DE TCHIMICH-KAZAKH ET DE DIVRIGH
        
        
          
            LETTRE DE TCHIMICH-KAZAKH
          
        
        
          T c h i m i c h - K a z a k h ,
        
        
          0-18
        
        
          novembre
        
        
          1900.
        
        
          Tchimich-Kazakh est un chef-lieu de
        
        
          Caza à une distance de trois heures de la
        
        
          montagne de De r s im, centre des tribus
        
        
          kurdes révoltées.
        
        
          Tchimich-Kazakh contient outre les Kur–
        
        
          des, près de
        
        
          40,000
        
        
          habitants, dont 3,
        
        
          000
        
        
          Turcs et
        
        
          10,000
        
        
          Armé n i e n s . Une partie des
        
        
          Arméniens se trouvent établis en ville, le
        
        
          reste dans les villages, au nombre de
        
        
          vingt environ. Le pauvre peuple travaille
        
        
          toute l'année, et quand les jours appro–
        
        
          chent où i l doit jouir plus ou moins du
        
        
          produit de son travail, les Kurdes, b r i –
        
        
          gands sauvages, viennent piller et em–
        
        
          porter tout : les pauvres paysans se trou–
        
        
          vent encore affamés, nus et misérables.
        
        
          Pendant que le laboureur travaille dans
        
        
          son champ, ils arrivent tout à coup, ils
        
        
          lui attachent les pieds et les mains ; ils
        
        
          lui volent ensuite son bœuf, son cheval et
        
        
          son mulet, etc. : le pauvre homme rentre
        
        
          chez l u i les mains dans les poches. L a
        
        
          nuit ils entrent dans les maisons après
        
        
          avoir percé le mur ; ils pillent tout ce
        
        
          qu'ils trouvent ; quand le propriétaire se
        
        
          réveille en sursaut et essaye quelque ré–
        
        
          sistance, la balle du fusil est prête pour
        
        
          l u i . I l n'y a n i tranquillité, n i sécurité de
        
        
          vie. Le pauvre peuple arménien, déses–
        
        
          péré, s'adresse au gouvernement local; le
        
        
          gouvernement, au lieu de tourner son
        
        
          attention vers les pleurs et les gémisse–
        
        
          ments du peuple, et d'adoucir autant que
        
        
          possible ses souffrances, l u i aussi persé–
        
        
          cute les Armén i en s systématiquement.
        
        
          Les .Kurdes et le gouvernement, semble-
        
        
          t-il, poussés par le même but, travaillent à
        
        
          l'anéantissement des Armé n i e n s .
        
        
          L a cruauté est portée au dernier degré.
        
        
          L'état du peuple a rmén i en est devenu
        
        
          intolérable. Le gouvernement du lieu ne
        
        
          veut pas entendre la voix du peuple ; que
        
        
          de fois les Armén i en s se virent obligés de
        
        
          s'adresser à l'évêque du lieu, qui a écrit à
        
        
          différentes reprises au Patriarcat, mais
        
        
          en vain. Le gouvernement a commencé à
        
        
          percevoir les impôts de cinq ans en une
        
        
          seule fois, bien que le Sultan en eût soi-
        
        
          disant fait remise. Le peuple a rmén i en ne
        
        
          saurait plus supporter toutes ces injus–
        
        
          tices et ces cruautés. Les vingt villages se
        
        
          virent obligés de choisir chacun un re–
        
        
          présentant, de s'adresser au gouverne–
        
        
          ment central en suppliant qu'on adoucisse
        
        
          un peu la perception des impôts.
        
        
          Ordre fut donné au Ka ïma k ama t de
        
        
          Tchimich-Kazakh qu'en prenant en consi–
        
        
          dération l'état matériel du peuple, on cesse
        
        
          les sévérités de la perception des impôts.
        
        
          Peu de temps après,
        
        
          
            
              conformément
            
          
        
        
          
            
              à
            
          
        
        
          
            
              un ordre venu de la Sublime Porte de
            
          
        
        
          
            
              Constantinople, on recommença à perce–
            
          
        
        
          
            
              voir impitoyablement le reste des impôts,
            
          
        
        
          sans épargner le pauvre et le misérable :
        
        
          Si l'on a de l'argent, on doit payer ; si
        
        
          l'on n'en a pas, on prend le cheval, le
        
        
          mulet, le bœuf, le mouton, etc., en échange
        
        
          de l'impôt. A défaut de tout cela, le mobi–
        
        
          lier de la maison.
        
        
          Le pauvre paysan a rmén i en pleure et
        
        
          supplie, mais qui va é c ou t e r ? Ils ont des
        
        
          oreilles et ils n'entendent pas. N'oublions
        
        
          pas de dire que l'Arménien, en échange
        
        
          du service militaire, paye un impôt au
        
        
          gouvernement turc. Conformément à la
        
        
          loi établie par les souverains turcs, un
        
        
          enfant mâle arrivé à l'âge de quinze ans
        
        
          devait payer trente piastres, j u s qu ' à sa
        
        
          mort, cela jusqu'au règne du sultan Hamid.
        
        
          Aujourd'hui on n'attend plus l'âge de
        
        
          quinze ans ; dès la naissance de l'enfant
        
        
          on commence à percevoir cet impôt mi l i –
        
        
          taire, en ajoutant aussi quatorze piastres
        
        
          sur les trente, ne prenant nullement en
        
        
          considération l'état misérable de l a popu–
        
        
          lation.
        
        
          
            
              Tous les impôts sont ainsi perçus,
            
          
        
        
          
            
              augmentés d'une nouvelle somme.
            
