du grand homme d'État de l'Angleterre :
        
        
          «
        
        
          Servir l'Arménie c'est Servir l'Europe » ;
        
        
          disait-il à d'Estournelles de Constant, émi -
        
        
          nent champion de la politique de la Paix en
        
        
          France, en lui recommandant de s'occuper
        
        
          de la question a r mé n i e n n e .
        
        
          Celui qui veut comprendre lés é v é n eme n t s
        
        
          politiques d'Europe, que le télégraphe et les
        
        
          journaux nous apportent tous les jours, doit
        
        
          arriver à cette conclusion évidente. En ce
        
        
          moment deux grands courants se disputent
        
        
          le monde : d'une part le p r o g r è s et la civi–
        
        
          lisation et d'autre part la réaction et la bar–
        
        
          barie. Mais pour que le courant libéral et
        
        
          d émo c r a t i q u e triomphe de la réaction et de
        
        
          tout ce qu'elle traîne à sa suite, pour que la
        
        
          lumière refoule les ténèbres, i l faut l'union,
        
        
          l'union complète, l'union e u r o p é e n n e .
        
        
          Que l'Europe semette d'accord et se réu–
        
        
          nisse et que le mo l d'ordre soit la délivrance
        
        
          de l'humanité !
        
        
          L'Arménie est en ce moment le plus mal–
        
        
          heureux des peuples, c'est elle qu'il faut de
        
        
          délivrer la p r em i è r e . D'ailleurs, l'Europe s'y
        
        
          est e n g a g é e formellement et aujourd'hui
        
        
          l'Europe est solidaire el ne peut pas se d é –
        
        
          sintéresser d'une nation dont le sort l u i in–
        
        
          combe. E t voici aussi pourquoi au x x
        
        
          e
        
        
          siècle
        
        
          avec l'accroissement de la solidarité euro–
        
        
          p é e n n e ce fait concret doit intéresser non
        
        
          un seul pays, comme i l en était autrefois,
        
        
          mais toute l'Europe, puisqu'il s'agit de l'affer–
        
        
          missement par la démocratie du droit hu–
        
        
          main, du droit international.
        
        
          L a solution de la question a r mé n i e n n e que
        
        
          l'Europe a le droit et le devoir d'imposer
        
        
          unira tontes les forces vivantes du progrès
        
        
          et de la civilisation contre les forces domi–
        
        
          nantes de la barbarie et de la réaction bru–
        
        
          tale.
        
        
          L'Arménie délivrée, l'union e u r o p é e n n e
        
        
          créée, les premières bases de la paix g é n é –
        
        
          rale seront posées. C'est alors qu'on peut
        
        
          rêver de la réalisation de la paix générale
        
        
          tant désirée, ébauchée par la création d e l à
        
        
          Cour d'arbitrage international à L a Haye.
        
        
          Mais il faut nous entendre sur le mot « la
        
        
          paix » dont le sens a fait une évolution en
        
        
          s'élargissant et en se précisant, comme tous
        
        
          les grands mots qui on l agité la pensée de
        
        
          l ' h uma n i t é .
        
        
          Tant qu'on ne cessera pasde fouler aux
        
        
          pieds les droits sacrés de l'homme, tant
        
        
          qu'on continuera les massacres quotidiens
        
        
          qui sont dévenus un état normal dans ce
        
        
          pays martyrisé, la paix générale est impos–
        
        
          sible. Vous pourrez vous convaincre en
        
        
          lisant le dernier n umé r o du
        
        
          
            l'ro Armenia,
          
        
        
          celui du 15mai, qui donne des nouveaux
        
        
          aits sur les pillages, les viols, les conver–
        
        
          sions forcées à l'islamisme et les massacres.
        
        
          Je vais vous citer les trois horribles faits
        
        
          suivants qui se sont passés tout d e r n i è r e –
        
        
          ment :
        
        
          Dans le district de Segherd à Deh, Chukri,
        
        
          fds de Kafir, commandant hamidié, entre de
        
        
          nuit avec; quatre autres malandrins dans la
        
        
          maison de l'Arménien Selmo Gharib, lui
        
        
          enlève sa femme et l'oblige de passer à
        
        
          l'islamisme.
        
