vons vraiment quelle sera notre fin. I l ne
faudrait pas que mon cœur fût plein d'an–
goisses, car j'aurais pu vous écrire tous
les détails ; mais hélas ! nous sommes de–
venus comme des ivrognes.
Ma sœur a payé
60
piastres (environ
i5 francs) sur cinq medjidiés(ioopiastres)
qu'elle avait reçus. On monta l a dette de
notre impôt à l a somme de 3oo francs.
Le percepteur nous a pris G kilés de blé
en échange (le kilé vaut environ
180
kilos i c i et ailleurs un peu moins). Nous
l'avons supplié beaucoup de nous laisser
achever les meules, et nous avons de–
mandé un délai jusqu'à son retour, pour
donner
200
piastres et sauver ainsi les
6
kilés de blé, qui constituent notre moyen
de vie, pour l'année. C'en est fait de nous !
On nous prend du blé pour
4
piastres
en échange de dette et d'impôts. L'année
passée, on nous envoya
100
kilés de blé
comme avance, à raison de
200
piastres
le kilé ; maintenant on nous prend
4
kilés
pour un. Le pauvre peuple retourne chez
lui en pleurant, sans avoir un peu de blé.
Cette lettre indique l'une des causes
les plus fréquentes de la misère or–
ganisée en Anatolie par ordre du
Sultan : l'usure sur les semences
lors des massacres, les provisions
de blé des Arméniens furent sys–
tématiquement anéanties. Depuis lors,
on leur « prête » la semence en
nature avec un intérêt de 400, 500 et
1,200
pour 100 en certains endroits ;
la récolte venue, les accapareurs — la
plupart fonctionnaires turcs — s'em–
parent de la presque totalité du blé et
prétendent encore recevoir de l'argent.
Bien entendu le gouvernement n'en
perçoit pas moins, souvent à plusieurs
reprises, l'impôt «ord i na i r e ».
(
A suivre.)
NOUVELLES D'ORIENT
E s
MACÉDOINE.
L ' u n des plus sûrs
moyens de domination du gouvernement
turc est de pratiquer l a veille devise :
Di-
vide ut imperes.
E n Macédoine, i l met à
profit les rivalités de race pour écraser
ceux de ses adversaires qui l u i semblent
le plus redoutables sous les prétextes les
plus divers.
Le
20
novembre, les habitants de Ga -
bresch adressèrent une pétition au sous-
préfet de Kastoria -pour demander à re–
lever désormais de l'exarque bulgare et
non du patriarche grec du Phanar. L a ré–
ponse ne tarda point: le lendemain
21
no–
vembre, un corps de gendarmerie envahit
Gabresch et arrêta tous les notables, qui
sont encore en prison.
Le
4
décembre, arrestation de vingt
paysans d'Obitza qui avaient chanté en
slave à l'église de leur village.
A u commencement du mois, l a gendar–
merie de Coumanovo a fait une tournée
dans les villages chrétiens : là, comme en
Armén i e , la venue de garnisaires est tou–
jours accompagnée de vexations et
d'exactions sans nombre : perquisitions,
arrestations, voyageurs dévalisés, tou–
jours sous couleur de rechercher des
Co-
mitas.
Depuis le 3o novembre, les villages
de Vintchi et de Gradichti sont soumis à
ce régime.
A Palouchentzi, un certain Gheorghi et
quatre de ses camarades eurent l'audace
de refuser leurs parentes aux caprices des
gendarmes. Ceux-ci laissèrent de force
chez l u i un fusil qu'ils r e t r ouvè r en t aisé–
ment quelques jours après en perquisi–
tionnant. Gheorghi et ses camarades sont
en prison comme révolutionnaires.
A Paloutchenco, vingt-huit personnes
arrêtées pour
une bagarre datant de
1897.
A Coumanovo même , i l ne se passe pas
dejours sans arrestations ou perquisitions;
les instituteurs en particulier sont les vic–
times toutes désignées de la police turque.
Tel est, d'après notre excellent confrère
macédonien
l'Effort,
le bilan des dernières
semaines en ce malheureux pays.
M . LoUBET ET
LES FONDS TURCS.
Les
journaux turcs
Maluniat
et
Ikdam
ont
publié le
18
janvier, un communiqué offi–
ciel sur la prospérité du budget ottoman.
