quand l'Autriche, l'Italie et la Russie ont
        
        
          parlé.
        
        
          
            M.
          
        
        
          
            de
          
        
        
          
            PRESSENSÉ
          
        
        
          A u moment où tous les Parlements d'Eu–
        
        
          rope viennent de retentir de l'écho de ces
        
        
          graves é v é n eme n t s dont on vous parlait, qui
        
        
          se d é r o u l e n t ou se p r é p a r e n t dans la pénin–
        
        
          sule des Balkans, il aurait été un peu é t r a n g e
        
        
          que seule la tribune française d eme u r â t
        
        
          muette en présence de cette redoutable
        
        
          crise. Quant à moi, qui ai.l'intention de vous
        
        
          exposer aussi rapidement et aussi objective–
        
        
          ment que possible ees é v é n eme n t s et les so-
        
        
          lulions qui me semblent devoir être pour–
        
        
          suivies, je ne ferai pas difficulté de recon–
        
        
          naître que, j ' o b é i s en partie au légitime désir
        
        
          de venir en aide à ces populations d'Orient
        
        
          dont les souffrances sord, un scandale et aux–
        
        
          quelles l'Europe, en dehors même des titres
        
        
          irrécusables que leur conféraient déjà et le
        
        
          droit des gens et l'humanité, a constitué un
        
        
          droit positif, écrit, garanti par les traités.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Applaudissements
          
        
        
          
            à gauche et à
          
        
        
          
            l'exirême-
          
        
        
          
            guuche.)
          
        
        
          Mais, je n'oublie pas non plus que je dois
        
        
          me placer essentiellement ici au point de
        
        
          vue de l'intérêt de la France qui est insépa–
        
        
          rable en ce cas de l'intérêt de notre clientèle
        
        
          d'Orient et de l'intérêt de la paix. Il ne s'agit
        
        
          pas i c i d'un d é b a t purement a c a d ém i q u e ,
        
        
          d'un tournoi de diplomatie conjecturale ; i l
        
        
          s'agit de l'examen d'une diplomatie mena–
        
        
          çante qui est avouée, proclamée par la
        
        
          diplomatie officielle et IIOU<Ï devons recher–
        
        
          che!' les meilleurs moyens de prévenir une
        
        
          explosion qui semble probable et prochaine.
        
        
          Aussi bien j ' e s p è r e qu'on voudra bien
        
        
          m ' é p a r g n e r la fin de non-recevoir qu'on nous
        
        
          oppose sans cesse sous la l'orme de cet argu–
        
        
          ment : Sans doute vos idées sont très nobles,
        
        
          très g é n é r e u s e s ; c'est un très bel i d é a l ;
        
        
          mais l'idéal n'est pas de ce monde.
        
        
          Eh bien ! j ' a i la prétention de me placer
        
        
          aujourd'hui sur le terrain des laits, des inté–
        
        
          rêts directs et immé d i a t s de la Fiance ; si je
        
        
          suis tout disposé à r e c o n n a î t r e qu'il ne suffit
        
        
          pas d'enrôler le sentiment au service de sa
        
        
          thèse, je demande aussi qu'on veuille bien
        
        
          r e c o n n a î t r e avec moi qu'il ne suffit pas,
        
        
          pour que la raison ait tort, qu'elle soit d'ac–
        
        
          cord avec le sentiment.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Applaudissements à
          
        
        
          
            Vextrême-gauche
          
        
        
          
            et sur divers bancs à gauche.)
          
        
        
          Actuellement, ce qui importe, c'est de re–
        
        
          chercher, abstraction faite, non pas de la l o i
        
        
          morale qu i est une force de premier ordre et
        
        
          avec laquelle i l faut toujours compter, mais
        
        
          abstraction faite de tout appet à la sensibi–
        
        
          lité, si les arguments que nous allons vous
        
        
          apporter sont justes, si l'expérience les appuie
        
        
          et s'ils sont conformes aux d o n n é e s du pro–
        
        
          blème.
        
        
          Pour moi, je ne rechercherai les éléments
        
        
          de l'exposé rapide que je veux faire, des so–
        
        
          lutions que je vous soumettrai, que dans les
        
        
          Livres Jaunes ou Bleus, et en général dans
        
        
          les publications officiefles.
        
