semble que là, comme en A r m é n i e se
poursuive avec une m é t h o d e i r r é d u c t i b l e
et farouche, l'extermination des Bulgares
de la Ma c é d o i n e .
Un cri a retenti dans les Ba l k a n s , « la
Ma c é d o i n e aux Ma c é d o n i e n s ». 11 finirait
par ê t r e imprudent pour l ' Eu r op e de rester
sourde.
En A r m é n i e , la situation n'a pas c h a n g é
et durant toute l ' a n n é e q u i vient de s ' é c ou –
ler comme en 1901, lesmalheureusespopu–
lations du vilayet d ' E r z e r o um dans le
Sandjak de Mo u c h et le district de Sas–
soun notamment — car sur ces points nous
sommes r e n s e i g n é s — n'ont cessé d ' ê t r e
les victimes des plus abominables méfaits
de l a part des Ku r d e s H a m i d i é s sous les
yeux bienveillants de la Russie, et avec
l'aide des Tu r c s qu i poursuivent dans ces
r é g i o n s d é s o l é e s leur politique d'extermi–
nation par petits paquets. Les exactions,
les i mp ô t s p r é l e v é s c i nq et six fois, les
razzias, les viols, les tortures de toutes
sortes et les meurtres remplissent les rap–
ports officiels et i l ne s ' é c ou l e pas de jours
sans que les a t r o c i t é s les plus r é v o l t a n t e s
ne se r é p è t e n t , au mi l i e u des troubles, des
é m i g r a t i o n s et de la conversion à l'Isla–
misme de villages entiers. A Constanti–
nople, on s'efforce de dissimuler, sous le
couvert de mesures d'ordre, et sous p r é –
texte de r é p r e s s i o n des crimes des fédaïs
ou autres, tous les actes de sauvage bar–
barie q u i s'accomplissent — quand on ne
r é u s s i t pas, g r â c e à l'interception des rap–
ports et des lettres, à les cacher c omp l è –
tement. Partout l ' i mp u n i t é est a s s u r é e aux
actes de brigandage et de meurtre qu i
r é s u m e n t toute l a politique d u sultan
rouge.
Il y a là u n ma l q u i se p e r p é t u e et u n
p é r i l dont ne saurait s ' émo u v o i r plus que
de raison l ' Eu r op e qu i veut la paix, mais
q u ' i l n'est pas possible de m é c o n n a î t r e .
Les puissances d'ailleurs, ne doivent pas
oublier qu'elles ont a c c e p t é u n devoir de
civilisation, q u i les oblige tout au moins à
faire a u p r è s du gouvernement ottoman
d ' é n e r g i q u e s et r é i t é r é e s r e p r é s e n t a t i o n s ,
plus é n e r g i q u e s encore que celles déjà
faites par la France et au besoin à les
appuyer. I l leur appartient de jeter sur
l'incendie qu i couve l a cendre n é c e s s a i r e
pour l ' é t o u l l e r et pour faire t r i omph e r
dans les Ba l k a n s , comme en A r m é n i e
contre une politique de fanatisme religieux
et de sang, la politique du droit et de l ' h u –
m a n i t é . -
SOUVENIRS CHIRURGICAUX
nt'fi
Massacres
Arméniens d e Constantinople e n 1896
(
SU I TE )
Le vendredi
28
a o û t
1896,
a p r è s avoir
fait voir nos blessés au c h a r g é d'affaires
de France, nous e ûme s avec un autre
mé d e c i n , le triste privilège d'accom–
pagner le c h a r g é d'affaires au cimetière
a r mé n i e n le plus vo i s i n .
Nous n'oublierons jamais ce specta–
cle
!
Dans un vaste coin, encore inoc–
cupé du cimetière, quelques
450
ou 5oo
cadavres gisaient sur le sol
par tas
de
4
à
10
ou
12,
suivant la contenance
des voitures et tombereaux de la voirie
qui les avaient ame n é s et jetés à terre
comme des tas de balayures ou de fu–
mier. Nous d ûm e s soutenir sous les
bras nos compagnons pendant cette
t o u r n é e macabre.
