chrétiens. » Dès ce jour, rien de ce qui se
passait en Orient ne nous fut étranger, i l
s'est établi entre les chrétiens soumis à
l'Islam et nous un lien si solide qu'aucune
force n'a pu le rompre. Notre patriotisme,
dans ces peuples éloignés, a cru voir des
peuples frères et dans les flots bleus qui
baignent les côtes de l'Asie Mineure, comme
un reflet de notre France.
Bientôt, à la lutte contre l'Islam succède
l'alliance. François 1er substitue à la poli–
tique des principes, la politique des inté–
rêts ; mais nos rois n'abandonnent pas pour
cela cette noble mission de patronage. A u
contraire elle s'affirme, et se précise. Môme
en Turquie, les Français sont sons l'autorité
directe du roi de France représenté par ses ,
consuls ; ils y.ont le droit de faire le com–
merce, ils y ont aussi ta fiberté de leur reli–
gion. Ce double privilège religieux et com–
mercial est étendu aux é t r a n g e r s amis ; on
peut trafiquer librement en Turquie si on
trafique « sous la bannière de la France » et
on peut y prier librement si on se dit « ami
de l'Empereur de France. »
A i n s i se consolide notre clientèle chré–
tienne d'Orient. Elle s'accroît encore plus
tard, quand les chrétiens -de toute origine,
de toute confession, contre les exactions,
contre les violences dont on les menace,
sont certains de trouver un refuge, un appui
assuré a u p r è s de l'ambassadeur du r o i de
France. Et cette action bienfaisante de pro–
tection se perpétue à travers tes siècles,
malgré les bouleversements de la politique,
sans qu'aucun de nos gouvernements ait
jamais voulu r é p u d i e r ce legs du passé. L a
Révolution, l'Empire y ont été fidèles. Lors–
que, à peine remis de terribles secousses, notre
pays a entendu la clameur de l'insurrection
h e l l é n i q u e , un irrésistible enthousiasme
s'empare de l u i en faveur de l'indépendance
des peuples et le roi Charles X envoie les
vaisseaux de la France s'unir à ceux de l ' A n –
gleterre et de la Russie dans les flots de
Navarin, d'où va jaillir la liberté de la
Grèce.
(
Applaudissements.)
Plus tard les é v é n eme n t s donnent une
nouvelle orientation à la politique interna–
tionale. L'intégrité de l'empire ottoman
a p p a r a î t à tout le monde comme une n é c e s –
sité de la paix e u r o p é e n n e . L a France unit
même , pour la maintenir, un instant ses
armes à celles de la Turquie. Mais elle
ne déserte pas pour cela sa mission, elle
reste l'espoir des peuples d'Orient et elle
montre, comme aux jours des massacres de
Syrie, qu'elle est toujours la grande nation
secourable à tous les o p p r imé s . Voici notre
passé.
(
Applaudissements.)
Comment donc, aujourd'hui, d éme n t a n t
cette longue histoire, la France pourrait-elle
rester sourde aux cris de détresse qui lui
viennent des peuples décimés, pourrait-elle
rester impassible en voyant coûter ces
fleuves de sang dont la source est au palais
de celui qu'on a appelé si justement le
Sultan Rouge?
(
Applaudissements.)
Et elle
continuerait à garder avec l'Europe ce silence
décourageant, elle n'élèverait pas la voix
pour rappeler à l'Europe son devoir impé–
rieux et les obligations contractées au traité
de Berlin ! Une telle attitude serait incom–
préhensible et, vous l'avez déjà dit par vos
applaudissements, la France ne s'y r é s o u d r a
pas ; tout la convie à parler et à agir.
(
Applau–
dissements.)
Certes, les intérêts matériels ont leur prix
et ce serait folie de les mé c o n n a î t r e , mais ils
ne doivent pas faire oubiier tes devoirs su–
périeurs d ' h uma n i t é . L a foi qui est ta mienne
m'enseigne que je ne puis être indifférent
à aucune souffrance humaine. C'est bien ià
le sentiment général de ce grand peuple fran–
çais, c'est son instinct d'atavisme. Toute
plainte trouve dans son cœu r un écho, toute
injustice triomphante fait passer en l u i les
beaux frissons des indignations vengeresses.
