LA QUINZAINE
Intervention nécessaire
E n 1901, a p r è s de vaines tentatives
pour attirer les Sassouniotes dans la
plaine de Mo u s h o ù ils eussent é t é plus
a i s éme n t ma s s a c r é s , le gouvernement
turc s'avisa de construire des casernes
à Chenik, à Guellieh-Guzan, à Ta l o r i .
Les Sassouniotes e s t imè r e n t le p r é s e n t
dangereux et leurs femmes c h a s s è r e n t
à coups de pierre les architectes et les
ma ç o n s du gouvernement. Le s Ku r de s
et les troupes r é gu l i è r e s firent payer
cher aux gens de la plaine la r é s i s t a n c e
des montagnards; et en 1902on dé c i da
d'en finir avec les o b s t i n é s villageois.
De grands mouvements de troupes
furent s i g n a l é s ; les achirets kurdes
partirent pour leurs campements d'été,
sans emmener les femmes : tout é t a i t
prêt pour un massacre; mais le projet
hamidien fut connu à temps en Eu r ope ;
en France p a r t i c u l i è r eme n t , des parle–
mentaires de tous les partis s ' ému r e n t :
ils obtinrent du ministre l'envoi d'un
agent consulaire qui fut accueilli comme
un sauveur par les A r mé n i e n s . E t cette
année là, on ne tua pas plus outre.
L a situation aujourd'hui est exacte–
ment la même que l'an dernier, pire
p e u t - ê t r e . Toutes les alarmes qu'avaient
fait na î t r e le voyage du chef Hussein
pacha à Constantinople sont justifiées
par les faits les plus r é c e n t s . De la
frontière russe à De r s im et de D i a r b é –
kir à Ritlis, des signes certains annon–
cent les tueries prochaines : Zekh i
pacha, commandant du 4
e
corps d'ar–
mé e , le hideux é g o r g e u r de Guellieh-
Guzan est toujours à son poste, tout
d i s po s é à user de l ' expé r i enc e acquise
ouveaux exploits et p r é c i s é –
ment à p r o x imi t é de sa r é s i d e n c e , les
Kurdes p r o c è d e n t s y s t éma t i q u eme n t à
leur ordinaire besogne.
On a l u dans la lettre d ' Er z i ngh i an
comment Témi r agha terrorise la r é g i on
de Kema kh dans la haute vallée de
l'Euphrate, au nord des montagnes qu i
closent le district de De r s im. P o s t é –
rieurement à cette lettre, une d é p ê c h e
du
Times
(16
juillet), e nvoy é e de Cons–
tantinople, a n n o n ç a i t que le couvent de
Sourp Ag o p avait été pillé par les
Kurdes. U n rapport d ' Er z i ngh i an en
date du 4 juillet, certainement connu
des ambassades e u r o p é e n n e s porte en
effet que :
Les Kurdes de Dersim ont pillé le
3
juillet le monastère
d'Ekrek,
Sourp
Agop; le bétail et tous les biens meubles
ont élé enlevés. L'Arménien
Haggouni
Vartanian a été grièvement
blessé. Tous
les villages et monastères
des environs
sont en danger. Les plaintes de l'évêque
n'ont eu aucun effet.
Elles n'en pouvaient avoir : Ham i d
ne veut pas d é s a v o u e r les e x é c u t e u r s
de ses vo l on t é s et si par hasard le mu –
t é s s a r i f de Khozat se permet de mander
chez l u i les chefs Ku r de s , ceux-ci s'en
vont à Kha r pou t chez le v a l i ; et les
distributions d'armes aux Kurdes con–
tinuent et l'angoisse des A rmé n i e n s
augmente.
(
Rapport du 21 juin.)
Ma i s c'est à Mou s h et Sassoun sur–
tout que le danger est imminent. Comme
les a n n é e s p r é c é d e n t e s , les troupes
turques et les tribus kurdes sont assem–
b l é e s dans la plaine de Mo u s h , dans
un double but : emp ê c h e r le» Sa s sou –
niotes de venir au secours des A r mé –
niens du plat pays, d é t r u i r e ensuite ce
qui subsiste des villages sassouniotes.
Car même à Sassoun, la force de r é s i s –
tance a d imi nu é : les vexations kurdes
et la connivence administrative o b l i –
gent les A rmé n i e n s à l ' émi g r a t i on .
