Voilà la formule que je retiens : elle a été
        
        
          écrite par un homme qu'on n'accusera pas
        
        
          d'ôtre l'ennemi de l ' i n d é p e n d a n c e et de l ' i n –
        
        
          tégrité de l'empire ottoman.
        
        
          M . F r a n c i s de P r e s s e n s é conclut ainsi :
        
        
          J'ai déjà c o n s t a t é à plusieurs reprises et
        
        
          avec une sincère satisfaction au cours de cet
        
        
          exposé que, dans toutes ces longues n é g o –
        
        
          ciations qui durent depuis 1901, à certains
        
        
          moments la France avait fait les réserves
        
        
          qu'elle devait l'aire, un peu timidement, sur
        
        
          un ton qui n'était p e u t - ê t r e pas de nature à
        
        
          être entendu comme i l aurait du l'être, mais
        
        
          qu'elle n'avait pas purement et simplement
        
        
          suivi la politique russe, qu'elle ne s'était pas
        
        
          mise à la remorque de la Russie et qu'elle
        
        
          avait ma r q u é son i n d é p e n d a n c e et les points
        
        
          sur lesquels elle croyait devoir en faire
        
        
          usage.
        
        
          M . le ministre des Affaires E t r a n g è r e s n'a
        
        
          qu'à se reporter à deux p r é c é d e n t s assez r é –
        
        
          cents pour comprendre ce que nous l u i
        
        
          demandons à l'heure actuelle.
        
        
          Es't-ce que quand on agite devant l u i le
        
        
          spectre de la nécessité de l'unanimité des
        
        
          puissances; quand certaines dépêches qui
        
        
          éma n e n t de ses agents e u x -même s disent
        
        
          que rien ne pourrait se faire si les puissances
        
        
          n'agissent pas unanimement, est-ce que
        
        
          M . le ministre des Affaires E t r a n g è r e s ne se
        
        
          rappelle pas que, à un moment d o n n é , i l
        
        
          s'est agi d'une question presque aussi b r û –
        
        
          lante que celle-ci, de la question de la Crète?
        
        
          On lui disait aussi : Faites attention, toutes
        
        
          les puissances ne veulent pas marcher, vous
        
        
          allez déchirer le concert e u r o p é e n , — ce pré–
        
        
          cieux concert européen ! — a p r è s ce qu'il
        
        
          avait fait ou ce qu'il n'avait pas fait, après le
        
        
          spectacle lamentable d'impuissance et de di–
        
        
          vision qu'il avait d o n n é au monde! Mais
        
        
          M. le ministre des Affaires E t r a n g è r e s ne
        
        
          s'est pas laissé hypnotiser, messieurs, i l s'est
        
        
          c o n t e n t é de faire appel aux bonnes volontés
        
        
          qui voulaient bien agir. 11 y a eu un petit
        
        
          concert, un concert à quatre, et i l a fait
        
        
          quelque chose; i l n'a pas résolu — le mot
        
        
          serait trop ambitieux — la question de la
        
        
          Crète, non, mais i l l'a fait entrer dans la voie
        
        
          de la solution.
        
        
          Et d'autre part, messieurs, quand on vient
        
        
          nous dire : Nous n'avons pas le droit, à
        
        
          l'heure actuelle, de nous exposer à certaines
        
        
          graves éventualités qui pourraient résulter
        
        
          d'une pression comminatoire exercée, si
        
        
          c'est nécessaire, sur la Porte ; nous n'avons
        
        
          qu'à nous reporter à quelques temps en ar–
        
        
          rière ; car je fais à la politique française
        
        
          l'honneur de croire que quand elle a envoyé
        
        
          l'escadre de la Méditerranée à Mitylène, elle
        
        
          n'était pas absolument sûre du résultat. S i
        
        
          on croyait alors à l'utilité ou à la nécessité
        
        
          de cette d éma r c h e , c'est qu'on croyait aussi
        
        
          à la possibilité do la résistance du Sultan,
        
        
          c'est donc qu'on croyait à l'éventualité de la
        
        
          mise en action de nos cuirassés. Je voudrais
        
        
          bien savoir, messieurs, s'il est établi d'une
        
        
          façon définitive que ces canons français, qui
        
        
          n'ont pas toujours besoin de faire parler la
        
        
          poudre pour se faire entendre, ne peuvent
        
        
          être mis uniquement qu'au service de cer–
        
        
          taines créances plus ou moins liquides de
        
        
          particuliers plus ou moins levantins?
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Vifs
          
        
        
          
            applaudissemenls
          
        
        
          
            à l'extrême
          
        
        
          
            gauche, el à
          
        
        
          
            gauche).
          