I l n'y aurait point à en tenir grand
compte si outre les ordinaires contre-vé–
rités, on n'y rencontrait un passage cjui
vise à compromettre l'honorable M . Lou -
bet. Vo i c i ce texte édifiant :
lf est certain que le plus grand désir de Sa
Majesté, c'est de consolider le crédit finan–
cier de l'Empire ottoman, d'équilibrer le
budget et de payer régulièrement soit les ap–
pointements des fonctionnaires soit ceux des
militaires. Une commission a été formée
dans ce but. Quoiqu'on se trouvât dans une
saison où la perception des revenus est ar–
rêtée, néanmoins grâce aux mesures prises,
la susdite commission qui se réunit dans le
palais impérial, a pu, selon le désir de Sa
Majesté, payer les appointements de Rama-
zan
f
et de Baïram ainsi que des sommes
pour diverses dépenses. Cette commission,
aux travaux de laquelle prendront part aussi
Zihni pacha, ministre du commerce, Ghalib
pacha, ministre d'Evkaf (biens ou revenus
alloués aux fondations pieuses), Zuhdi pa–
cha, ministre de l'instruction publique, exa–
minera désormais les budgets de chaque ad–
ministration du gouvernement dans le but de
les équilibrer, trouvera de nouvelles sources
de revenus, prendra des mesures pour ne
pas être obligée de signer de nouveaux em–
prunts et travaillera pour le payement régu–
lier des appointements. Un iradé impérial a
ordonné en même temps aux autres minis–
tères de prêter leur concours à la susdite
commission qui fera tout son possible pour
réaliser la volonté de SaMajesté. D'autres
membres seront ajoutés à la susdite com–
mission, s'il y a lieu.
Nous avons parlé plusieurs fois du pro–
grès des différentes branches de l'adminis–
tration ottomane,grâce à l'initiative et à l'es–
prit éclairé de Sa Majesté le Sultan. L'état
du budget impérial a suivi le même progrès.
Les prix des actions ottomanes ont haussé
au point d'inspirer une grande confiance par–
tout. En Erance, surtout, d'après tes der–
nières nouvelles, les actions ottomanes sont
recherchées partout.
Pendant une réception
au Palais de l'Elysée, M. Loubet, président
de la République, dans un entretien avec
Munir bey, ambassadeur ottoman, a parlé
avec estime de l'étal des actions ottomanes,
en disant que la hausse des prix ira en aug–
mentant comme le font prévoir les circons–
tances.
Nous sommes très satisfaits d'ap–
prendre qu'une telle satisfaction a été expri–
mée par le Président d'un gouvernement qui
occupe la première place dans le monde bud–
gétaire. Cette situation favorable, nous la
devons à la haute initiative de Sa Majesté le
Sultan, grâce à qui on a pu arriver à cet état
prospère.
Certes Mu n i r bey n'en est pas à un
mensonge près et i l peut avoir attribué à
M . Loubet un langage qui n'a jamais été
tenu par celui-ci ou avoir déna t u r é des
paroles de simple courtoisie. Mais i l est
intolérable que cet ambassadeur discré–
dité, qui à Constantinople espionnait
l'ambassade de France pour le compte du
Palais et le Palais pour le compte de l'am–
bassade de France, représente le prési–
dent de la République française comme
un agent du Sultan préposé à signaler l a
hausse des fonds turcs. C'est déjà beaucoup
qu'il se vante d'avoir acheté toute l a
presse française, alors qu'il n'en a acheté
qu'une partie. Cette ibis l'insinuation
porte trop haut : elle doit être sévèrement
répudiée. I l faut qu'un autre commun i qué
officiel déclare que Mu n i r bey a menti ; i l
faut que ce diplomate soit chassé pour
avoir fait tenir à M . Emile Loubet un
langage contraire à l'honnêteté et au bon
sens. Le plus humble portefaix de Stam–
boul estimerait sans cela que le président
de la République française est un person–
nage ou fort corrompu ou grandement
inepte pour louer ainsi les finances otto–
manes, alors que les même s
Malumat
et
Ikdam
enregistrent un nouvel emprunt
du gouvernement impérial : 5o,ooo livres
à la Dette publique ;
80,000
livres à l a
Banque ottomane.
L a France joue déjà un rôle assez effacé
en Orient : qu'on ne laisse pas croire, en
Fonds A.R.A.M