viendrons à bout, car nous avons pour nous la
justice. Et nous aurons la force matérielle qui
finit toujours par obéir à la force morale.
Votre, bien dévoué,
M. BERTHELOT.
I Vifs applaudissements).
Discours de M. Anatole Leroy-Beaulieu
Membre de l'Institut
ME S DAME S , ME S S I E U R S .
Si l'on m'a l'ait l'honneur de me confier le
soin de vous proposer l'ordre du jour qui
doit clore cette r é u n i o n , c'est comme à un
vieux défenseur des o p p r imé s et du droit
des peuples ; c'est peut-être aussi qu'on s'est
souvenu que j ' a i été le premier, à Paris, à
l'époque du silence organisé sur les mas–
sacres, à faire une conférence pour les Armé–
niens.
(
Applaudissements.)
L'ordre du jour que je vais vous proposer
doit être l a conclusion naturelle, logique
des généreux discours que vous venez d'ap–
plaudir et de l'indignation légitime qu'ils
ont excitée parmi vous. J'espère que tous les
F r a n ç a i s ici p r é s e n t s seront unanimes à le
voter, soit qu'ils se rattachent à la France
ancienne, protectrice traditionnelle des chré–
tiens d'Orient, soit qu'ils préfèrent se dire
les fils de la France de la Révolution et des
Droits de l'Homme, deux France qui, en
Orient au moins, n'en font, guère qu'une, car
toutes deux y travaillent presque é g a l eme n t
pour la liberté et pour la civilisation.
(
Ap–
plaudissements.)
Pour que cette grande manifestation soit
efficace, nous avons dû nous placer sur le
terrain des faits, nous cantonner sur le ter–
rain pratique, tel qu'il a été circonscrit par
tes é v é n eme n t s actuels et par les négocia–
tions en cours. La meilleure façon, la seule
peut-être de r é s o u d r e toutes les difficultés
soulevées en Orient, serait la réunion d'une
conférence e u r o p é e n n e , chargée de veiller à
l'exécution du traité de Berlin et de faire
rendre justice, sans distinction de nationa–
lités ou de religions, à tous les o p p r i mé s
auxquels l'Europe, à Berlin, avait fait e s p é –
rer un sort meilleur.
(
Applaudissements.)
Malheureusement, M . Delcassé t'a constaté
dans une dépêche du Livre Jaune, une
pareille conférence n'aurait pas à l'heure
actuelle l'assentiment de toutes les puis–
sances ; il en est une aumoins, je n'ai pas
besoin de la nommer, qui y semble d é c i d é –
ment opposée. Il faut donc, au moins poul–
ie moment, renoncer à cette conférence et,
du même coup, au règlement définitif de
toutes les questions soulevées à Berlin.
Nous devons nous placer en face des n é g o –
ciations e n g a g é e s actuellement avec l a
Sublime Porte. C'est sur ces négociations
que nous désirons que le gouvernement
français exerce son action.
A cet égard, il est une chose que nous ne
pouvons admettre : c'est que la cause des
Armé n i e n s soit séparée de celle de la Macé–
doine.
(
Applaudissements.)
Toutes deux sont
connexes, et c'est cette connexité que nous
vous prions de vouloir bien affirmer, avec
nous. Armé n i e n s et Macédoniens sont égale–
ment les sujets du Sultan ; Armé n i e n s et
Macédoniens ont é g a l eme n t les promesses
de l'Europe. Pourquoi oublierait-elle les
A r mé n i e n s ? Serait-ce parce qu'ils ne se
révoltent pas? ou serait-ce que pour pacifier
l'Arménie et r é s o u d r e la question, l'Europe
attend que le sultan Ab d u l -Hami d ait eu le
loisir de faire l'extermination totale de la
race a r m é n i e n n e ? Oublier les A rmé n i e n s ce
serait, de la part de la France et de la part
de son alliée la Bussie qui, toutes deux, se
sont fait gloire d'avoir une mission tradi–
tionnelle en Orient, ce serait de leur part
abdiquer leur rôle de grandes puissances
protectrices des c h r é t i e n s !
Nous souvenir des A rmé n i e n s n'est pas
seulement pour nous, F r a n ç a i s et pour nos
amis Busses, un devoir de conscience et
d ' h uma n i t é , c'est une, question d'honneur
et plus encore peut-être pour les Busses
que pour nou"s ; car l'article 61 du traité de
Berlin qui promet justice aux A rmé n i e n s
n'est guère qu'une répétition de l'article 16
du traité de San Stefano imposé par tes
Busses à la Sublime Porte. En rappelant à
nos amis de Bussie les engagements pris en
commun à Berlin, nous ne faisons que sou–
lager la conscience des deux peuples alliés
et justifier l'alliance aux yeux du monde
civilisé.
(
Applaudissemenls.)
Voici l'ordre du jour que nous vous pro–
posons :
Les quatre mille citoyens français de toutes
opinions, réunis le 15 février 1903 au théâtre
du Château-d'Eau, à Paris;
Considérant la situation atroce des popula–
tions d'Arménie et de Macédoine, et la gravité
croissante, des événements ;
Considérant
que cette situation est un défi à
la conscience publique et un danger pour la
paix
générale;
Considérant que, seule, l'exécution du traité'
de Berlin, tant en Arménienie,
qu'en Macé–
doine, peut mettrefinà cet état de chose into–
lérable;
Considérant
l'impérieux devoia que le traité
de Berlin impose à tous ses contractant;
Emettent le vœu que le gouvernement fran–
çais agisse énergiquement
pour obtenir enfin
Vexécution
des articles 23 el 61 du traité de
Berlin,
conformément au Statut organique
du mois d'août 1882 et au mémorandum du
11
mai 1895, el pour faire, cesser la trop
longue série d'attentats commis en Turquie
contre l'humanité, sans distinction de race, de.
nationalité ni de religion.