        
        
          Je voudrais bien savoir si jamais nos c u i –
        
        
          rassés ne pourront se faire les recors, non
        
        
          d'usuriers, mais de la conscience humaine
        
        
          et de la foi des traités?
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Très bien! 1res bien!
          
        
        
          
            à l'exlrême gauche.)
          
        
        
          Pour moi, je pense, au contraire, qu'en ce
        
        
          cas l'union de la force morale et de la force
        
        
          physique agirait très rapidement et très effi–
        
        
          cacement sur tes résistances d'un souverain
        
        
          qui, à défaut d'autres vertus, a celle de la
        
        
          prudence et de l'instinct de conservation.
        
        
          Je crois donc que M . le ministre des Affai–
        
        
          res é t r a n g è r e s , en se souvenant de ce qu'il
        
        
          a fait l u i -même , n'a qu ' à continuer dans la
        
        
          voie qu'il a p e u t - ê t r e ouverte d'une façon un
        
        
          peu timide, mais du moins qu'il a eu le
        
        
          mérite d'avoir ouverte. Et je rends i c i , mes–
        
        
          sieurs, pieinement justice à la différence que
        
        
          nous avons constatée depuis quelques a n n é e s
        
        
          dans la direction de la politique é t r a n g è r e
        
        
          de la France.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Très bien! 1res bien! à l'ex–
          
        
        
          
            trême gauche el à gauche.)
          
        
        
          If s'agit d'une action commune ; cette ac–
        
        
          tion se poursuit sur le terrain du droit, sur
        
        
          fe terrain des traités, sur te terrain aussi du
        
        
          droit idéal, sur le terrain du droit des gens.
        
        
          Nous nous plaçons, messieurs, en l'ace de ce
        
        
          p r o b l ème urgent. Nous constatons que de–
        
        
          puis un siècle, c'est presque toujours d'Orient
        
        
          que sont parties tes perturbations qui ont
        
        
          troublé l ' a tmo s p h è r e de l'Europe — et dont
        
        
          nous savons bien comme elles commencent
        
        
          mais dont nous ne savons pas comment elles
        
        
          finissent — nous nous plaçons en face de ce
        
        
          p r o b l ème pour constater que la conscience
        
        
          du genre humain se p r o n o n c e é n e r g i q u eme n t
        
        
          depuis longtemps ; que, malheureusement,
        
        
          elle s'est p r o n o n c é e un peu vainement en
        
        
          r é c l ama n t la juste répression des massacre
        
        
          11
        
        
          d'Arménie, mais qu'il y a là un compte ouvert
        
        
          et qu'il sera toujours temps de fe régler. Et,
        
        
          d'autre part, messieurs, à côté de la cons–
        
        
          cience du genre Immain, n'avohs-nous pas
        
        
          fe droit écrit, la foi des traités, ces obliga-
        
        
          tions qui ont été souscrites et renouvelées :
        
        
          le traité de Berlin, les promesses qui ont été
        
        
          faites à nos ambassadeurs, a n n é e a p r è s
        
        
          a n n é e ?
        
        
          En présence de tous ces faits, je dis, mes–
        
        
          sieurs, que ce serait v é r i t a b l eme n t la ban–
        
        
          queroute, non seulement de la diplomatie,
        
        
          mais de l'Europe et, de la France elle-même,
        
        
          si nous pouvions nous contenter des mes–
        
        
          quins et misérables expédients qui semblent
        
        
          devoir prévaloir dans les chancelleries à
        
        
          l'heure actuelle.
        