        
          L a vérité officielle est souvent très au-
        
        
          dessous de la réalité. Mais, dans le cas p r é –
        
        
          sent, elle me suffit pour d émo n t r e r à la fois
        
        
          la gravité incomparablement me n a ç a n t e des
        
        
          é v é n eme n t s qui se p r é p a r e n t et. j ' a i le regret
        
        
          de le dire, l'insuffisance radicale non pas des
        
        
          solutions mais des expédients qu'on offre
        
        
          une fois de plus à l'Orient, à l'Europe et au
        
        
          monde civilisé.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Applaudissemenisà
          
        
        
          
            lexlrême-
          
        
        
          
            gauche el sur divers bancs à gauche.)
          
        
        
          M . de P r e s s e n s é , a p r è s u n e x p o s é de la
        
        
          situation en Ma c é d o i n e , critique le projet
        
        
          de r é f o r me s austro-russe. Il ajoute :
        
        
          Je pourrais, messieurs, poursuivre à l'in–
        
        
          fini l'examen des détails et la critique du
        
        
          projet. Mais je m ' a r r ê t e parce que j ' a i des
        
        
          faits plus importants à signaler et des fautes
        
        
          plus graves commises à la face de l'Europe,
        
        
          et qui sont autant d'outrages à la conscience
        
        
          du monde civilisé. Nous nous imaginions
        
        
          qu'il y avait une province de Turquie qui
        
        
          avait acquis assez c h è r eme n t le droit de
        
        
          priorité et la mise à l'ordre du jour de la d i –
        
        
          plomatie e u r o p é e n n e — c'est l'Arménie —
        
        
          dont le martyr n'a pourtant pas cessé, qui,
        
        
          après les massacres et saignée à blanc, est
        
        
          encore en proie aux même s souffrances.
        
        
          Vous l'avez éliminée des négociations ac–
        
        
          tuelles. Et vous ne voyez pas, et l'Europe ne
        
        
          voit pas que c'est un outrage à sa propre
        
        
          conscience!
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Applaudissements à gauche, el à
          
        
        
          
            Vextrême gauche.)
          
        
        
          C'est un triomphe bien
        
        
          doux, a s s u r éme n t , qu'on a a s s u r é là au sul–
        
        
          tan. Que recherche-t-il depuis sept ans?
        
        
          Qu'a-t-il obtenu maintenant? 11 a lassé notre
        
        
          patience, i l n'a pas opposé des refus aux
        
        
          demandes des puissances ; i l a multiplié les
        
        
          belles paroles, i l nous a p r ome n é s de pro–
        
        
          messes en promesses, de p s e u d o - i r a d ô s en
        
        
          p s e u d o - i r a d é s .
        
        
          Actuellement, nous cessons de l u i parler
        
        
          de-cette affaire; nous lui disons : « Il y a un
        
        
          moment où devant ce crime, la conscience
        
        
          du monde civilisé s'était réveillée. Ce mo–
        
        
          ment est passé. Alors, nous vous avions de–
        
        
          ma n d é des comptes; nous vous avions mis
        
        
          en demeure — ce qui était notre droit de–
        
        
          puis longtemps, ce qui était notre devoir
        
        
          depuis les vêpres a r mé n i e n n e s — d'appli–
        
        
          quer i mmé d i a t eme n t dans son esprit et dans
        
        
          sa lettre l'article 61 du traité de Berlin ; eh
        
        
          bien ! vous avez vaincu ; nous n'en parlerons
        
        
          plus.
        
        
          Nous avions cette toile sur le métier, nous
        
        
          l'ôtons. Et nous allons nous livrer à je ne sais
        
        
          quel travail de Pénélope en défaisant avec le
        
        
          sultan, pendant le'jour, ce que nous aurons
        
        
          essayé de faire pendant la nuit.
        
        
          Voilà ce qui se passe à l'heure actuelle.
        
        
          Voilà le fruit de tant de d é c l ama t i o n s , de
        
        
          t émo i g n a g e s de sympathie, d'effusions lar–
        
        
          moyantes! L'Arménie n'est plus à l'ordre du
        
        
          jour !
        
        
          Ce qui rend plus intolérable ce résultat,
        
        
          messieurs, c'est que c'est la p r em i è r e fois
        
        
          depuis un siècle, après des é v é n eme n t s de ce
        
        
          genre, la Turquie n'a pas un c h â t i me n t à
        
        
          subir de l'humanité, à titre de compensation,
        
        
          un profit à recueillir.
        
