récit d'une entrevue qu i eut lieu entre
Hami d et le chef albanais, d ' a p r è s
L'Albanie
de Genève : les paroles i c i
rapportées
sont sinon certaines, du
inoins fort probables.
L'Albanie
les
tiendrait de son correspondant d ' Y l d i z :
Abdul-IIamid.
Soyez bienvenu, Issa-Bey.
Issa Bey.
Un s'kuptoj haldupishte ! (je
ne comprends pas le turc).
Abdul Hamid.
en s'adressant à son cham–
bellan. — Fais venir Tahir Pacha (c'est un
Albanais très ignorant, dévoué au tyran,
chef de la garnison albanaise dans le palais).
Tahïr Pacha vient.
Abdul Hamid.
Tahir Pacha, dites à Issa
Bey de ma part soyez bienvenu.
Tahir Pacha.
Issa Bey L . M . T i daveletl
thot mi r s é r e h é .
Abdul Hamid.
Ta h ï r Pacha demandez à
Issa Bey pourquoi i l est contre les
ghiavours
(
c'est à dire infidèle, une insulte du Sultan
aux chrétiens en général).
Issa Beg.
Tahïr Pacha, dites à Sa Majesté
le Sultan que je ne comprends rien à ce mol
de ghiavour; je comprends les mots.maho-
mé t a n s et chrétiens.
Abdul Hamid.
Ghiavour veut dire les
ennemis de notre religion ; tous les chrétiens
sont nos ennemis.
Issa Bey.
Nous, nous sommes les Alba–
nais, nous avons une patrie dont la popula–
tion albanaise se compose de trois refigions.
Dès lors, comment les Albanais chrétiens
peuvent-ils être nos ennemis ? pendant la
guerre et après la guerre'russo-turque, les
Albanais, sans distinction de religion, pri–
rent les armes contre les ennemis. Nous
avons lutté les uns à côté des autres contre
tous.
Abdul Hamid.
Laissons cette discussion
qui ne vaut rien. Pourquoi Issa bey ne veut-
il pas le consul russe qui va à Mitrovitza.
Issa Bey.
L a question du consuf russe
estime question tout à fait politique. Nous
les Albanais, nous ne voulons pas voir au
cœu r même de la mère-patrie f'Albanie un
foyer de slavisme là où i l n'existe pas un seul
russe. L'installation d'un consulat russe en
Albanie septentrionnale, comme à Mitrovitza,
produira avec le temps de grands troubles
entre les Albanais c h r é t i e n s et les musul–
mans. L a Bussie veut toujours exciter des
troubles dans les Balkans, mais jamais la
tranquillité.
Si Sa Majesté veut nous effrayer avec tes
cosaques de la Bussie que l'on dit devoir
venir avec le consul à Mitrovitza, les Alba–
nais peuvent les chasser et défendre leurs
droits nationaux.
Abdul Hamid.
Ce n'est pas vrai. Je vous
en prie, Issa Bey, recevez seulement le
consul pour que nous n'ayons pas d'histoires
avec le moscow (c'est une insulte dans la
langue turque contre les russes).
Issa Bey-.
Nous acceptons le consul
pour accomplir le vœu de notre souverain ;
mais nous no voulons pas voir chez nous les
cavas de cosaques ; les gardiens du consulat
seront nos compatriotes.
Abdul Hamid.
T r è s bien, très bien, très
bien ! nous allons écrire tout de suite à l'am–
bassadeur russe. Je suis très content de vous.
Voulez-vous que je vous nomme pacha ici
au palais, près de moi ? vous aurez l'argent,
vous aurez
d#s
domestiques, etc.
Issa Bey.
Non. Majesté. M o i , je préfère
rester auprès de mes enfants, de mes parents,
de mes compatriotes, en travaillant h o n n ê –
tement dans mes terres pour gagner ma vie
et celle
de
ma famille.
Je remercie mille fois Votre Majesté d'avoir
une si grande générosité envers votre bien
humble serviteur.
Abdul Hamid.
Je vous en prie encore
une fois, Issa Bey, ne créez pas de troubles
et de manifestations contre les russes. Bon
voyage, Issa Bey. Saluez de ma part tous
rues Albanais que j'aime beaucoup?!!!!
Issa Bey, après une révérence bien hai–
neuse quitte le palais.
LETTRES DE MERSINE ET D1DIN1
L E T T R E
D E
M E R S I N E
g novembre
rgo2.
Les A rmé n i e n s de Cilicie sont déchirés
par les griffes de la tyrannie. La terreur et
fa misère ont n!feint leur a p o g é e . Nous
n
'
a –
vons pas de nouvelles de l'intérieur du pays,
mais nous qui sommes témoins oculaires des
barbaries quotidiennes commises sous les
yeux des r e p r é s e n t a n t s officiels de l'Europe,
dans un port c omme r ç a n t de la Méditerranée
ainsi qu'aux environs, nous frémissons d'a–
vance en pensant à tout ce qui doit se com–
mettre dans les coins retirés du pays.
