trois mois, par une seule dépêche collective,
souscrite des grandes puissances de l'Europe
ou par des dépêches s i mu l t a n é e s exprimant
le môme vœu . Ce sont là de ces pièces diplo–
matiques qu'on aimerait à signer avec son
sang.
Au j o u r d ' h u i , parlant des Ma c é d o n i e n s ,
D i e u me garde de reprendre à mo n compte
ces paroles de Cha t e aub r i and ! Je sais trop
ce que l'on risque à faire « l'apologie du
crime et de l'assassinat ». Pendant que les
b r û l o l i e r s de Salonique se flattaient de
montrer au monde comment un Ma c é d o –
nien sait mou r i r , nous avons entendu à
nouveau le concert de la presse vertueuse,
des grands ministres el des h o n n ê t e s gens
d é c l a r e r que ces brigands avaient
h
jamais
d i s c r é d i t é leur cause par leur conduite
atroce c l i n s e n s é e .
C'est donc affaire entendue, j u g é e : les
Ma c é d o n i e n s sont des c r imi ne l s , des jaco–
bins, des assassins; ils ont « le signe révo–
lutionnaire » o u , comme nous disons
a u j ou r d ' hu i , anarchiste. Le u r s b r û l o l i e r s
mé r i t e n t , e l au delà, tout ce que l'on pou–
vait dire, en 1825, de Canaris et de
Mi a o u l i s . Ils n'ont m ô m e aucune des
excuses que l'on pouvait a l l é g u e r à la d é –
charge des Grecs. Ca r ils n'ont d e r r i è r e
eux n i Mycale n i Sa l ami n c . Ils ne des–
cendent pas des gens de Ma r a t hon . Ils ne
trouveraient dans leurs a n c ê t r e s qu ' un
exemple s é c u l a i r e d ' o b é i s s a n c e , de servi–
tude, de v c r l u . I l y a cinquante ans encore,
leurs g r a n d s - p è r e s tenaient à honneur de
prendre les restes du T u r c , et leurs
g r a n d ' m è r c s d ' ê t r e violées par le moindre
aga :
L'étendue et la fécondité des plaines obli–
gent, les grands propriétaire (turcs) de se
pourvoir, un peu avant la récolte des grains,
d'un grand nombre de moissonneuses mon–
tagnardes. Ces tilles arrivent sous la conduite
de deux ou trois jeunes hommes... Leur habi–
tude est de se familiariser avec les Turcs su–
balternes qui commandent dans les mé t a i –
ries. Elles sont très flattées quand elles par-
parviennent à attirer les regards des agas
de second ordre. S'il arrive qu'à leur retour
(
dans leur village) elles deviennent mères,
cette preuve de leur fécondité ne les em–
pêche pas de se marier. Une fois épouse, leur
rôle de moissonneuse est fini; elles ne sor–
tent plus de leurs villages et s'honorent d'être
fidèles à leurs maris.
Les petits-fils de ces femmes vertueuses
sont sans excuse d ' ê t r e devenus les r é v o –
lutionnaires d'aujourd'hui.
M . V i c l o r d Bérard montre ensuite comment la M a -
c.'doine est devenue révolutionnaire : après les espé–
rances éveillées et déçues par le traité de Berlin, la
culture européenne et en particulier la culture alle–
mande propagée par les écoles réelles et plus encore
par les chemins de fer ont donné conscience aux Macé–
doniens de leur détresse et leur ont indiqué les moyens
de se lih-.Tcr :
L a locomotive est le plus fort des en–
gins, le premier des signes r é v o l u t i o n n a i –
res. Q u i donc a p o u s s é j u s q u ' à Salonique,
à travers toute la Ma c é d o i n e , les l ocomo –
tives allemandes? Q u i donc a r ê v é et q u i
donc s'efforce de faire de celte ligne m a c é –
donienne la g r and ' r ou l c de l a civilisation
et du commerce entre l ' Eu r ope et le L e –
vant, entre les mers du N o r d c l 1rs mers
ou les o c é a n s d u Su d , entre H amb o u r g e l
le Pacifique? Ou i donc a déjà fait de Salo–
nique juive le me i l l eu r correspondant de
Vi e nn e et de Francfort? Vo u s voulez que
la Ma c é d o i n e reste barbare, reste pauvre,
e l chaque j o u r vous l u i faites passer de–
vant les yeux l'image triomphante de l a
civilisation et de la richesse! Vo u s voulez
que la Ma c é d o i n e reste en l é t h a r g i e , et
chaque j o u r vous l u i d é c h i r e z les oreilles
de ces sifflets q u i viennent à bout de tous
les s omme i l s ! Quanti, au l o n g des voies
f e r r é e s , l ' Eu r ope se met en marche vers le
bonheur, vous pensez que la seule Ma c é –
doine p i é t i n e r a dans sa m i s è r e ! Mais c a l –
culez un peu combien de fois, depuis vingt
ans, au passage de cha cun de vos convois,
un vent de l i b e r t é est venu balayer cette
plaine. Supputez les semences de r é s o l u –
tion q u i , depuis u n quart de siècle, chaque
jour, à cha cun de vos a r r ê t s , sont t omb é e s
de vos j ou r n a ux , de vos lettres, de vos
moindres é c r i t s . Ne feignez plus d ' é l o n n e -
ment hypocrite quand, a p r è s vingt ans de
celle propagande quotidienne, les Ma c é –
doniens, faits à voire langue, vous r é p è –
lent le c r i dont vos agents é b r a n l e n t leurs
convois : «
Fcrlig!
nous sommes p r ê t s ! »
Ce sont vos rails q u i ont g a l v a n i s é celte
Ma c é d o i n e inerle. Ce sont vos c ommi s -
voyageurs, vos i n g é n i e u r s , vos chefs de
gare, vos correspondances, toutes vos re–
lations de commerce et d'affaires q u i ont
fait entrevoir à ce peuple la p o s s i b i l i t é , la
n é c e s s i t é d u r è g n e de la justice. L e s voya–
ges, dit-on, forment la jeunesse des hom–
me s ; les chemins de fer forment bien plus
vite encore l'enfance des peuples.
