméniens qui se trou–
vent dans la plaine de Gaugissou et aux
environs sont devenus des abattoirs, for–
mant des lacs du sang des chrétiens et des
innocents. Tous les villageois arméniens
et turcs se massacrent les uns les autres;
en effet les pauvres braves Arméniens na–
tifs de Zeïtoun ayant toujours les armes à
la main jour el nuit, sans prendre aucun
repos, accourent à l'aide de leurs frères
opprimés; mais lesquels secourir? Ré–
sister à un grand régiment ennemi, qui est
prêt à les engloutir, ou aider ses frères
menacés de tortures implacables par une
bandes d'assassins?
Il nous est impossible de raconter en
détail les horribles cruautés et les infer–
nales violences qui ont été commises à
Ephésos.
Nous croyons qu'un accord quelconque
entre nous et le Gouvernement est impos–
sible désormais; notre habitation, notre
demeure ont pris la forme d'une place
d'armes.
Nous croyons que ce sera la dernière
nouvelle que vous aurez de nous; nous
craignons que cetle seule requête même
ne. nous arrive pas. Notre vie et notre fin
sont décidées désormais; Monsieur le
Consul, nous n'avons que Dieu aux cieux
et votre haute protection sur la terre.
L'assurance de notre vie, honneur et
biens dépendent des mesures et des inter–
ventions immédiates et efficaces que vous
voudrez bien prendre pour la délivrance
d'une nation qui est tout près de sa fin, si
elle n'est pas aidée et secourue par des
grandes puissances, dont vous représentez
l'une des plus magnanimes et généreuses,
laquelle, depuis des siècles, n'a cherché
son intérêt qu'en aidant le faible contre le
fort, l'opprimé contre le tyran, le chrétien
contre des non-civilisés barbares qui sont
sans âme, conscience et principe, qui sont
une tache pour le x i x
e
siècle, siècle de c i –
vilisation, d'industrie et de science.
Monsieur le Consul, toute une nation
vous implore à genoux pour la délivrance
de ses innocents enfants.
Secours, secours! Assistance!
(
A suivre.)
Le Secrétaire-Gérant
:
J E A N LONGUET.-
Fonds A.R.A.M