          
        
        
          C'était au mois de septembre qu'on a
        
        
          recommencé à percevoir les impôts ; le
        
        
          pauvre peuple n'a rien à donner, mais
        
        
          qu'importe? On emporte le mobilier de l a
        
        
          maison, et si une certaine résistance est
        
        
          opposée par quelqu'un, on le punit de bas–
        
        
          tonnade et d'emprisonnement. A qui doit-il
        
        
          raconter ses souffrances, le pauvre paysan;
        
        
          personne de l'écoute : vie insupportable !
        
        
          Six agents de police étaient allés à la
        
        
          campagne de Damssa pour percevoir des
        
        
          impôts. Ils se rendent chez un muletier
        
        
          pour réclamer de l'argent. Le muletier
        
        
          étant parti pour Halep était absent de
        
        
          chez l u i ce jour. Sa femme r épond qu'elle
        
        
          n'a pas d'argent et qu'ils doivent attendre
        
        
          une dizaine de jours, jusqu'au retour de
        
        
          son mari.
        
        
          Les agents, ne prenant nullement en
        
        
          considération la réponse légitime de l a
        
        
          femme, entrent dans la maison pour em–
        
        
          porter le mobilier; la femme s'y oppose ;
        
        
          les agents la frappent à l a tête et la lais–
        
        
          sent à moitié morte. Ils emportent tout le
        
        
          mobilier de quelque valeur.
        
        
          U n des habitants de la campagne,
        
        
          membre d'une famille illustre, Adjemian
        
        
          Mardirosse, intervient, et s'adressant aux
        
        
          agents, leur dit que c'est de l'injustice ce
        
        
          qu'ils font là et qu'ils doivent attendre
        
        
          l'arrivée du mari. Les agents, après avoir
        
        
          donné une belle bastonnade au jeune
        
        
          homme et l'avoir blessé en plusieurs en–
        
        
          droits, le laissent pareillement à moitié
        
        
          mort ; on emploie la même mesure pour
        
        
          tous les habitants de la campagne.
        
        
          Les pauvres Armé n i e n s ne pouvant plus
        
        
          patienter, s'adressent au Ka ïmakama t du
        
        
          lieu, protestent contre les agissements
        
        
          illicites des agents ; mais personne ne les
        
        
          écoute.
        
        
          Le gouvernement r épond qu'ils doivent
        
        
          payer les impôts conformément à l'ordre
        
        
          donné .
        
        
          Le peuple a rmén i en , désespéré, émi–
        
        
          gré à l'étranger, spécialement en Amé–
        
        
          rique, etc. Ce qui est encore plus regret–
        
        
          table, c'est qu'on n'autorise pas non plus
        
        
          l'émigration; mille difficultés pour les
        
        
          passeports, des interrogatoires sévères,
        
        
          des emprisonnements, et quelquefois ne
        
        
          respectant pas même le passeport'régulier
        
        
          donné par le gouvernement local, on fait
        
        
          rebrousser chemin à moitié route. On ré–
        
        
          clame l'impôt au peuple et on ne tolère pas
        
        
          que le peuple aille à l'étranger gagner de
        
        
          l'argent pour le payer.
        
        
          Je voulais écrire plus longuement, mais
        
        
          que faut-il écrire ? Je ne pourrais pas
        
        
          finir de raconter tout ; notre situation est
        
        
          devenue insupportable. Le lecteur ne
        
        
          peut pas se faire une idée juste de notre
        
        
          situation, aussi long et aussi énergique
        
        
          que soit un écrit.
        
        
          Cependant i l peut s'imaginer quel doit
        
        
          être l'état d'un peuple qui est env i r onné
        
        
          de deux nations sauvages et barbares.
        
        
          Kurdes et Turcs, réunis, sucent notre
        
        
          sang.
        
        
          Tchimich-Kazakh est l'un des cazas
        
        
          du sandjak de Dersim : i l est probable
        
        
          que notre correspondant donne ici le
        
        
          chiffre de la population totale du sand–
        
        
          jak et non celle du caza seul qui attein–
        
        
          drait seulement un peu plus de
        
        
          11,000
        
        
          âmes.
        
        
          Les Kurdes de cette région sont en
        
        
          effet à peu près indépendants du gou–
        
        
          vernement turc, assez voisins par la
        
        
          race, par les mœu r s et par leurs tra–
        
        
          ditions religieuses semi-chrétiennes
        
        
          des populations arméniennes qu'ils
        
        
          oppriment cependant.
        
        
          Ils refusent au Sultan le service
        
        
          militaire et l'impôt, notamment dans
        
        
          les districts de Kotitou Déressi et de
        
        
          Kouzitchan.
        
        
          
            LETTRE DE DIVRIGH
          
        
        
          D i v r i g h (campagne Ouets),
        
        
          
            25
          
        
        
          septembre.
        
        
          Notre état nécessiteux est arrivé au der–
        
        
          nier degré. Le percepteur de la Porte
        
        
          emporte tout notre blé en échange de
        
        
          l'impôt militaire des quatre années pré–
        
        
          sente et passées. L'impôt de chacun monte
        
        
          à l a somme de 3oo à
        
        
          
            700
          
        
        
          piastres. I l y en a
        
        
          qui doivent même
        
        
          
            1,000
          
        
        
          piastres, car i l
        
        
          s'agit d'un impôt de dix ans ; i l n'y a n i
        
        
          écrit, n i preuve. Oh ! frères, nous ne sa-
        
        
          Fonds A.R.A.M