leur enleva la route du Danube dont, par
        
        
          une solution ingénieuse, tout en respec–
        
        
          tant le droit des riverains, elle assura le
        
        
          libre passage au commerce de tous.
        
        
          L'heure n'est-elle pas venue d'appliquer
        
        
          le même traitement à la route de Macé–
        
        
          doine? Tout en maintenant le drapeau
        
        
          turc, n'cst-il pas facile d'installer ici le
        
        
          contrôle européen? Salonique juive ne se
        
        
          prête-t-elle pas à cet aménagement inter–
        
        
          national des Bouches de Vardar? et, le
        
        
          Vardar après le Danube ayant élé donné
        
        
          au libre usage de la civilisation, le problème
        
        
          du Bosphore ne deviendrait-il pas beau–
        
        
          coup plus simple ? la même solution ne
        
        
          pourrait-elle pas, lentement, être étudiée,
        
        
          discutée, appliquée enfin aux Bouches de
        
        
          Constantinople? et n'arriverait-on pas
        
        
          ainsi à concilier quelque jour les deux
        
        
          termes antinomiques de celle question
        
        
          d'Orient : le maintien de l'intégrité otto–
        
        
          mane et le bonheur des chrétientés indi–
        
        
          gènes ?
        
        
          Victor
        
        
          B É R A R D
        
        
          Le Mouvement Pro-arménien en Italie
        
        
          A i n s i que nous l'avions a n n o n c é , un
        
        
          meeting a é t é tenu à Valenza, le d i –
        
        
          manche 14 j u i n . Devant un public t r è s
        
        
          nombreux où é t a i en t r e p r é s e n t é e s vingt-
        
        
          c i nq associations locales de tous les
        
        
          partis, le docteur P i n a r d i , du Comi t é
        
        
          de Mi l a n , p r é s e n t é par le s e c r é t a i r e de
        
        
          la Chambre du travail, A . de Gi ovann i ,
        
        
          a e xpo s é les faits et i nd i qué les solu–
        
        
          tions n é c e s s a i r e s .
        
        
          D'autres meetings auront lieu pro–
        
        
          chainement à Pa l e rme et à Naples.
        
        
          P. A .
        
        
          
            Dans les Prisons Hamidiennes
          
        
        
          
            De Smyrne à Saint-Jean d'Acre
          
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Lettre d'un Prisonnier politique
          
        
        
          
            arménien.)
          
        
        
          5/
        
        
          t8 avril igo3.
        
        
          Dans ma précédente lettre je vous avais
        
        
          promis de vous raconter en détail mon
        
        
          voyage de Smyrne à Saint-Jean d'Acre; je
        
        
          viens aujourd'hui réaliser ma promesse.
        
        
          Le mardi
        
        
          4
        
        
          mars, nous apprîmes, dans
        
        
          la matinée, que nous allions partir sans
        
        
          faute le jour même, et aussitôt nous limes
        
        
          nos préparatifs. Peu de temps après notre
        
        
          arrivée à Smyrne, quarante prisonniers
        
        
          albanais y furent amenés ; ils venaient
        
        
          d'Uskub ; la moitié d'entre eux devaient
        
        
          être dirigés sur Tripoli de Syrie et l'autre
        
        
          moitié sur Saint-Jean d'Acre ; on les fit
        
        
          embarquer d'abord et ensuite, è onze heu–
        
        
          res, ce fut notre tour ; nous étions qua–
        
        
          torze.
        
        
          Après nous avoir fait aligner, on com–
        
        
          mença par passer le carcan au cou de
        
        
          chacun de nous et nous fûmes tous ainsi
        
        
          attachés par une seule chaîne ; les carcans
        
        
          sont des colliers de fer assez gros ; quant à
        
        
          la chaîne, elle est aussi assez grosse; jus–
        
        
          qu'à Beyrouth, nous avons eu, pour ainsi
        
        
          dire le cou rompu.
        
        
          Au moment de notre départ, les deux
        
        
          bouts de la chaîne étant réunis, par une
        
        
          coïncidence extraordinaire, je me trouvais
        
        
          à l'un des bouts de la chaîne, et à l'autre
        
        
          bout se trouvait H... Neuf gendarmes, sous
        
        
          la direction d'un cinquantenier, tous fusils
        
        
          à la main, nous entourèrent aussitôt et l'un
        
        
          d'eux passa devant nous pour nous con–
        
        
          duire.
        
        
          A ce moment, le ciel commença à s'obs–
        
        
          curcir ; une pluie torrentielle ne tarda pas
        
        
          à tomber. Nous avions quitté Constanti–
        
        
          nople par un temps neigeux, et maintenant
        
        
          nous partons aussi par un temps tout à fait
        
        
          pluvieux ; avant que nous ne fussions em–
        
        
          barqués, nous étions déjà trempés d'eau et
        
        
          nos matelas étaient également tout mouillés.
        
