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La note Austro-Russe et le projet de M. Delcassé
NOTE AUSTRO- RUSSE
Les gouvernements d'Autriche-Hongrie et de Russie, animés
du désir sincère de voir écartées les causes de troubles qui se
produisent depuis quelque temps dans les vilayets de Salonique,
de Kossovo et de Monastir, sont persuadés que ce but ne saurait
être atteint que par l'application de réformes tendant à améliorer
les conditions des populations desdits vilayets.
Ainsi qu'il résulte des communications adressées récemment
par la Porte aux ambassadeurs résidant à Constantinople, le gou–
vernement ottoman a reconnu lui-môme la nécessité d'aviser aux
moyens de renforcer l'action des lois et de réprimer les abus.
En prenant acte de ces bonnes dispositions, les gouverne–
ments d'Autriche-Hongrie et de Russie ont cru cependant que,
dans l'intérêt du maintien de la tranquillité et de l'ordre dans les
contrées sus-mentionnées, il serait de la plus haute importance de
compléter les règlements nouvellement arrêtés, et, dans cet ordre
d'idées, ils sont tombés d'accord sur la nécessité de recommander
au gouvernement ottoman l'application de certaines dispositions
qui peuvent se résumer ainsi :
Pour assurer le succès de la mission confiée à l'inspecteur
général, celui-ci sera maintenu à son poste pour une période de
plusieurs années déterminée d'avance, et i l ne sera pas révoqué
avant l'expiration de cette période sans que les puissances soient
préalablement consultées. A ce sujet, il aura la faculté de se
servir, si le maintien de l'ordre public le rend nécessaire, des
troupes ottomanes, sans avoir chaque fois recours au gouverne–
ment central.
Les valis seront tenus de se conformer strictement à ses
instructions.
Pour la réorganisation de la police et de la gendarmerie, le
gouvernement ottoman se servira du concours de spécialistes
étrangers.
L a gendarmerie sera composée de chrétiens et de musulmans
dans une proportion analogue à celle des populations des localités
en question.
Les gardes champêtres seront chrétiens là où la majorité de la
population est chrétienne, vu les vexations et les excès dont la
population chrétienne n'a eu que trop souvent à souffrir de la
part de certains malfaiteurs arnautes et vu que les crimes et les
délits commis par ces derniers restent dans la plupart des cas
impunis. Le gouvernement ottoman avisera sans retard aux
moyens de mettre fin à cet état de choses.
Les nombreuses arrestations opérées à la suite des derniers
troubles dans les trois vilayets y ayant excité les esprits, le gou–
vernement ottoman, pour accélérer le retour à la situation nor–
male, accordera une amnistie à tous les accusés ou condamnés
pour faits politiques, ainsi qu'aux émigrés.
Pour assurer le fonctionnement régulier des institutions
locales, le budget des revenus et dépenses sera dressé dans chaque
vilayet et les perceptions provinciales contrôlées par la Banque
ottomane seront destinées en premier lieu aux besoins de l'admi–
nistration locale.
Le paiement des services civil et militaire, y compris le mode
de perception des" dîmes, sera modifié et l'affermage en gros sera
aboli.
L E PROJ E T DE M. DELCASSE
Le Ma r qu i s
D E R E V E R S E A U X ,
Ambassadeur de la Ré p u b l i q u e
F r a n ç a i s e à Vienne,
à M .
D E L C A S S É ,
Ministre des Affaires é t r a n g è r e s .
V i e n n e , le 3i d é c e m b r e
1902.
Le comte Lamsdorf, arrrivé hier soir à Vienne, a eu, dès hier
matin, une longue entrevue avec le comte Goluchowski d'abord,
et avec l'Empereur ensuite, dans laquelle ils ont échangé leurs
idées : i° sur la nécessité d'améliorer le sort des chrétiens en
Macédoine, et
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sur les moyens les plus propres à obtenir ce
résultat sans rien changer au
statu quo,
et sans attenter aux droits
souverains du Sultan sur cette province de son Empire.