S'il a eu à souffrir parfois de générosités
imprudentes, i l n'a jamais consenti volontai–
rement la honte des effacements s y s t éma –
tiques. Ce n'est pas lui qui a fait sienne cette
politique de la non intervention quand môme
qui n'est p e u t - ê t r e que de l'égoïsme et d e l à
peur combinés en principe. Toute douleur
l'émeut, toute injustice l'indigne, toute
cruauté le révolte. Pour être insensible, le
sang qui fait battre son cœu r est trop pur et
il a trop p r o f o n d éme n t en lui le sentiment
de fa fraternité humaine.
(
Applaudissements.)
Du reste, aujourd'hui, notre générosité ne
risque pas d'être téméraire, car elle s'allie
très bien avec le sens exact de nos intérêts
de l'ordre le plus élevé et le plus pratique.
Tous nous voulons la paix, mais la paix n'est
enviable que si elle est fière et elle n'est
garantie que si elle est fondée sur le res–
pect du droit. Or, les é v é n eme n t s sinistres
de là-bas, ne peuvent-ils pas demain amener
une conflagration g é n é r a l e ? Ne savez-vous
pas que les injustices répétées font les soulè–
vements justifiés des peuples et que d u choc
entre oppresseurs et o p p r i mé s peut jaillir
l'étincelle qui mettra le feu à l'Europe
e n t i è r e ? S i on veut éviter l'effondrement de
l'Empire ottoman, si on no veut pas donner
prise par son morcellement à toutes les
ambitions e u r o p é e n n e s , i l faut de toute force
fe rénover en facilitant l'ascension des natio–
nalités diverses qui le composent. Il faut
faciliter cette ascension par une intervention
mo d é r é e mais é n e r g i q u e de l'E'uiope.
Je lisais dans une lettre d'un témoin ocu–
laire des massacres, ces paroles : •< Il faut
des réformes pour calmer le peuple qui n'en
peut plus ; i l faut l'intervention de l'Europe
ou nous sommes perdus ». Et, dans un
accent de douleur et presque de désespoir,
devant l'inertie de la diplomatie e u r o p é e n n e ,
il ajoutait : « Que Dieu ait pitié de ceux qui
souffrent !»
(
Applaudissements.)
Mais, que nos esprits s'élèvent plus haut
encore. L a France est restée la nation che–
valeresque à travers les âges.
Notre pays a toujours eu l'honneur d'être le
bon soldat" de toutes les grandes causes ; i l
est toujours l'initiateur de l'Idée dans le
monde. A ce titre, pouvons-nous rester
insensibles à cette diffusion de nos principes
de liberté, de dignité humaine que nous vou–
lons garder intacts parmi nous et que nous
voulons voir p é n é t r e r peu à peu chez tous
les peuples.
Nous ne p r ê c h o n s pas les révolutions.
Nous ne cédons pas à l'utopie de croire que
d'un seul coup et tout d'une pièce on peut
transporter notre civilisalion e u r o p é e n n e
dans des pays où elle ne saurait s'adapter
exactement aujourd'hui. Mais est-il témé–
raire de vouloir dès m a i n t e n a n t a s s u r e r à ces
peuples qui souffrent, chrétiens ou musul–
mans, la sécurité des personnes et des biens-,
au lieu d'une administration tracassière et
tyrannique. une administration protectrice,
la liberté des consciences et, parla, r é p a n d r e
parmi eux les hautes • idées morales sans
'y a pas de relèvement possible
et par lesquelles les peuples progressent et
s'élèvent aux civilisations meilleures.
(
Ap–
plaudissements.)
Et justement, dans ces peuples que l'on
persécute, nous voyons des agents de ce
p r o g r è s dans la civilisation. Je sais bien que
des d é t r a c t e u r s — quel est le vaincu ou l'op–
p r i mé qui n'en a pas? — ont cherché à d é –
tourner d'eux l'intérêt de l'Europe par des
jugements précipités et par des accusations
téméraires. Je ne les examine pas ; je ne
crois pas à l'infériorité nécessaires des races ;
je ne crois pas aux irrémédiables d é c a d e n –
ces. Je crois qu'il y a dans tous les hommes
une réserve d'énergie morale qui, mise en
œuvre sous le coup des circonstances ou par
un violent effort de volonté, suffît à porter
en eux, à fa plus haute puissance, ieurs qua–
lités de cœu r et d'esprit et p r é p a r e ainsi le
relèvement des individus et la résurrection
des peuples.
(
Applaudissements.)