Mais quel spectacle que ces corps
parfois nus, aux v ê t eme n t s toujours
dé ch i r é s et souillés de sang, ces corps
couverts de blessures, les ventres lais–
sant é c h a pp e r les entrailles et les têtes
mé c o n n a i s s a b l e s , effroyables sous les
coups innombrables dont elles étaient
frappées. Quel spectacle que ces visages
sans vie couverts de meurtrissures, ces
c r â n e s , t a n t ô t largement ouverts, sai–
gnants, aplatis, n'ayant plus forme
huma i ne . Les quatre membres pres–
que toujours brisés en plusieurs mo r –
ceaux prenant des positions atroces
de polichinelles dé s a r t i cu l e s ! Ri en ne
peut donner une idée de la furie avec
laquelle les massacreurs avaient tra–
vaillé. Nous pouvons assurer que notre
tête de mé d e c i n , déjà rompue au mé t i e r ,
eut à supporter ce jour-là une rude
ép r euve
Et pourtant nous voulions passer en
revue tous ces corps et chercher si
pa rmi eux un malheureux ne vivait
pas encore. Ce fut bien inutilement
h é l a s ! que nous p a s s âme s et repas–
s âme s "devant tous ces tas de cadavres.,
le travail était a chevé et bien a chevé .
D' ap r è s des renseignements très précis,
environ
1,200
corps avaient déjà été
e n t e r r é s et une centaine de fossoyeurs
travaillaient avec ardeur sous la sur–
veillance d'un officier à creuser de
nouvelles t r a n c h é e s .
Un puits de
35
mè t r e s de profondeur
était rempli j u s q u ' à la gueule par des ca–
davres. C'est là qu'on avait jeté à ce que
nous a p p r î me s plus tard « le travail le
plus pressé », c'est-à-dire les femmes,
les enfants, les notables et probable–
ment aussi le corps d'un sujet italien
a s s a s s i né « par mé g a r d e » p r è s de la
banque Ottomane. E t dire que dès le
matin plusieurs barques (mahonnes)
pleines de cadavres avaient été d é c h a r –
gées dans la mer de Ma rma r a , que
l'on
enfouissait é g a l eme n t à la hâte
des monceaux de victimes en quatre ou
cinq endroits !
C'est un souvenir atroce.
Mais laissons les morts, nous vou–
lons parler encore de deux autres blessés
que nous e ûme s é g a l eme n t l'occasion
d ' opé r e r à l'hôpital français.
Il s'agit d'une jeune fille de
17
ans,
victime des massacres d'Anatolie et
d'un homme de
5
o
ans env i r on , vic–
time de ce qu ' on a appelé les « petits
ma s s a c r e s » A r mé n i e n s , d'octobre
i 8 g 5 .
Elisabeth X . . . ,
17
aris, d 'Angor a ou
de Césarée, en As i e -Mi neu r e .
Cette pauvre enfant dut assister au
massacre de toute sa famitle et fut
atrocement frappée en cherchant à
couvrir les siens de son corps en sup–
pliant les massacreurs de les é p a r gn e r .
Pou r la faire taire, on la frappa sans
pitié. Les bras étaient lardés de sept
coups de coups de couteau ou de pointe
de sabre, un certain nombre de coups
avaient t r ave r s é les bras de part en
part. D ' u n coup de sabre, la ma i n droite,
élevée pour p r o t ége r la tête, fut presque
coupée en deux, les
5
e
et
4
e
mé t a c a r –
piens, les muscles de l ' h y p o t h é n a r et
les tendons extenseurs et fléchisseurs du
petit doigt et de l'annulaire, soit toutes
les parties molles et dures de la mo i t i é
de la ma i n furent coupé e s jusqu'au
3
e
mé t a c a r p i e n qu i a r r ê t a la lame. Mais
le bourreau ne s'arrêta pas ap r è s ce
haut fait et un nouveau coup de sabre
vint ouv r i r la tête de la bosse pariétale
gauche au mi l i e u du front entaillant
p r o f o n d éme n t , si ce n'est sectionnant
c omp l è t eme n t la voû t e c r â n i e n n e . On
lui porta encore dans le 6
e
espace inter–
costal un coup de couteau si large que
par la cicatrice dépressible on pouvait
introduire p r o f o n d éme n t trois doigts
dans le thorax.
Il y avait encore d'autres plaies de
mo i ndr e importance et dont nous
avons oub l i é de noter le détail, au total
17
coups de couteau, yatagan, sabre, etc.
Recueillie respirant encore, ma l g r é
ses terribles blessures, soignée avec les
faibles moyens dont pouvaient dispo–
ser des malheureux obligés de se cacher
pour ne pas être e u x -même s massa–
crés, on a peine à comprendre comment
une gu é r i s on fut possible. Naturelle–
ment toutes les plaies infectées suppu –
r è r e n t , en particulier la plaie du thorax
qui fut très longue à tarrir.
Orpheline, ne po s s é d a n t plus rien
au monde, elle fut ame n é e à Constan–
tinople par des religieuses françaises et
placée à l'hôpital français, où à sa
demande nous c h e r c h âme s par diverses
plastiques, sutures tendineuses à dis-
Fonds A.R.A.M