        
          L'heure est solennelle, les dangers i mm é –
        
        
          diats de cette insurrection dont je parlais
        
        
          tout à l'heure, de cette guerre qui peut écla–
        
        
          ter d'un jour à l'autre et qui continue de
        
        
          planer sur nous. Il est, hélas ! à craindre,
        
        
          messieurs, cpie cet état d'instabilité et d'in–
        
        
          sécurité ne persiste tant que durera ce r é g ime
        
        
          néfaste de la paix a rmé e , qu'on p r é t e n d être
        
        
          le maximumcle la force organisée ; mais qui,
        
        
          en réalité, n'est que le maximum de la coû–
        
        
          teuse et ruineuse faiblesse. En effet, chaque
        
        
          puissance a rmé e jusqu'aux dents redoute, si
        
        
          elle vient à agir, que toutes les autres puis–
        
        
          sances, a rmé e s comme elle, ne se précipitent
        
        
          sur elle.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Applaudissements à gauche.)
          
        
        
          Nous assistons à une espèce de course au
        
        
          clocher, de course folle aux d é p e n s e s mili–
        
        
          taires ; c'est cet espèce de vertige qui lait que
        
        
          la plus pacifique des puissances de jadis,
        
        
          l'Angleterre, a depuis quinze ans ajouté un
        
        
          miiliard à son budget ordinaire d e l à guerre
        
        
          et. de la marine porté aujourd'hui à 1.700
        
        
          millions ! Nous ressemblons ainsi, en vérité,
        
        
          messieurs, à ces chevaliers du moyen-âge
        
        
          qui, au Mont-Casscl, couverts d'armures pe–
        
        
          santes, pourvus d'armes p e r f e c t i o n n é e s ,
        
        
          lourdement mo n t é s sur leurs chevaux capa–
        
        
          raçonnés, étaient emb a r r a s s é s au point de
        
        
          ne pas pouvoir bouger, pendant que les pe–
        
        
          tits et agiles soldats des communes flamandes
        
        
          se précipitaient sur eux et, trouvant le défaut
        
        
          de leurs cuirasses, leur enfonçaient fe p o i –
        
        
          gnard de miséricorde.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Applaudissemenls à
          
        
        
          
            gauche.).
          
        
        
          En présence de ce danger me n a ç a n t , de la
        
        
          gravité de cette situation qui est si bien at–
        
        
          testée par des publications officielles, qui est
        
        
          reconnue ou confessée par le sultan l u i -
        
        
          même , nous devons déclarer à cette tribune,
        
        
          à la face de fa France et à la face de l'Europe,
        
        
          que le moment est venu, non pas seulement
        
        
          pour la France, mais pour toutes tes puis–
        
        
          sances signataires du traité de Berlin, de
        
        
          d é p l o y e r , " d a n s toute son amplitude, toute
        
        
          feur force — toute leur force matérielle et
        
        
          toute leur force morale — tout leur droit
        
        
          écrit et tout leur droit idéal.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Vifs applaudis–
          
        
        
          
            sements
          
        
        
          à
        
        
          
            l'extrême gauche el sur divers bancs
          
        
        
          
            à gauche.)
          
        
        
          
            M. RAIBERTI
          
        
        
          11
        
        
          me reste à parler de la Macédoine. On a
        
        
          parlé à ce sujet de la F é d é r a t i o n des peuples :
        
        
          mais si nous regardons de tous côtés, nous
        
        
          voyons que la barbarie nous entoure ; nous
        
        
          l'avons vu et le voyons encore en Chine;
        
        
          nous le voyons en Orient. C'est elfe q u ' i l
        
        
          s'agit d'abord de faire disparaître.
        
        
          Le maintien du
        
        
          
            statu uuo
          
        
        
          en Macédoine
        
        
          peut seul éviter une conflagration générale
        
        
          qui pourrait résulter de la rivalité de In
        
        
          Grèce, de la Serbie et de la Bulgarie. S i ,
        
        
          ma l g r é tout, l'insurrection éclate, que fera
        
        
          l'Europe ? Assistera-t-elle impassible aux
        
        
          scènes d'horreur qui se produiront?
        
        
          Il est, préférable pour elle de prendre les
        
        
          mesures propres à emp ê c h e r le retour de
        
        
          t'insurrection : c'est de donner à la Macé–
        
        
          doine les réformes qu'elle réclame.
        