        
          A Boubien, un Armé n i e n , Hedo Keyneyan,
        
        
          esl a t t a q u é par des Kurdes, battu sauvage–
        
        
          ment, garolfé et laissé sur place demi-mort:
        
        
          Les Kurdes emportent bien entendu la
        
        
          chargé de bois qu'il conduit et lui volent les
        
        
          t • I u • \ aux.
        
        
          A (iharzan, les soldats attaquent la famille
        
        
          a r mé n i e n n e : ils tuent 5 personnes, en arrê–
        
        
          tent 16 autres et pillent 1.000 moutons et
        
        
          plus de 100 mulets, en unmot tous leurs
        
        
          biens, n'oubliant pas sans doute de d é s h o –
        
        
          norer les femmes jeunes et vieilles.
        
        
          Tout cela vous prouve que l'extermination
        
        
          lente de toute une nation continue tous les
        
        
          jours avec une régularité et une sauvagerie
        
        
          qui ne se d éme n t e n t pas.
        
        
          Dans ces conditions, la paix à tout prix
        
        
          est irréalisable. Le fameux
        
        
          
            statu quo,
          
        
        
          mot
        
        
          d'ordre de tant de diplomates, est une i l l u –
        
        
          sion en ce moment.
        
        
          La marche des é v é n eme n t s politiques se
        
        
          déroule avec une rapidité et même avec une
        
        
          précipitation qu'aucune puissance humaine
        
        
          ne pourrait arrêter.
        
        
          Le devoir qui incombe aux hommes d'Etat
        
        
          clairvoyants, c'est de savoir la diriger afin
        
        
          d'éviter les catastrophes imminentes.
        
        
          Lui aussi, ce despote qui a rougi les mar–
        
        
          ches de son trône du sang de 300.000 A r mé –
        
        
          niens., assassines au son du clairon, comme
        
        
          témoignent les publications officielles, lui
        
        
          aussi voudrait maintenir le
        
        
          
            statu quo.
          
        
        
          Et
        
        
          cependant les avertissements lui viennent de
        
        
          ceux même s cpii partagent sa foi et ses
        
        
          croyances.
        
        
          L'impunité de ce fou criminel cjui tient
        
        
          encore dans ses mains la d e s t i n é e des peu–
        
        
          ples d'Orient sera toujours une menace à la
        
        
          paix générale, et le moment est tellement
        
        
          critique que si l'Europe n'intervient à temps
        
        
          et au plus vile, on sera forcé de recourir aux
        
        
          mesures violentes, c'est-à-dire à la guerre.
        
        
          El qui peut, dire j u s q u ' o ù reculerait la civi–
        
        
          lisation !
        
        
          Voila pourquoi i l faut cpie les Etats de
        
        
          l'Europe civilisés, unis dans un tint humani–
        
        
          taire et conscients de la mission qu'ils ont à
        
        
          remplir, imposent à hrTurquie, qui est sous
        
        
          leur tutelle, la réalisation des réformes pro–
        
        
          mises par le traité de Berlin, conformément
        
        
          au
        
        
          
            mémorandum
          
        
        
          duU mai 1895, sous leur
        
        
          contrôle direct, même avec la menace de la
        
        
          force armée, s'il est nécessaire.
        
        
          Oserai-je vous dire, mesdames et mes–
        
        
          sieurs, que cet acte de justice et d ' h uma n i t é
        
        
          sera peut être aussi un acte de haute politi–
        
        
          que et que l'apaisement de l'Arménie sera
        
        
          comme l'aurore de la paix universelle.
        
        
          Les intérêts é c o n omi q u e s e l sociaux de
        
        
          l'Europe trouveront, dans une ère nouvelle
        
        
          .
        
        
          de confiance et de sécurité les moyens de se
        
        
          fortifier et de se développer.
        
        
          Voilà pourquoi je me suis résolu à venir
        
        
          en Italie. J'avais la foi profonde qu'en fai–
        
        
          sant connaître les souffrances du peuple
        
        
          arménien j'agirais dans l'intérêt certain,
        
        
          non seulement de l'intégrité de la Turquie,
        
        
          mais aussi de tous les pays civilisés, et, no–
        
        
          tamment de Cette admirable Italie, le pays
        
        
          classicpie du droit et, de la liberté.
        