M . L E P R É S I D E N T .
Je mets aux voix cet
ordre du jour.
L'ordre du jour est, a d o p t é par acclamation
à l'unanimité.
(
Applaudissemenls
prolongés.)
P.-S.
M . Trarieux, s é n a t e u r de la
Gironde et président de la Ligue des Droits
de l'homme, a adressé à M . d'Estournelles
de Constant la lettre suivante :
Cannes, villa Paul lia.
Mon cher député,
J'ai vivement regretté que mon absence de
Paris m'ait empêché d'assister à la réunion du
Château-d'Eau,
où MM. Denys Cochin,
Jaurès,
de Pressensé et Lerolle ont, avec lanl d'élo–
quence, pris en mains la défense des pauvres
Arméniens el Macédoniens que continue à per–
sécuter le fanatisme musulman sans qu'aucune
nation d'Europe ail encore songé à rappeler
ces barbares au respect des conventions du
traité de Berlin.
Je veux, au moins, m'associer à l'ordre du
jour volé à Vunanimité par la grande assem–
blée que vous avez présidée, et je vous envoie
ma pleine et entière
adhésion.
Votre sincèrement
dévoué,
L. TRARIEUX.
Couxmres de journaux
Agence OBSERVER
Wien ?VI, I. Turkenstrasse, I
"7
SUCCURSALES A
Budapest, Genève, Londres,
New-York,
Paris, Rome,
Stockholm.
Le Rapport de M. R Dubief
SUR LE
BUDGET D E S AFFAIRES ÉTRANGÈRES
M . F . Dubief, dans son remarquable rap–
port sur le budget des affaires é t r a n g è r e s ,
expose, en formules s i n g u l i è r eme n t déso–
bligeantes pour le sultan, la situation de
l'Arménie et, de la Macédoine. Lorsque
Gladstone traita Ab d - u l - Ham i d de « Grand
Assassin », i l parlait en son nom personnel ;
c'est la p r emi è r e fois que dans un document
officiel, rédigé avec l'assentiment et l'appro–
bation de la majorité des d é p u t é s français,
le sinistre souverain est aussi durement et
justement qualifié. Voici le passage du rap–
port concernant la Macédoine et l'Arménie :
L a r é s i s t a n c e de l a Porte à r é a l i s e r en
Tu r q u i e d'Europe les r é f o r m e s , promises
et à remplir les engagements c o n t r a c t é s
v i s - à - v i s des puissances signataires du
t r a i t é de B e r l i n , m a l g r é les r e p r é s e n l a t i o n s
diplomatiques d e l à France et de la Bu s s i e
à Constantinople et à Sophia, entretient
dans les Ba l k a n s et plus p a r t i c u l i è r e m e n t
en Ma c é d o i n e , un état de choses m e n a ç a n t .
A u mi l i e u de, ces populations différentes
do race et de religion, hostiles les unes aux
autres, le T u r c , a r m é du Coran, r e p r é s e n t e
l ' a u t o r i t é du vainqueur rendue odieuse par
la vénalité et l a corruption des fonction–
naires ottomans et la mauvaise gestion des
services publics.
Les troupes d u sultan, i r r é g u l i è r e m e n t
p a y é e s , et par m é c o n t e n t e m e n t transfor–
mé e s en bandes de pillards el de brigands,
s o u l è v e n t à chaque instant l a c o l è r e des
petits peuples q u i r ê v e n t d ' é c h a p p e r à
l'oppression dont ils souffrent et comme la
Serbie en 1815, la G r è c e en 1830 et la R o u –
manie en 1861, de c o n q u é r i r une i n d é p e n –
dance partielle ou totale.
E n 1875, c'est la Bosnie et l ' H e r z é g o v i n e
q u i , sous le coup des abus de pouvoir, des
exactions de toutes sortes, des mauvais
traitements et de la charge toujours crois–
sante des i mp ô t s , se s o u l è v e n t avec l'appui
d u Mo n t é n é g r o et de la Serbie.
C'est plus tard la Bulgarie qui se révolte
et e n t r a î n e l'intervention a r m é e de la B u s –
sie b i e n t ô t victorieuse dans une guerre
que termine le traité de San Stephano.
A u C o n g r è s de B e r l i n , l a Bu l g a r i e de–
vient p r i n c i p a u t é autonome et tributaire
sous la s u z e r a i n e t é du sultan. L a R o u m é l i e
est p l a c é e sous l ' a u t o r i t é po l i t i qu e et m i l i –
taire directe d e l à puissance ottomane avec
une administration autonome. L a Th r a c e
et l a Ma c é d o i n e , moins p r i v i l é g i é e s , res–
tent e n t i è r eme n t soumises à l ' a u t o r i l é d u
sultan avec une administration que l ' E u –
rope se proposait de r é f o r me r et de sur–
veiller, mais q u e l a d u p l i c i t é du s u l t a n n ' e û t
pas de peine à soustraire à l'influence des
puissances.
Depuis lors une situation vraiment into–
l é r a b l e a été faite aux c h r é t i e n s des vilayets
d'Andrinople, de Salonique, de Monastir et
d ' Us k u b . L a question m a c é d o n i e n n e rentre
dans une p é r i o d e de redoutable a c u i t é por–
tant en elle des menaces de troubles pour la
paix des Ba l k a n s dont pourrait ê t r e dans
l'avenir affecté le repos de l ' Eu r op e elle-
m ê m e .
Elle est longue la liste des horreurs et
des abominations r e p r o c h é e s au sultan, à
ses fonctionnaires et à ses troupes. I l
Fonds A.R.A.M