de son cachot de broussailles, de fers
pointus et de clous. Sans s'effrayer de
ces préparatifs, i l s'obstina dans son
refus. Pendant une heure entière il fut
roulé par ses bourreaux sur ce lit de
douleur. I l avait perdu connaissance :
on. le r an ima avec des cordiaux et on
lui proposa de nouveau de signer la
d é c l a r a t i on . Il refusa formellement.
Quant au r ég ime no rma l des prisons,
il a été souvent esquissé i c i . Après en–
quê t e faite à Constantinople nous pou–
vons dire quel i l est dans la prison de
cette ville.
Les prisonniers, beaucoup moins mal
traités qu'eux, se procurent a i s éme n t
du « r akk i » ou du « haschich », s'eni–
vrent, jouent, perdent j u s qu ' à leurs
matelas et à leurs v ê t eme n t s et comme
ils ont.souvent des armes font courir les
plus grands dangers, dans leurs crises
de fureur, aux d é t e nu s politiques ainsi
laissés à leur merci. U n autre danger
provient des mouchards, a r mé n i e n s
quelquefois, qu i sont en f e rmé s avec eux
pour les espionner et d é non c e r : je
pourrais donner les noms de deux de
ces espions à Constantinople et d'un à
Sinope.
A la moindre incartade, les d é t e n u s
politiques sont envoyés à la basse-fosse
et e n c h a î n é s au mu r : r é c emme n t un
prisonnier politique turc qui s'était
permis d'adresser la parole au geôlier-
chef fut roué de coups et jeté, e n c h a î n é ,
à la basse-fosse où i l resta assez long–
temps.
Ab d - u l -Hami d donnerait volontiers
l'ordre de tuer purement et simplement
les A rmé n i e n s prisonniers, s ' i l ne
craignait quelque intervention. Nous
croyons savoir que l'attention des gou–
vernements é t r a ng e r s et du gouverne-
me n t f r a n ç a i s en particulier a été attirée
sur le cas de plusieurs de ces prison–
niers; i l est donc impossible au sultan
de les supprimer brutalement. Mais par
les tortures physiques et morales qui
leur sont infligées, ils sont fatalement
voués à la mort et il est grandement dé –
sirable que les consuls e u r o p é e n s reçoi–
vent l'ordre de faire à nouveau une en–
quê t e officielle dans les prisons, comme
les consuls anglais en firent autrefois
et qu'ils obtiennent ensuite la mise en
liberté des prisonniers politiques am–
nistiés plusieurs fois et toujours incar–
cérés.
Il serait désirable aussi que l'on sur–
veillât de très près la conduite des Ha -
midiehs, des Kurdes et des fonction–
naires du Sultan, surtout dans la région
'
de Va n , Bitlis et Mou s h et près de la
frontière turco-russe et de la frontière
turco-persane.
Les instructions d o n n é e s par Ham i d
à Hu s s é ï ne Pacha lorsqu'il manda ce
bandit à Constantinople pour s'entre–
tenir amicalement avec l u i sont envoie
d'être exécutées. A Karaboulak par
exemple, dans le district de Bayazid, le
major hamidien Ahme d Ag h a s'est mis
en tête d'obliger les habitants du village
voisin d'Arpzap à l ' émi g r a t i on ou à la
totale servitude.
Il a d é t o u r n é les eaux d'Ardsap vers
ses propres terres que les A r mé n i e n s
doivent labourer de force, pendant que
le chef et ses hommes disposent à leur
gré des femmes et des filles.
Il l u i a plu d'incendier d i x mille hec–
tolitres de blé et six cents bottes de foin
et de d é t r u i r e de fond en comble le
mou l i n d'Arakel Zakoyan dont les
pierres ont été d i s p e r s é e s ; le troupeau
d ' Ar ake l Zakovan fut enlevé du m ê m e
coup.
Kevork Marcarian, An d o n Avéd i s -
sian et Av o Ohanessian ont été rossés
de la façon la plus féroce et on déses–
père de les sauver.
Bogho sEmi r h a n i a n e t Sa r k i sZakoyan
ont été tués à coups de couteau.
