T RO I S I ÈME A N N É E .
N° 66.
Le N u m é r o :
30
centimes.
A O Û T 1903
Pro Armenia
Rédacteur
en Chef i
Pierre QUILLARD
Adresser tout
ce qui concerne l a Direction
à M . Pierre Q U I L L A R D
LO, Rue USTollet, Pari».
ABONNEMENTS :
France
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Etranger
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Paraissant le I
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et le i5 de chaque mois
COMITÉ DE RÉDACTION :
G . Clemenceau, Anatole France, Jean Jaurès
Francis de Pressensé, E. de Roberry
Secrétaire de r é d a c t i o n t
Jean LONGUET
ADMINISTRATION '.
Rue
Monsieur-le-Prince. l O
P A R I S (6«)
A B O N N E M E N T S :
France
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E t r a n g e r . . . . . . .
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IM*0 ^ U . M I E J X I
^ K e . v f
en pente :
à,
l'Administration rue Monsieur-le-Prince, 10, PARIS (VI
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)
et. dans les principaux kiosques et librairies.
S O M M A I R E : :
Pillages et craintes de massacres: Lettres d'Erzinghian
et de Passen. — L a Quinzaine : Intervention néces–
saire (PIERRE QUILLARD).
Le s responsabilités de
l'Europe en Orient (GEORGES GAULIS), d'après
La
Renaissance
Latine.
Le mouvement p r o a r m é n i e n .
Nouvelles d'Orient : L a russification au Caucase ; E n
Macédoine; E n S y r i e ; Trésor vide ; L a maladie d u
Sultan ; L a marine turque ; L'aventure de Tahir-bey ;
Cadeaux hamidiens ( P . Q.). —Variétés : Les A r m é –
niens et les Européens à Tabriz (A. L ) , d'après les
Hamburger
Nûchrichtm.
Documents : Corres–
pondance diplomatique sur les affaires de Zeïtoun
(
octobre 1895-avril 1896)
(
Livre jaune de
i8gj).
P i l l a g e s e t c r a i n t e s d e ma s s a c r e s
Lettres d'Erzinghian et de Passen
L E T T R E D'ERZINGHIAN
3
j u i n 1903.
Le gouvernent snt, qui avait cessé d'agir
ouvertement pour un moment, s'est remis à
l'œuvre maintenant. Vous savez déjà que la
*
perception d ' impô t s était conliée à des gens
farouches qui se sont reposés tout l'hiver, et
au printemps, comme des bêtes féroces se
sont dirigés, o ù ? Vers la maison du ghiaour,
pour percevoir les impôts, provision né –
cessaire pour l'hiver.
Les pauvres paysans doivent les recevoir,
les entretenir, et leur mettre dans les mains
l'argent g a g n é par l a sueur de leurs frères
qui travaillent à l'étranger. Les paysans qui
n'ont pas de frères ou de pères à l'étranger
sont obligés de vendre leurs biens, pour
payer les i mp ô t s .
De r n i è r eme n t le célèbre chef de brigand,
Témir, a c omme n c é à exercer ses ravages
dans les villages de Kéma k h ; i l y est encou–
ragé s e c r è t eme n t par le gouvernement.
Le couvent de « Avank-Vank », qui est
bâti sur de hautes montagnes, fut victime
des ravages du chef brigand, Témi r . Celui-ci
s'en va avec une dizaine de ses hommes,
cerner le susdit couvent dont les habitants
étaient absents, se trouvant occupés dans
les champs. Les Kurdes attaquent le cou–
vent, pillent tout ce qu'ils trouvent, s ème n t
partout l a terreur et s'éloignent. Chemin
faisant, i l s s'emparent du troupeau d'un
berger ; le bey kurde confie le butin et le
troupeau à 7 de ses hommes qui s'éloignent,
et, avec les 3 autres, i l se dirige vers le v i l –
lage de Gharni,*où se trouvait le s u p é r i e u r
du couvent, Kalousste Prokhoronian qu i
ignorait c omp l è t eme n t le malheur qu i le
frappait. T ém i r bey va trouver Kalousste
agha avec qui i l s'entretient, i l prend un
café avec l u i . I l l u i demande ensuite de
l'accompagner j u s q u ' à l'église de Sourp
Thoross, prétextant qu'il avait quelque chose
de secret à l u i dire. Kalousste agha obéit. A
peine s'étaient-ils éloignés quelque peu du
village, que le bey et ses trois camarades tom–
bent, épée nue, sur Kalousste agha et après
lui avoir d o n n é plusieurs coups d'épée, l u i
font sauter la cervelle avec quelques balles et
mettent fin à la vie de cet homme s i re–
gretté. T ém i r bey a fait courir le bruit qu'il
exercera, successivement, ses ravages sur
tous les villages a r mé n i e n s .
L E T T R E DE PASSEN
igo3.
Passen est un des districts de l'Arménie
turque qui ont eu le plus à souffrir pendant
les é v é n eme n t s sanglants et. un de ceux sur
lesquels pèse le plus lourdement le r é g ime
turc dans toute son horreur. C'est un pays
plat, e n v i r o n n é de tribus kurdes montagnar–
des, pays où p r é d om i n e l'élément turc ;
aussi, dans aucun district, l a population ar–
mé n i e n n e n'est-elle peut-être aussi humiliée
et aussi d é p r imé e que dans celui de Passen.
Comme ce district se trouve sous l'autorité
i mmé d i a t e du vali d'Erzeroum et est situé
sur la frontière russe, les s o u p ç o n s et les s é –
vérités du gouvernement s'y sont d o n n é libre
cours depuis le jour où ont c omme n c é les
pillages o r g a n i s é s . Passen se trouve sur la
route qui conduit d'Erzeroum à la Russie et
à Alaschgerd, et sur les routes postales con–
duisant à Bayazid et à Va n ; grâce à ces
routes, les soldats turcs fréquentent conti–
nuellement Passen et sont devenus un fléau
pour la population. Des coups, des insultes,
des injures, des corvées de tout genre y pas–
sent pour des faits courants.
A u printemps, deux officiers turcs arrivent
de Ha s s a n - Kh a l é au village de Uzvéran, pour
soccuper de l'enrôlement dans les villages
turcs. A u moment du d é p a r t du village, l'un
des officiers réclame un cheval aux paysans;
son collègue, un jeune homme ayant nou–
vellement achevé ses é t u d e s , s'oppose à cette
r é c l ama t i o n , et ils s'en vont en se disputant;
l'un continue son chemin sur le cheval d'un
paysan, et l'autre, le jeune officier, retourne
à Hassan-Khali.
A u printemps, pendant les semences, ar–
rive au môme susdit village, le percepteur,
pour emporter en ville la d î me du blé mois–
sonné en automne ; i l s'empare par force
des chariots des paysans sur lesquels i l
charge son b l é . Outre ces vexations qu i
sont devenues des faits ordinaires et cou –
rants, lesmesures exceptionnelles et les
s o u p ç o n s nourris par le gouvernement
envers l'élément a rmé n i e n de Passen ont mis
la population dans une telle situation qu'elle
marche peu à peu à sa ruine é c o n om i q u e et
à la d é c h é a n c e morale. Dans tous les villages
a rmé n i e n s , sont introduites quelques famil–
les kurdes ou turques pour surveiller les
faits et gestes des A rmé n i e n s . Le résultat
i mmé d i a t de toutes ces sévérités fut que
l'élément a rmé n i e n qu i était p r é d om i n a n t
cède aujourd'hui devant l'élément musulman
qui l'emporte sur le premier. Le courant
d ' émi g r a t i o n établi à Passen, continue jus-
Fonds A.R.A.M