Le comte Lamsdorf a bien voulu me donner lui-même les
informations qui suivent. Ses conversations avec l'Empereur et
le comte Goluchowski l'ont convaincu de la concordance de leurs
vues avec les siennes sur la nécessité de faciliter au Sultan des
réformes qu'il ne puisse refuser, et qui le rassurent, en même
temps, sur le respect de ses droits. Ces réformes doivent porter
sur la perception des dîmes et sur la réorganisation de la gendar–
merie, dans laquelle seraient admis
effectivement
des éléments
chrétiens, sans que ces derniers soient astreints à savoir lire et
écrire en turc. Ensuite, comme garantie de l'exécution de ces
réformes, il faudrait que l'administrateur, délégué par le Sultan,
eût des pouvoirs assez indépendants pour assumer la responsa–
bilité de ses fonctions, et choisir des collaborateurs, qui dépen–
draient exclusivement de l u i .
Telles
ases sur lesquelles l'accord s'est fait avec le
Gouvernement autrichien, et qui répondent entièrement aux vues
de Votre Excellence.
Le comte Goluchowski, que je viens de voir, m'a confirmé
qu'il était pleinement d'accord avec son collègue de Russie sur le
principe et les moyens d'une action à Constantinople.
REVERSEAUX.
M .
D E L C A S S É ,
Ministre des Affaires é t r a ng è r e s ,
à M .
B A P S T ,
Ch a r g é d'affaires de France à Constantinople.
Paris, le 3 j a n v i e r icp3.
L'Ambassadeur de Turquie, d'ordre de son Gouvernement, a
exprimé le désir de connaître la manière dont le Gouvernement
de la République envisage la situation de la Macédoine, qui
préoccupe vivement, a dit Mun i r Bey, la Sublime Porte. Il lui a
été répondu qu'il n'est que temps pour la Turquie de réaliser en
Macédoine des réformes aussi importantes et aussi complètes que
possible. Si elle persiste dans son inertie, les populations excitées
se soulèveront, la question d'Orient risque de se rouvrir et la solu–
tion en sera, comme toujours, un démembrement de l'Empire
ottoman.
Plusieurs réformes administratives et financières ont été pré–
sentées à Mun i r Bey :
D'abord, le choix d'un bon gouverneur général, qu'il convien–
drait de nommer pour plusieurs années afin de lui donner l'indé–
pendance et une réelle autorité sur tous les fonctionnaires qui ne
pourraient correspondre avec Constantinople que par son inter–
médiaire.
Les procédés des collecteurs de dîmes devraient être sérieuse–
ment réglementés, contrôlés sévèrement, et le paysan mis à l'abri
de leurs exactions.
Chaque province devrait avoir son budget spécial, de manière
à supprimer l'usage établi jusqu'ici et en vertu duquel le Palais
ou l'Administration centrale à Constantinople tire directement
par « havalé» sur les caisses des provinces; les perceptions pro–
vinciales seraient affectées aux dépenses provincialas et le surplus
seulement, s'il y en avait, irait à l'Etat.
L a gendarmerie devrait être organisée et payée suffisamment
et avec régularité; elle serait composée de chrétiens et de musul–
mans dans une proportion analogue à celle des populations de la
province et aurait à sa tête des chefs européens.
D'ailleurs, ce ne seraient pas seulement les corps de gendar–
merie, mais aussi l'Administration de la Justice et celle des
Finances qu'il y aurait lieu de soumettre à une inspection euro–
péenne.
On a, d'autre part, fait remarquer à l'Ambassadeur ottoman
que la gestion du Conseil de la Dette et de la régie des Tabacs
prouve que les Ottomans sont aptes à devenir de bons employés
sous une direction européenne.
Mu n i r Bey a pris acte de ces diverses indications et a dit qu'il
en ferait l'objet du rapport que son Gouvernement lui a demandé
d'adresser à ce sujet à Constantinople.
DELCASSÉ.
Livre Jaune.
Affaires de M a c é d o i n e .
Fonds A.R.A.M