        
          Nous voilà maintenant en route ; figu–
        
        
          rez-vous notre aspet maintenant : on dirait
        
        
          une caravane de chameaux. Je vous l'avoue
        
        
          franchement, à Constantinople, la forme
        
        
          de notre peine, c'est-à-dire le fait d'avoir les
        
        
          pieds dans les chaînes, n'avait rien d'igno–
        
        
          ble ; mais ce carcan est trop infâme; mal–
        
        
          gré la pluie torrentielle, un assez grand
        
        
          nombre de personnes nous suivaient, les
        
        
          uns nous observaient avec sympathie et
        
        
          d'autres avec antipathie ; à la fin, nous
        
        
          arrivâmes au quai et nous attendîmes un
        
        
          peu avant d'embarquer ; une foule de spec–
        
        
          tateurs nous entoura bientôt et à ce moment
        
        
          nous commençâmes à causer à haute voix
        
        
          en riant avec indifférence, en dédaignant
        
        
          tout à fait notre situation ridicule, ce qui fit
        
        
          une grande impression sur les assistants;
        
        
          il y a eu des gens qui attendirent plus d'une
        
        
          heure sur le quai pour nous regarder avec
        
        
          étonnement ; on nous embarqua bientôt
        
        
          dans un bateau de la compagnie Hadji
        
        
          Daoud. Nous restâmes quelque temps à
        
        
          attendre ; un Arménien bien mis et en cha–
        
        
          peau, âgé de
        
        
          35
        
        
          à
        
        
          40
        
        
          ans, nous accosta et
        
        
          nous demanda d'où nous étions et pour
        
        
          quel motif nous étions prisonniers ; après
        
        
          avoir causé quelque temps avec nous, il
        
        
          nous quitta; et quand l'Arménien arriva
        
        
          au quai, ceux qui y attendaient l'accostè–
        
        
          rent aussitôt et commencèrent à lui deman–
        
        
          der qui nous étions ; quand ils apprirent
        
        
          que nous étions des prisonniers politiques,
        
        
          leur curiosité fut excitée davantage et ils
        
        
          causaient assez longtemps en nous regar–
        
        
          dant. A ce moment, trois espions s'embar-
        
        
          j quèrent aussi ; l'un d'eux était un Grec de
        
        
          Constantinople; je l'ai reconnu aussitôt;
        
        
          cet homme se promenait souvent du côté
        
        
          de Scutari; quand i l apprit mon nom et
        
        
          d'où j'étais, i l m'a reconnu aussi ; il connaît
        
        
          également notre maison, mes frères, ainsi
        
        
          que le défunt oncle de ma mère.
        
        
          A la fin, on nous descendit à la cale du
        
        
          navire; jusque-là, nous n'avions pas encore
        
        
          bien senti la douleur occasionnée par les
        
        
          carcans ; mais, une fois dans la cale, la tor–
        
        
          ture commença, car nos matelas se trou–
        
        
          vaient là pêle-mêle; nous devions les pren–
        
        
          dre un à un et les étendre pour nous cou–
        
        
          cher ; mais il ne faut pas oubiler que nous
        
        
          étions tous attachés, de sorte que, pour
        
        
          faire le moindre mouvement, tous les qua–
        
        
          torze devaient en faire autant ; je n'ai pas
        
        
          besoin d'insister, i l vous est facile de vous
        
        
          faire une idée de notre situation. Après
        
        
          avoir arrangé nos matelas avec une grande
        
        
          peine, nous nous couchâmes ; à une heure
        
        
          et quart le bateau se mit en -route; chacun
        
        
          de nous était ainsi forcé de rester sur son
        
        
          matelas et si par hasard on voulait se re–
        
        
          tourner, la chaîne nous rappelait aussitôt
        
        
          que c'était impossible ; combien alors nous
        
        
          regrettions nos chaînes de Constantinople !
        
        
          Nous dormîmes ainsi dans cette position,
        
        
          et le matin, une fois réveillés, nous étions
        
        
          devant Ch i o ; nous voulûmes nous lever;
        
        
          après que tous furent préparés, moi qui me
        
        
          trouvais en avant, je commençais à me
        
        
          lever tout doucement et je ne pouvais
        
        
          m'empêcher de rire en nous regardant;
        
        
          notre position vraiment était digne d'être
        
        
          vue ; mais, chers camarades, je ne vous
        
        
          souhaite pas un pareil sort.
        
        
          Une
        
        
          fois tous levés, nous regardâmes
        
        
          Chio, qui est une île assez jolie ; elle pos–
        
        
          sède une église magnifique.
        
        
          ,
        
        
          Bientôt après, nous descendîmes à la
        
        
          cale ; le même jour, un Grec qui se trou–
        
        
          vait attaché avec nous tomba gravement
        
        
          malade et nous priâmes le cinquantenier de
        
        
          détacher cet homme de la chaîne du car–
        
        
          can, car nous étions obligés de rester pour
        
        
          lui toujours à la cale; savez-vous ce qu'il a
        
        
          répondu ? « Il peut se faire que cet homme
        
        
          fait le malade, mais s'il meurt nous jette–
        
        
          rons son cadavre à la mer ; nous ne pou–
        
        
          vons pas faire autrement. » J'ai oublié de
        
        
          vous dire que nos gendarmes étaient tous
        
        
          des Cretois ; par conséquent, i l est facile de
        
        
          deviner à qui nous avions affaire.
        
        
          A minuit, nous arrivâmes devant Rho–
        
        
          des; le bateau s'arrêta quelque temps et
        
        
          bientôt il se dirigea vers Beyrouth. Le
        
        
          jeudi, le temps étant pluvieux, nous fûmes
        
        
          obligés de rester à la cale; le vendredi, i l
        
        
          faisait beau et la mer était calme. Jusque-
        
        
          là, le pauvre C . . . était dans un état pitoya–
        
        
          ble
        
        
          ;
        
        
          i l n'était plus le même ; le malheureux
        
        
          garçon ne peut nullement supporter la
        
        
          mer; dès qu'il fut à bord, le mal de mer l'a
        
        
          pris et désormais^ i l ne mange rien et ne
        
        
          Fonds A.R.A.M