        
          Oui, messieurs, a p r è s des é v é n eme n t s as–
        
        
          s u r éme n t moins graves que ceux d'Arménie,
        
        
          après qu'il avait coulé infiniment moins de
        
        
          sang, l'Europe avait toujours obtenu quelque
        
        
          avantage, a r r a c h é quelque projet pour les
        
        
          nationalités o p p r i mé e s de l'empire ottoman.
        
        
          Quand l'insurrection de la Grèce s'est pro–
        
        
          duite, i l y a eu aussi d'innombrables mas–
        
        
          sacres, et vous savez comment la conscience
        
        
          publique s'est révoltée et quelle expression
        
        
          incomparable elle a trouvée dans les voix
        
        
          des poètes Lamartine, Byron, Chateaubriand,
        
        
          Victor Hugo, Bé r a n g e r et de tant d'autres
        
        
          écrivains français et é t r a n g e r s . Cela n'a pas
        
        
          suffi ; i l a fallu, messieurs, la diplomatie,
        
        
          oui, la diplomatie de la Sainte-Alliance!
        
        
          la diplomatie d'une Europe qui luttait par–
        
        
          tout contre la Révolution envisagée comme
        
        
          l'esprit du mal, qui donnait mandat à la
        
        
          France d'aller l'écraser en Espagne ; à"l A u –
        
        
          triche, d'aller l'écraser en Italie ; à la Rus–
        
        
          sie, d'aller l'écraser en Pologne, et partout.
        
        
          Eh bien ! cette diplomatie de la légitimité
        
        
          et de la réaction, a été forcée par la cons–
        
        
          cience du monde civilisé à intervenir.
        
        
          Après Navarin, après qu'on eut brûlé —
        
        
          accident malheureux, disait Georges IV —
        
        
          la Hotte turque, on obtint la création d'un
        
        
          royaume grec. Ce fut un soulagement pour
        
        
          la conscience de l'Europe : ce fut le gage
        
        
          d'une ère nouvelle. En 187G, ce sont les atro–
        
        
          cités bulgares qui servent de prélude à une
        
        
          éma n c i p a t i o n . Elles étaient produites sur
        
        
          une échelle infiniment moins considérable
        
        
          que les massacres d'Arménie ; 28 à 30,000
        
        
          personnes avaient été assassinées par les
        
        
          soldats d'Abdul-Hamid et le cri d'indigna–
        
        
          tion et d'horreur, l'appel é l o q u e n t de Glads–
        
        
          tone retentit dans toute l'Europe. Quand la
        
        
          Russie eut t e rmi n é e la guerre de 1877, en–
        
        
          core qu'au c o n g r è s de Berlin on l'eût fait
        
        
          reculer et qu'on eût détruit une partie de
        
        
          son œu v r e , on n'en a pas moins achevé
        
        
          l'émancipation d'un grand nombre d'anciens
        
        
          sujets ottomans L a Roumanie est définiti–
        
        
          vement libre, la Serbie est libre, la Bu l –
        
        
          garie est créée, la Roumélie orientale a
        
        
          l'espoir, réalisé en six ans, de s'unir avec la
        
        
          Bulgarie.
        
        
          A l'heure actuelle, messieurs, alors que
        
        
          nous comptons non pas par milliers, ni
        
        
          par dizaines de milliers, mais par centaines
        
        
          de milliers de cadavres et que les victimes
        
        
          crient à nos oreilles leur inlassable protes–
        
        
          tation, est-ce, qu'il sera écrit q u ' a p r è s ces
        
        
          effroyables vêpres d'Arménie la seule chose
        
        
          que la diplomatie e u r o p é e n n e ait su l'aire,
        
        
          après de vaines et timides protestations,
        
        
          après des d éma r c h e s presque ignominieuses
        
        
          parce qu'elles n'étaient pas suivies d'action,
        
        
          c'a été de permettre au sultan de rencontrer
        
        
          en champ clos le petit royaume de Grèce
        
        
          et de le vaincre, lui et l'espoir légitime de
        
        
          l'hellénisme, en face de l'Europe tout en–
        
        
          tière !
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Applaudissements.)
          