Je crois
que si une longue servitude a pu énerver
certaines qualités naturelles, elles ne les a
a pas détruites ! D'ailleurs n'avons-nous pas
l'exemple de la Grèce, de la Roumanie, de
la Serbie-, de la Bulgarie? On disait de ces
peuples ce que certains disent aujourd'hui
de l'Arménie et de la Macédoine. Ne nous
ont-ils pas mo n t r é cependant par quels
moyens se fait fe relèvement des nationa–
lités et par quels étapes elles arrivent à
Une civilisation plus parfaite.
(
Applaudisse'
ments.)
Peut-on affirmer qu'en Macédoine la sève
qui a fait fleurir jadis les beaux jours de son
histoire est absolument tarie? 11 y a à côté
des peuples dont on parle ceux dont on ne
parle pas assez, ces peuples chrétiens, auto–
chtones, soumis depuis longtemps à l'Islam,
Néstoriens, les Chaldéens, Syriens unis, et
surtout ces Jacobifes dont les ancêtres ont
aidé Baudouin à fonder le c omt é d'Edesse
on Asie Mineure. Ce sont des races superbes.
A- t - o n jamais dit qu'elles avaient perdu leur
antique fierté et qu'il ne leur restait rien de
leur antique bravoure?
Que n'a-t-on dit des A r mé n i e n s ? Sous
quel jour défavorable leurs ennemis n'ont-ils
pas cherché à les r e p r é s e n t e r ? Je ne ferai pas
leur portrait; i l a été tracé tout à l'heure de
main de maître ; mais puis-je ne pas rap–
peler que leur intelligence vive, leur goût
passionné pour l'étude, la souplesse de leur
esprit, leur a permis de briller dans toutes
les sphères de l'activité humaine? Soldats,
savants, littérateurs, administrateurs, dans
toutes les branches, ils ont des hommes d'un
mérite incontestable et incontesté.
(
Applau–
dissements).
On vous a dit que les A rmé n i e n s n ' é t a i e n t
pas seulement des c omm e r ç a n t s ; ce sont
surtout des agriculteurs. Autour de leurs
villages, au sommet de leurs montagnes, ils
mè n e n t la charrue dans le plein grand air de
l'Orient, et paissent leurs troupeaux. Ils ont
toutes les qualités des peuples laboureurs
et les vertus des peuples soldats ; leurs en–
fants sont nombreux, leur race se renouvelle
et s'augmente sans cesse. Fiers de leur o r i –
gine .qui se perd dans la nuit des temps,
ayant la fidélité des traditions, la jalousie
do leur langue, ils conservent, ma g r é les
asservissements, ma l g r é les p e r s é c u t i o n s ,
tous les caractères essentiels de leur race.
(
Applaudissements.)
Et c'est te -trait commun
qu'ifs ont avec tous les peuples c h r é t i e n s
qui les entourent, d'être attachés p r o f o n d é –
ment à leur nationalité. Ils en ont un autre.
Toutes ces populations ont la vision d'un
idéal supérieur ; dans leurs rêves, elles en–
trevoient l'avenir meilleur auquel elles aspi–
rent. Est-ce que vous ne voyez pas dans ces
qualités de races, dans ces aspirations géné–
reuses comme des signes de p a r e n t é avec
nous? Ce sont aussi des garanties de relève–
ment moral et social qui font que ces popu–
lations mé r i t e n t notre intérêt, non seulement
parce qu'elles souffrent, mais parce que
demain elfes peuvent être des instruments
de r é g é n é r a t i o n dans ces contrées.
(
Applau–
dissements.)
Eh bien, ce sont ces peuples là qui sont
actuellement voués à des tueries é p o u v a n t a -
bfes ; les terres e n s eme n c é e s par eux ne
poussent plus que des ruines b a i g n é e s par
des flots de sang. N i l'âge, ni le sexe no pro–
tège contre le couteau des assassins. Je
n'incrimine nullement le poupe turc l u i -
même de ces horreurs; ce serait injuste, je
le sais. 11 y a aussi parmi les musulmans de
Turquie des ferments de retèvement que je
salue comme des espérances. Un A rmé n i e n
a dit qu'en temps ordinaire on vivait en
paix avec tes turcs jusqu'au jour où un ordre
d'en haut excite tes l'anatismes et pro–
voque les violences. Le seul coupable de
tant de meurtres c'est l'homme mu r é par la
peur dans le Palais où i l mè n e une vie sans
honneur et sans bonheur. Le Sultan com–
mando la tuerie, les séides l'exécutent. On
en tue tant qu'on peut, fO.OOO, 100,000. Il en
reste encore trop, qu'on frappe, qu'on frappe
encore. L a misère et la faim achèveront ceux
Fonds A.R.A.M