Tels sont les hauts faits d ' Ahmed
agha, tels qu'ils sont relatés dans une
correspondance officielle de Constan–
tinople d ' ap r è s un rapport d ' Er ze r oum
en date du
18
ma i . Les a u t o r i t é s com–
plices se gardent bien d'intervenir sauf
pour encourager ce bon serviteur du
ma î t r e : Ahme d agha veut pun i r les
A rmé n i e n s d'Ardsap de cacher des
«
r é vo l u t i onn a i r e s » selon la formule
connue.
De la frontière turco-persane, on s i –
gnale aussi des s ymp t ôme s i n q u i é t a n t s .
U n mouvement i n a c c o u t umé pa rmi
les r é g ime n t s hamidiehs qui doivent de
jour en jour partir p j u r des destina–
tions inconnues. Le certain, c'est que
dans leur idée les hamidiehs se dispo–
sent à partir pour la frontière persane :
ils p r é t e n d e n t que « les khans persans
ont diffamé leurs compatriotes ». Les
Kurdes des frontières s'arment aussi et
se groupent autour de Bayazid : ils
veulent, disent-ils, tirer vengeance du
juge Sartar, de Ma ghou , qu i aurait fait
tort à l'un de leurs chefs.
E n m ê m e temps, un groupe impo r –
tant de fonctionnaires turcs, une tren–
taine environ est a r r i vé à Kh o i et à
Salmaste pour procéder soi-disant à des
d é l imi t a t i on s de f r on t i è r e ; parmi eux
se trouvent le frère du vali de Va n ,
quelques officiers et commissaires de
police, plus des soldats. Comme une
partie des réfugiés a r mé n i e n s a t r ouvé
asile en cette r ég i on , les fonctionnaires
hamidiens circulent de côté et d'autres
et interrogent un peu tout le monde
pour c o n n a î t r e le nom et la résidence
des i mm i g r é s et savoir s'ils sont ou
non a c c omp a g n é s de leur famille. Ils
ont essayé é g a l eme n t de passer l'Araze :
mais le gouvernement russe leur a
refusé des passe-ports.
Salmaste, et Kho ï surtout, sont en
réalité à une assez grande distance de
la frontière persane : mais la p r emi è r e
de ces villes est sur la route des passes
qu i conduisent à Va n par Bachkhale
et la seconde par la vallée du Kh o t u r
Cha ï offre accès en A rmé n i e Tu r qu e .
Les délégués hamidiehs y jouent au
mieux leur rôle : ils offrent à ceux des
émi g r é s « qui ne sont pas suspects »
de leur faciliter le retour et de leur
délivrer des permis, à seule condition
de dé s i gne r un garant. Le garant dési–
gn é et les réfugiés eux même s cour–
raient les plus grands risques, s'ils se
rendaient à ces invitations policières,
en ce moment surtout où les mouve–
ments des hamidiehs et l'excitation des
Kurdes peuvent faire craindre, à bref
délai, de graves é v é n eme n t s .
Puisque les gouvernements e u r o p é e n s
ne semblent pas disposés à obtenir du
Sultan l'exécution intégrale de ses pro–
messes, i l est au moins de leur devoir,
é t an t avertis, de l u i faire observer les
amnisties qu ' i l a oc t r oyé e s et de l u i
interdire les carnages mé d i t é s . Il suffit
qu'ils consentent à un peu de v i g i –
lance et d'énergie et qu'ils veuillent
bien parler assez haut pour être en–
tendus.
Pierre Q U I L L A R D .
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L'EUROPÉEN
Courrier International Hebdomadaire
POLITIQUE. DROIT INTERNATIONAL
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SOCIALES,
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Direction: C h . S K I G N O F î O S (Paris)
R é d a c t e u r en chef : A . F E R D I N A N D
I I E R O L D .
24,
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Articles de M M . Frédéric P A S S Y . Francis de P R E S S E N S É
John.-M. ROBERTSON, D
1
'
M . K R O N E N B E R G . A . A i ' L A R D
Marcel C O L L I È R E , Xavier de R I C A R D , Raoul A L L I E R ,
A n d r é FONTAINAS, Pierre Q U I L L A R D , Georges E E K H O U D .
Fonds A.R.A.M