D ' a p r è s un rapport de Mou s h ( l
o r
j u i l l e t ) :
Le nombre actuel des A rméniens est
un vingtième de ce qu'il était il y a
dix ans. Sur 50 familles, il en restait
17
à Agrak; elles viennent d'abandon–
ner leurs maisons et leurs terres, Ghi-
zank et Tachdalen sont entièrement
dé–
peuplés.
Les Kurdes Bilikli
occupent
les propriétés
arméniennes
de ces vil–
lages et celles du couvent de Sourp
Aghpèr
'
iK.
L e 14 luillet, le patriarche Ormanian
s'est rendu au Palais, apparement pour
y porter ses plaintes. I l a é t é r e çu par
le premier s e c r é t a i r e Tahs im- bey . Ce –
l u i - c i l u i r é p o n d i t sans doute par des
menaces ou par l ' é n umé r a t i o n des bien–
faits r é c e n t s de Sa Ma j e s t é à l ' éga r d
des A rmé n i e n s . Ne venait-on pas p r é –
c i s éme n t de recevoir au Pa l a i s une
d é p ê c h e de Djevad bey, vali d ' Ango r a ,
qui « prend les mesures n é c e s s a i r e s pour
le r e l è v eme n t de l'agriculture dans le
casa de Tcho r oum et se p r é p a r e à v i s i –
ter celui d'Osmandjik » ?
Quelques jours auparavant, S. M . I.
«
avait s a n c t i o n n é les d é c i s i on s prises
en Conseil des ministres, relativement
à la r é o r g a n i s a t i o n du service de la
gendarmerie dans les vilayets de Va n ,
Ri t l i s , Er ze r oum. » L e premier s e c r é –
taire pouvait m ê m e annoncer qu'un
bataillon de gendarmerie mo n t é e allait
ê t r e formé à Ritlis et qu'il se compo–
serait de trois d é t a c h eme n t s ayant cha–
cun un effectif de 66 hommes. A moins
d'avoir sur les gendarmes turcs la mau–
vaise opinion de M . De l c a s s é et des
A rmé n i e n s e u x - même s , le Patriarche
était forcé de r e c o n n a î t r e que le Sultan
est plein de sollicitude pour son cher
peuple de Ritlis.
Quant aux Kurdes, pilleurs de cou–
vents et rebelles aux fonctionnaires i m –
p é r i a ux , le patriarche eut la primeur des
communications e n v o y é e s à la presse
d'Europe :
L e mutéssarif de Dersim a été révoqué.
L e vali de Kharpout est remplacé par S. E .
Fuad-bey, sous-secrétaire d'Etat au ministère
de l'Intérieur qui s'est rendu le 9 juillet, au
Palais impérial pour d é p o s e r au pied du
trône l'expression de ses sentiments de pro–
fonde reconnaissance pour la confiance que
Sa Majesté lui a témoignée en l'appelant à
ce poste important.
Reste la question de Sassoun ; l à - de s –
sus encore le s e c r é t a i r e put faire con–
n a î t r e au Patriarche le mensonge offi–
ciel qui fut t é l é g r a p h i é aux journaux
e u r o p é e n s seulement huit jours plus
tard :
L a Porte a été informée que trois villages
a rmé n i e n s ont été a b a n d o n n é s par leurs ha–
bitants, sur les instances d'agitateurs qui les
ont avertis de se retirer dans les montagnes
parce que des troubles étaient imminents.
Des troupes ont été envoyées dans les loca–
lités inquiétées afin de rassurer les habitants
et de leur accorder leur protection.
Le s même s mensonges ont été c om–
mu n i q u é s sans vergogne aux gouver–
nements d ' Europe . Ceux-ci savent
qu'ils doivent ê t r e i n t e r p r é t é s comme
la confirmation des faits a l l é g u é s . J a –
mais l'Assassin n'avoue formellement:
il transpose la vérité, mais ne se donne
pas la peine d'imaginerdes formules non
emp l o y é e s encore. Il fait resservir pour
Sassoun, en 1903, les arguments qu ' i l
emploie depuis sept ans ; s i , en 1894,
Zekh i Pacha y massacra quelques m i l -
l i e r sd ' hommes , c'était pour les défendre
contre les r é vo l u t i onn a i r e s et en vertu
du même principe Sa Majesté elle-
m ê m e a d é t r u i t trois cent mille A r mé –
niens.
Il n ' y a pas en Eu r ope un seul m i –
nistre des affaires é t r a n g è r e s qui puisse
ajouter c r é a n c e à la p h r a s é o l o g i e ha–
midienne, le ministre français moins
Fonds A.R.A.M