qu'aujourd'hui sous une forme lente et
secrète. De nombreux villages a rmé n i e n s ,
qui, dans le courant de ces dix d e r n i è r e s an–
nées, se sont c omp l è t eme n t vidés d ' A r mé –
niens et sont aujourd'hui h a b i t é s unique–
ment par des Turcs, gardent seulement leurs
noms a rmé n i e n s , tels :
Vanke,
Sourp Ohan,
Hintz,
Am r a k om ,
Tzarss,
Sanamer ;
Sont h a b i t é s en partie par les Turcs, les
villages suivants :
Tzantzagh,
Thorthan,
Badijvan,
Hertév ;
Sont h a b i t é s en partie par les Kurdes, les
villages de :
Khossrovavan,
Khatchlou,
Harssnikar,
Tavontz.
L a plus grande partie de ces villages sont
h a b i t é s soit par des Turcs émi g r é s de Russie
soit par des Kurdes, qui, e n c o u r a g é s par le
gouvernement, repoussent continuellement
les A rmé n i e n s vers les villages de la plaine;
les Kurdes de Tchamaltan, émi g r é s de Rus–
sie prennent vite possession des parties
montagneuses du pays. L e commandant
h ami d i é des Kurdes de Tchamaltan, qui
était venu s'établir dans les maisons des
15
A rmé n i e n s émi g r é s du village de Khos–
srovavan, a tellement o p p r i mé la population
turque et a rmé n i e n n e , par ses vexations et
ses pillages, que Turcs et A rmé n i e n s ont
d ema n d é au gouvernement ou bien d'éloi–
gner du village ce commandant militaire qui
est un bandit ou de leur permettre d'émigrer
ailleurs. L e gouvernement a envoyé Husséïne
Pacha, commandant h ami d i é qui a promis
d'éloigner le coupable du village a r mé n i e n .
Cette population mixte de Kurdes et de
Turcs joue aussi le rôle de surveillants et
de mouchards sur les A rmé n i e n s ; tout Kurde
ou Tu r c peut indiquer au gouvernement le
premier Armé n i e n qu'il rencontre comme
un révolutionnaire ou suspect; aussitôt la
prison, les tortures, les coups sont vite p r é –
parés. E n outre, l a plus grande partie des
terres du village sont entre les mains des
aghas turcs et kurdes; les A rmé n i e n s en
majorité, ou bien ne p o s s è d e n t pas des terres
suffisantes indispensables pour une classe
qui est d é p o u r v u e de tous les autres moyens
de vie, ou bien ne sont que de simples
serviteurs chez des aghas turcs ou kurdes ou
chez des beys. Ce sont les A rmé n i e n s qui
avec leurs bestiaux ensemencent en grande
partie les terres et les champs des aghas et
des beys qui les font travailler par force.
Mais ce n'est pas encore là tout; un autre
fléau pour les Armé n i e n s , c'est que dans beau–
coup de villages a rmé n i e n s , après les évé–
nements, sont venus s'établir grand nombre
de soldats et p a r t i c u l i è r eme n t dans les v i l –
lages qui pendant les pillages ont fait preuve
d'une résistance extraordinaire contre quel–
ques milliers de Kurdes.
Délibaba est l'un de ces derniers villages,
à une distance de 2 ou 3 heures des frontières,
qui avec 50 ou 60 personnes, a pu tenir tête
contre 2,000 Kurdes et é c h a p p e r ainsi au
pillage. Le gouvernement, c o n s i d é r a n t ce
village comme un nid de révolutionnaires, y
a établi pour toujours un bataillon de sol–
dats, dont 80 à 100 r é s i d e n t dans le village,
et les autres sont dispersés dans les villages
de Alihakragh, Todi, Djirasson, etc. Outre
les soldats, à Délibaba sont aussi établis des
Zaptiés et deux agents de police; le village
est soumis à une é t r o i t e surveillance. Des
gardes se tiennent, jour et nuit, des quatre
côtés du village. Aucun des paysans n'a le
droit de circuler sans le permis du comman–
dant; les é t r a n g e r s qui viennent du dehors
sont toujours soumis à l'interrogatoire; un
des trois mouchards du village doit surveiller
les faits et gestes du nouveau venu, et ap–
prendre qui i l fréquente et le sujet de sa
conversation. S i un h ô t e arrive chez un
paysan, celui-ci doit i mmé d i a t eme n t en p r é –
venir le commandant.