Sans nier le rôle des écoles bulgares proprement
dites, M V i c t o r Bérard fait voir par quelle évolution
la propagande actuelle des Comités n'est pas nationa–
liste bulgare, mais macédonienne. L'id.'e fédéraliste, à
l'exemple de l'Allemagne et de la Suisse, leur apparaît
comme devant donner une solution équitable au pro–
blème balkanique, en laissant subsister un organisme
ottoman :
Il ne faut donc pas mettre en doute la
bonne foi des Com i t é s quand, n i bulgares,
n i serbes, n i grecs, mais m a c é d o n i e n s , ils
proclament leur d é t a c h e m e n t absolu de
toule petite patrie, leur d é s i r aeluel de
Ma c é d o i n e r é g é n é r é e , et leur r ê v e futur
de grande f é d é r a t i o n ba l kan i que . Telle est
a s s u r é m e n t leur conception directrice, e l ,
d'ailleurs, tel est leur v é r i t a b l e i n t é r ê t : à
la remorque des Gr e c s ou des
B u l –
gares, les Ma c é d o n i e n s ne seraient pas
grand'chose; à la tête des peuples b a l k a –
niques, ils peuvent avoir u n r ô l e de pre–
mier plan. Mais celle idée directrice, croit-
on vraiment encore que d ' e u x - m ê m e s ils
l'aient i n v e n t é ? Ou celle conception fédé–
raliste, nous dira-t-on qu'elle leur fut
transmise par nos r é v o l u t i o n n a i r e s , par
nos j a cob i n s ? Que serait celle future B a l -
kanio, sinon quelque aulre Al l ema gn e o ù ,
p r è s des grands Etats, les moindres c om–
m u n a u t é s conserveraient leur place, c ù ,
p r è s des royaumes les r é p u b l i q u e s el villes
libres subsisteraient, o ù Salonique juive
e l Ka v a l a grecque administreraient leurs
ports, comme H amb o u r g , B r è m e et L u -
beck administrent les leurs, où l ' i n t é r ê t
c ommu n concilierait les haines de races et
les rivalités de clochers?
«
I mp o s s i b i l i t é s ! c h i m è r e s ! d i r a - t - on .
L ' A l l ema g n e n'a pu g r oupe r sa f é d é r a t i o n
qu'autour d'une langue commune . » —
L ' a v e n i r j ug e r a la valeur de celte concep–
tion m a c é d o n i e n n e . Mais, au contre do
l ' Eu r op e , une f é d é r a t i o n s'est a g g l o m é r é e
c l maintenue d o n l l'existence peul sembler
bien plus paradoxale. L a Ma c é d o i n e au l o -
nomo et la Ba l k a n i e fédérée n ' a u r a i c n l , en
fin de compte, à concilier que, des Grecs et
des Bulgares. Les autres races d i s p a r a î –
traient bien vile ou se fondraient sans
peine. A u lendemain de l'autonomie, les
Tu r c s quitteraient la Ma c é d o i n e comme
ils ont q u i t t é le P é l o p o n n è s e et la Thc s -
salic jadis ou, r é c e mm e n t , la C r è t e ; ils
reprendraient le c h emi n de leur Asie-
Mineure. Les Va l a qu e s de Ma c é d o i n e sont
e n t i è r e m e n t h e l l é n i s é s déjà. Do Serbe à
Bu l g a r e , la fusion serait rapide. Les Juifs
de Salonique, gagnant plus d'argent dans
leur commerce, ayant plus de s é c u r i t é
dans leur ville affranchie, accepteraient
à leur habitude un changement de natio–
n a l i t é . E t les A l b a n a i s iraient à qu i sau–
rait 'es prendre. Resterait donc à concilier
des Bu l ga r e s c l des Grecs, deux races,
deux religions et deux langues. Comptez
en Suisse le nombre de peuples, de dia–
lectes, de culles, de F r a n ç a i s , d ' A l l e –
mands, d'Italiens, do catholiques, tic l u –
t h é r i e n s , de calvinistes q u i vivent en bonne
intelligence sous le m ê m e drapeau fé–
d é r a l .
S i j ' i n v o q u e cet exemple de la Suisse,
c'est qu'en r é a l i t é i l fut d'un grand poids
sur les conceptions m a c é d o n i e n n e s : Ge–
n è v e fut, a p r è s les u n i v e r s i t é s allemandes,
un centre d ' é d u c a t i o n pour les Bulgares
et Slaves balkaniques. De V i e n n e et de
Be r l i n ,
3
'
est par G e n è v e que les é t u d i a n t s
slaves sont venus à nos u n i v e r s i t é s fran–
ç a i s e s . L e s idées el m œ u r s suisses ont p é –
n é t r é les Ma c é d o n i e n s . C'est à l'image
d'un canton suisse qu'ils f a ç o n n e r a i e n t
leur future Ma c é d o i n e , à l'imago de la
f é d é r a t i o n suisse qu'ils r ô v e n l leur f u –
ture Ba l k a n i e . Il ne faut donc pas les
accuser de c h i mè r e : ils ont u n mo d è l e
Fonds A.R.A.M