        
        
          M . de P r e s s e n s é insiste ensuite sur la
        
        
          u é c e s s i t é d'un c o n t r ô l e e u r o p é e n :
        
        
          Je disais, messieurs, qu'il était indispen–
        
        
          sable de ne pas se contenter de l'espèce de
        
        
          squelette de réforme qui a été p r é s e n t é par
        
        
          la note austro-russe et qui a été a p p u y é , à la
        
        
          cantonade, par la d éma r c h e des autres puis–
        
        
          sances. Je vous ai indiqué rapidement les
        
        
          quelques points sur lesquels je croyais qu'il
        
        
          fallait l'aire porter principalement notre
        
        
          effort. Mais i l est une réforme qui est la plus
        
        
          essentielle, celle sans laquelle, à mon avis,
        
        
          les autres seraient vaines. Vous auriez beau
        
        
          rédiger un code qui serait fait non pour la
        
        
          terre, mais pour le paradis...
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Exclamations
          
        
        
          
            à droile.)
          
        
        
          Cela vous g ê n e ? J'efface le mot
        
        
          paradis par é g a r d pour la droite et je dis
        
        
          simplement que si ce code était conçu de
        
        
          façon à réaliser l'idéal des institutions
        
        
          humaines, i l n'aurait aucune valeur tant
        
        
          qu'on en laisserait l'exécution et l'applica–
        
        
          tion au sultan lui-même et à son gouverne–
        
        
          ment.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Très bien! très bien! « gauche.)
          
        
        
          11
        
        
          n'y a qu'une façon d'obtenir des réformes
        
        
          en Turquie, l'expérience l'indique. Chaque
        
        
          fois qu'au cours du siècle dernier une amé –
        
        
          lioration sérieuse a été a p p o r t é e au sort des
        
        
          populations, on ne s'est pas c o n t e n t é d'un
        
        
          iradé, d'un hattichérif de sultan, d'un tan-
        
        
          gimat, de toutes les constitutions et iradés
        
        
          qui ont été p r o d i g u é e s par le sultan ; on a
        
        
          d ema n d é qu'une Commission de c o n t r ô l e
        
        
          permanente fût instituée pour veiller à l'ap–
        
        
          plication des réformes promises, recevoir
        
        
          des rapports et avoir le droit d'intervenir.
        
        
          On l'a fait au Liban, on l'a fait pour la R o u –
        
        
          mélie orientale; on lofera pour la Macédoine
        
        
          ou on n'obtiendra rien.
        
        
          
            (
          
        
        
          
            Très bien! 1res bien!)
          
        
        
          Je ne suis pas le seul à proclamer des v é –
        
        
          rités de ce genre. Je pourrais d'abord me
        
        
          réfugier derrière l'autorité d'un homme qui
        
        
          a été, lui aussi, un r e p r é s e n t a n t du dogme
        
        
          de l ' i n d é p e n d a n c e et de l'intégrité de l'em–
        
        
          pire ottoman de la façon la plus éclatante.
        
        
          S'il est un homme qui ait j o u é un grand rôle
        
        
          dans l'histoire de la Turquie au cours du
        
        
          siècle dernier, c'est certainement ce fameux
        
        
          ambassadeur de la Grande-Bretagne, que
        
        
          l'on appelait le grand Eltchi, lord Stratford
        
        
          de Redcliffe, qui, depuis 1808 j u s q u ' à 1870,
        
        
          pendant cette période s i n g u l i è r eme n t pro–
        
        
          longée, a rempli à diverses reprises les fonc–
        
        
          tions d'ambassadeur sur le Rosphoro.
        
        
          En 1875, au soir de sa longue vie, dans une
        
        
          lettre qu'il adressait au
        
        
          
            Times,
          
        
        
          au moment
        
        
          où éclatait le cri d'angoisse et de douleur des
        
        
          Bulgares massacrés, lord Stratford de Red-
        
        
          ,
        
        
          cliffe a écrit : « Il ne faut pas s'y tromper, i l
        
        
          n'y a que deux moyens d'agir d'une façon
        
        
          efficace sur l'empire ottoman, c'est, d'une
        
        
          part, la pression exercée, du dehors au mo–
        
        
          ment opportun et, d'autre part, l'institution
        
        
          permanente d'un contrôle e u r o p é e n . »
        
        
          Fonds A.R.A.M