Les soldats ont le droit de visiter la nuit
les maisons des A rmé n i e n s pour voir s'ils y
trouvent des é t r a n g e r s . Ce droit des soldats
est devenu la source de tant d'infamies que
chaque paysan ne peut s'empêcher de verser
des larmes en les racontant. D'après l'aveu
même des paysans, i l n'y a pas de fille ou de
jeune femme au village, qui ne soit d é s h o –
norée par les soldats. Ceux-ci entrent de
nuit dans les maisons, réveillent le proprié–
taire et l u i commandent de leur servir du
thé, de la nourriture et des boissons spiri-
tueuses (malheur au paysan qui n'a pas le
moyen de p r é p a r e r les plats c omma n d é s ) ,
et ensuite trouvant un prétexte ils invitent
les hommes à sortir
De plus, outre ces vexations établies depuis
longtemps, on a eu recours, au printemps de
l'année courante à des mesures extraordi–
naires. L e gouvernement é p o u v a n t é par le
mouvement ma c é d o n i e n , et conduit par les
racontars de l a foule a n n o n ç a n t que les
fédaïs, avec quelques milliers de cavaliers
devaient attaquer les musulmans et les mas–
sacrer, a doublé le nombre des soldats sur
la frontière et a établi des garnisons de sol–
dats dans les villages de Hertev et Tzantzagh
où i l n'y avait pas eu de soldats jusque-là.
E n même temps a u gme n t è r e n t les violences
et les vexations déjà commises.
De r n i è r eme n t , les brigands
hamidiés
voyant qu'il ne restait plus rien à piller et à
emporter chez les paysans a r mé n i e n s réduits
à la misère, et e n c o u r a g é s par le silence du
gouvernement vis-à-vis des méfaits des
Kurdes, ont c omme n c é à exercer aussi leurs
violences sur la population turque paisible.
Les pillages ont pris de telles proportions
que les Turcs ne pouvant plus tolérer ces
vexations, se réunirent, environ 60 villages,
et p r o t e s t è r e n t plusieurs fois par d é p ê c h e à
Zeki pacha, commandant du 4« corps d'ar–
mée à Erzinghian, ainsi qu'au ministre de la
guerre.
L a c o n s é q u e n c e en fut que le gouverne–
ment qui cherchait une occasion, envoya
des cavaliers par tous les villages soi-disant
pour emp ê c h e r les Kurdes des montagnes de
nuire à la population.
Les cavaliers ont enlevé, pour la forme,
quelques armes aux Kurdes r e n c o n t r é s ; ce
qui produisit un fort mé c o n t e n t eme n t sourd
parmi les Kurdes. L a plupart des chefs kur–
des me n a c è r e n t de s'unir aux fédaïs, d'au–
tres de partir pour l aRussie et d'autres
enfin de quitter les rangs h ami d i é s . Grâce à
l'émotion produite dans les esprits, l'inten–
tion secrète du gouvernement fut dévoilée;
les officiers des cavaliers dispersés dans les
villages avaient avoué à plusieurs Kurdes
qu'ils avaient été r é e l l eme n t d é s i g n é s pour
surveiller les Armé n i e n s , que la plainte des
Turcs n'était qu'un simple prétexte et que
si l'on avait enlevé quelques armes aux
Kurdes ce n'était là qu'une mesure de trom–
perie. En effet, tous les soldats, qui devaient
parcourir les montagnes pour épier les
Kurdes, vinrent de nouveau se mettre à la
charge des villages a r mé n i e n s qui devaient
les entretenir. Tout malheureux Arménien
r e n c o n t r é par eux sur le chemin est soumis
à un interrogatoire, s'il est considéré comme
suspect, i l doit leur graisser la patte large–
ment comme prix de sa liberté. Voici d'ail–
leurs une preuve frappante des vexations
de ces cavaliers. P r è s du village de Uzvéran,
ils rencontrent des jeunes gens de 14 à
15
ans du même village d'où ils étaient
partis pour apporter de la neige de la mon–
tagne voisine. Les soldats les a r r ê t e n t comme
suspects, les r amè n e n t au village en les
rouant de coups et ils ne les relâchent que
lorsque les paysans et les zaptiés attestent
qu'ils habitent le village. Il est s é v è r eme n t
o r d o n n é à tous les A rmé n i e n s de ne pas
s'éloigner du village a p r è s 8 heures du soir;
il faut avoir un permis spécial des soldats
de chaque village pour aller à un village voi–
sin. Sans ce permis celui qui ne rentre pas
à son village pendant 4 ou 5 jours, est immé–
diatement a r r ê t é comme suspect de vouloir
s'enfuir en Russie ou de s'inscrire comme
fédaï. Dans quelques maisons des villages
de Hé k é b a d et Eghan des perquisitions furent
faites qui ne d o n n è r e n t aucun résultat, mais
on arrêta le maître d'école du village, Sar-
kiss, qu i fut emp r i s o n n é ; i l était seulement
accusé de p o s s é d e r quelques livres français
et d'être maître d'école ; cela suffisait déjà
t
pour faire de l u i un chef révolutionnaire ou
un chef « comitadji ».
De r n i è r eme n t ont c omme n c é à circuler
dans les villages a r mé n i e n s dePassen des
mouchards turcs, qui proposent aux A r mé –
niens de les accompagner jusqu'en Russie
s'ils le d é s i r e n t ; ceux qui les é c o u t e n t sans
méfiance sont d é n o n c é s et arrêtés en che–
min et d'autres surveillés comme suspects.
On dit que le commissaire principal d'Er–
zeroum est l'instigateur de ces machina–
tions.
L I R E :
DIE I N P OKMA r i ON
Editeur et Rédacteur :
Josef GRAF
Vienne, Piaristengasse, 26
Fonds A.R.A.M