        
          Seule, l'exécution des réformes d ema n d é e s
        
        
          et promises peut amener l'apaisement. L a
        
        
          France, doit travailler à cet apaisement et
        
        
          s'attirer ainsi la reconnaissance des popula–
        
        
          tions des Balkans.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Apphuidisscments.)
          
        
        
          
            M. Marcel SEMBAT
          
        
        
          J'ai dit en ce qui concerne i'Arménie et fa
        
        
          Macédoine, que je ne reviendrais pas sur les
        
        
          expiications si complètes d o n n é e s par M . de
        
        
          P r e s s e n s é . Cependant notre collègue me
        
        
          permettra de l u i dire que je n'irai peut-être
        
        
          pas aussi loin que lui dans les p r o c é d é s
        
        
          comminatoires à employer en la circons–
        
        
          tance.
        
        
          11
        
        
          m'a paru, en l'écoutant et en relisant
        
        
          son discours au
        
        
          
            Journal officiel,
          
        
        
          qu'il serait
        
        
          assez partisan d'une action a rmé e venant de
        
        
          la France, fût-ce même une action isolée,
        
        
          analogue par exemple, a celle qui nous a
        
        
          me n é s à Mitylène. Pour ma part, je crois
        
        
          qu'if serait un peu dangereux, fût-ce pour ta
        
        
          cause la plus noble, fût-ce. pour la défense
        
        
          et l'affranchissement des A rmé n i e n s et des
        
        
          Macédoniens, d'avoir une initiative isolée de
        
        
          ce g é n i e .
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Applaudissemenls sur divers bancs
          
        
        
          
            à l'exlrême gauche.)
          
        
        
          M . F R A N C I S DE P R E S S E N S É .
        
        
          
            —
          
        
        
          Je partage
        
        
          absolument votre ma n i è r e de voir. Je n'ai
        
        
          nullement voulu parler d'une action isolée
        
        
          de la France. J'ai voulu parler — je croyais
        
        
          l'avoir indiqué — d'une action semblable à
        
        
          celle qui a été exercée en Crète.
        
        
          M. M A R C E L SEMBAT..
        
        
          
            —
          
        
        
          C'est que vous aviez
        
        
          parlé aussi de Mitylène.
        
        
          M . F R A N C I S DE P R E S S E N S É .
        
        
          
            —
          
        
        
          J'avais limité
        
        
          l'un des exemples par l'autre. Je souhaitais
        
        
          qu'on ne r e p o u s s â t pas le principe de la
        
        
          pression à exercer à certains moments, non
        
        
          pas au nom de l'unanimité des puissances,
        
        
          —
        
        
          ce qui est c h i mé r i q u e ,— mais au nom de
        
        
          celles des puissances qu i , dans ce cas, vou–
        
        
          draient se joindre à la France. (
        
        
          
            Très bien!
          
        
        
          
            très bien! sur divers bancs à l'extrême gau–
          
        
        
          
            che.)
          
        
        
          M . M A R C E L S EMB À T .
        
        
          
            —
          
        
        
          Je suis tout à fait
        
        
          d'accord avec M . de Pressensé. Je crois qu'il
        
        
          ne faut pas rechercher l'accord unanime du
        
        
          concert e u r o p é e n , mais ce qui s'est passé
        
        
          pour la Crète pourrait avec fruit se répéter
        
        
          au besoin en ce moment.
        
        
          Ce que je tenais à signaler, c'est que,
        
        
          même pour la plus noble des causes, nous
        
        
          ne pouvons pas autoriser une action isolée
        
        
          comme celle de Mitylène, attendu qu'à ce
        
        
          moment i l aurait suffi de l'agression d'un
        
        
          soldat turc ou d'un de ces timariots, moins
        
        
          soldats que brigands, pour déchaîner une
        
        
          guerre avec la Turquie, avec p e u t - ê t r e un
        
        
          retentissement européen q u ' i l devenait i m –
        
        
          possible de limiter.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Très bien! 1res bien!)
          
        
        
          J'espère que M . le Ministre des affaires
        
        
          é t r a n g è r e s poursuivra en Macédoine et en
        
        
          Armë n t e une politique d'ensemble, une poli–
        
        
          tique liée, qu'il s'appliquera à ne pas laisser
        
        
          régler isolément la question de la Macé-
        
        
          Fonds A.R.A.M