        
          Je suis p e r s u a d é que si l'Italie veut bien
        
        
          prendre l'initiative de ce m ou veinent que sui–
        
        
          vront tontes les grandes nations civilisées de
        
        
          l'Europe, c'Ile en tirera une gloire qui ne
        
        
          sera pas stérile, Milan déjà a fait à nos idées
        
        
          el à nos espérances un accueil enthousiaste.
        
        
          Mon très vénéré ami et maître Moneta,
        
        
          que tous les partis honorent également, a
        
        
          bien voulu prendre sous son haut patronage
        
        
          notre première r é u n i o n , dont le retentisse–
        
        
          ment a été si grand dans toute l'Italie.
        
        
          A Rome, j ' a i trouvé le même enthousiasme,
        
        
          la même fraternité. Les plus prudents, les
        
        
          plus circonspects même s se sont laissés ga–
        
        
          gner par l'enthousiasme général. Les hom–
        
        
          mes les plus divisés d'idées, tels que le pro–
        
        
          fesseur Soldi et l'abbé Murri, député Barzi-
        
        
          lai et Maggorino Ferraris, s é n a t e u r Roux et
        
        
          Prince Odescalcflii m'ont fait le même accueil
        
        
          encourageant.
        
        
          L'illustré professeur et mon vénéré maître
        
        
          et ami Sergi a é t é infatigable au d é p e n s
        
        
          même de ses propres travaux pour m'aider et
        
        
          m'enr.ourager.
        
        
          J'en dirai autant des é l o q u e n t s orateurs
        
        
          qui ont, pris la parole aujourd'hui, du cou–
        
        
          rageux citoyen Bocciardo et du secrétaire
        
        
          Ravasini.
        
        
          L a F é d é r a t i o n des Femmes de Rome, cette
        
        
          réunion de l'élite qui revêt son d é v o u eme n t
        
        
          d'une grâce incomparable, a bien voulu don–
        
        
          ner son adhésion.
        
        
          Je devrais citer toute la jeunesse intellec–
        
        
          tuelle de votre beau pays, mais je m'arrête
        
        
          en les remerciant tous.
        
        
          Je laisse à Rome de nombreux amis aux–
        
        
          quels je garde un attachement fraternel et
        
        
          un reconnaissance profonde.
        
        
          L'Italie sera pour moi, après la France
        
        
          liien-aimée, ma seconde patrie.
        
        
          Enfin le hasard bien heureux m'a permis
        
        
          de rencontrer ici Anatole France : ce serait
        
        
          le diminuer que d'accompagner son nom
        
        
          d'une épithète quelconque.
        
        
          Toute cause à laquelle i l s'intéresse est une
        
        
          cause g a g n é e .
        
        
          Je ne tenterai pas de vous exprimer l'émo–
        
        
          tion profonde cpie j ' é p r o u v e en ce moment,
        
        
          mais parmi tant de, pensées, d'inquiétudes
        
        
          et d'espérances, ce qui domine en moi c'est
        
        
          l'immense gratitude pour tout ce que votre
        
        
          présence ici semble nie promettre. Elle me
        
        
          p r é s a g e une A rmé n i e p r o t é g é e et reconnais–
        
        
          sante. Vive l'Italie !
        
        
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            La Vita Internazionale
          
        
        
          REVUE BI-MENSUELLE ILLUSTRÉE
        
        
          Directeur : E . - T . M o n e t a
        
        
          Collaborateurs : L . TOLSTOÏ, G . NuYiGOW; E . D E
        
        
          AMICIS, G .LOMBROSO, G . SERGI, A . L O R I A , G . 
        
        
        
          Y .
        
        
          G U Y O T , M . K A P I S A R D I , G . RICIIET, G . A S C O L I ,
        
        
          M . NlCEFQROj E . VlDARI, E . MORSELLI, I. SlGHELE,
        
        
          M . PILO, etc.
        
        
          R É D A C T I O N
        
        
          
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              Portici Seltentrionali,
            
          
        
        
          
            
              Milan.
            
          
        
        
          A B O N N E M E N T S : Italie, 1 0 francs; autres pays,
        
        
          1 5
        
        
          francs; un nuim'ro, Ofr. 50 .
        
        
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          O I E I N F O I
        
        
          V
        
        
          M A T I O N
        
        
          
            Editeur et Rédacteur :
          
        
        
          
            Josef G RAF
          
        
        
          Vienne, Piaristongasse, 26
        
        
          Fonds A.R.A.M