Il y a
uni'
d i z a i n e d ' a n n é e s , l'Arménien, dans
sou état d'esclavage et de misère, pouvait au
moins glorifier la vie libre, la bravoure de
ses ancêtres, chanter les luttes faites pour fa
conservation de ta religion c h r é t i e n n e et pleu-
rersou ancienne gloire. Aujourd'hui, le môme
peuple qui, depuis un quart de siècle, est
entré sous la protection de l'Europe dite
civilisée et humaine, grâce à un traité signé
par un Congrès international, oui,
u n
jeune
homme inexpérimenté appartenant à ce
même peuple a rmé n i e n , s'il a le malheur de
prononcer quelques mots d'une chanson na–
tionale, à quel c h â t ime n t croyez-vous qu'il
soit soumis, à une peine disciplinaire? à un
simple emprisonnement? hélas! non, mais à
la détention
mpoiaire ou perpétuelle dans
une enceinte fortifiée. On serait encore bien
heureux si celte peine était exécutée dans
les limites tracées par la loi turque; mais
maiheur à l'Arménien qui, a r r ê t é comme
coupable politique est j e t é dans la geôle
turque. Que les mo n s t r u o s i t é s qui s'y com–
mettent soient voilées pour nous, elles reste–
ront une tache ineffaçable sur le front de
l'humanité et de l'Europe, notre protectrice.
Faut-il parler de la sévérité et de l'injustice
dss juges turcs lorsqu'ils prononcent leurs
arrêts. Que de jeunes gens Armé n i e n s , de 18
à 20 ans, après un emprisonnement de 2 à
3
ans, sont morts de phtisie dans les geôles
turques; combien sont emp o i s o n n é s , et l'un
de ces derniers, après avoir été j e t é comme
fou parmi tes fous furieux de l'asile des alié=
nés de Scutari, y fut soumis à un régime
indescriptible : il y l'ut atteint du choléra et
aussitôt jeté dans la fosse pleine de chaux
de Scutari.
Entrez dans les prisons turques et vous
n'y rencontrerez que d ' S figures maigres et
pâles de jeunes Arméniens, qui souffrent de–
puis des a n n é e s sans savoir la nature et le
terme légal de leur peine. Personne ne les
interroge, personne ne s'intéresse à eux.
Quelques incidents nouveaux qui vinrent dé–
chirer les cœu r s déjà e n s a n g l a n t é s du mal–
heureux peuple nous poussèrent à vous
décrire ci-dessus la triste vie quotidienne
des A rmé n i e n s .
A cause du climat malsain de Mersine la
plus grande partie de la population s'en va
en villégiature, et surtout à Findik-Bounar,
lieu qui se trouve à une dislance de six à
sept heures de Mersine cl où se trouvent en–
viron 150 maisons. Tous les boutiquiers y
sont des jeunes g> ns Arméniens. Cet, été, six
à sept jeunes gens Armé n i e n s se l'ont photo–
graphier ensemble par un photographe ar–
ménien, près d'une fontaine, assis sous un
arbre. Puis ils s'adonnent au farniente et
commencent à chauler aussi un peu quelques
chansons nationales. Le plus jeune parmi
eux, très i n e x p é r ime n t é pour apprendre par
cœu r la chanson, l'écrit, sur un bout de pa–
pier qu'il met dans sa poche. Quinze jours
plus tard, le jeune homme, qui élait domes–
tique chez un c omme r ç a n t d'Adana, part de
Mersine pour Adana par le chemin de fer.
Une fois arrivé, i l est arrêté à la gare par un
agent de police qui le fouille et trouve dans
sa poche le bout de papier ainsi que la pho–
tographie tirée du groupe; i l est immédiate–
ment conduit devant le vali, Bahri pacha. Le
vali fait traduire le papier à Avédiss Sislian,
un traître, homme impudique, lâche et v i l ,
qui suce le sang de toute la popula–
tion a r mé n i e n n e d'Adana. Le vali, pour
gagner le jeune homme, lui propose aussitôt
la fonction d'agent de police avec trois livres
d'appointement ; le malheureux jeune homme
i n e x p é r ime n t é devient dupe du plus grand
fonctionnaire du gouvernement et accepte
la fonction proposée. Le lendemain, le vali
fait de nouveau venir le jeune homme de–
vant lui et lui demande de qui il avait pris
la chanson et avec qui il l'avait chantée et
quels sont les noms des jeunes gens photo–
graphiés avec l u i . Le jeune homme raconte
tout avec une parfaite naïveté Le même
jour des agents sont i mmé d i a t eme n t envoyés
el. tous les jeunes gens sont arrêtés à Findik-
Bounar et conduits sous escorte à Adana, et
tous emp r i s o n n é s . On juge les malheureux
jeunes gens; celui qui s'était trouvé porteur'
de la chanson est c o n d amn é à 8 ans de dé–
tention dans une enceinte fortifiée et les
autres à 6 ans de détention chacun, et
sont exilés tous à Payasse, pour la geôle
infernale.
Un autre malheur vint pour comble trou–
bler la population a r mé n i e n n e de ces en–
droits. A Sis, fut arrêté d e r n i è r eme n t comme
suspect un jeune homme n omm é Arssen ;
furent arrêtés é g a l eme n t dix à douze autres
jeunes gens A r mé n i e n s . Tous ont élé con-
Fonds A.R.A.M