sensé avait bien raison tout à l'heure — una–
nime — il ne faut pas mettre à certaines i n –
terventions nécessaires, des conditions inac–
ceptables
(
Applaudissements)
i l faut dis-je,
que l'Europe unie se hâte d'intervenir pour
imposer les réformes nécessaires et les r é –
formes profondes. Pour que cette interven–
tion se produise avec toute son efficacité, i l
faut qu'il n'y ait pas do malentendu. Non,
nous no voulons pas la guerre contre l'Islam
(
Applaudissements)
et si nous allons p r o t é g e r
en Arménie, en Macédoine, des populations
chrétiennes, ce n'est pas parce qu'elles sont
chrétiennes, c'est parce que ce sont des
hommes auxquels, sous le régime turc, leur
qualité de chrétiens attire un s u r c r o î t de
périls et d'épreuves.
(
Applaudissements.)
Mais aucune idée, de croisade religieuse :
nous savons très bien que les réformes, les
garanties que nous demandons pour les po–
pulations chrétiennes o p p r imé e s s'étendront
peu à peu nécessairement à l'ensemble du
peuple ottoman lui-même. Déjà i l pâtit
autant que les populations qu'il opprime, de
l'oppression qu'il exerce sur elles. Vous avez
vu ces lettres de nos consuls disant que les
musulmans de Macédoine n'osent plu'= quit–
ter leur maison sans une escorte d'hommes
armés, parce qu'ils sentent à . c h a q u e pas la
révolte, la représaille, la menace; ils sont
bloqués par le l'ait même des haines qu'ils
ont déchaînées et nous irons là-bas libérer
l'oppresseur en même temps que l'opprimé.
(
Vifs applaudissements.)
Non, nous ne proposons pas la lutte con–
tre ce peuple turc où i l y a tant d'hommes
admirables de labeur, de vaillance, de ro–
bustesse, tant d'hommes à qui il a fallu une
singulière noblesse morale pour ne pas per–
dre tout vestige de dignité humaine sous
l'abominable r é g ime qu'ils subissent.
(
Ap–
plaudissements.)
Et je veux dire à quelques-
uns des jeunes Turcs qui redoutent parfois
l'intervention de l'Europe qu'ils auraient
raison si cette intervention pouvait être un
jour dirigée contre le peuple turc lui-même;
mais elle n'est dirigée que contre un gou–
vernement qui l'accable, dont i l n'a pas la
force de se délivrer lui-même, et c'est aux
jeunes Turcs à former la réserve des forces
musulmanes qui feront fonctionner le pro–
grès dans la Turquie libérée par la p r emi è r e
intervention de l'Europe.
(
Applaudissements.)
Pas plus que nous ne voulons une politique
de guerre religieuse contre l'Islam, pas plus
que nous ne voulons une politique d'humi–
liation pour la nation turque, nous ne vou–
lons une politique téméraire qui se dissi–
mule à elle-même les difficultés. Demain un
gouvernement turc différent de l'abominable
gouvernement actuel aura à compter avec
des difficultés que nous ne contestons pas.
Pressensé vous a tracé de cette complexité,
de cet enchevêtrement, des races, des reli–
gions, des sectes, un tableau si exact et si
précis que je n'ai pas à y revenir. Nous ne
contestons pas la difficulté du p r o b l ème .
L'Autriche-Hongric est mieux en état que la
Turquie de r é s o u d r e cette sorte de difficulté;
elle est formée de peuples de races différen–
tes mais qui, sauf des •différences de confes–
sions appartiennent à la même religion
essentielle; de plus, elle a été visitée par les
souffles de l'Europe occidentale ; elle a
entendu eu 1848, dans les rues de sa capi–
tale, le cri de la révolution e u r o p é e n n e ; elle
a un commencement de r é g ime électif et de
r é g ime parlementaire. Ce r é g ime , si oligar–
chique qu'il soit, a permis cependant les
transactions, ces dosages d'influences qui
permettront peu à peu aux races diverses de
se juxtaposer et de s'harmoniser. Et pour–
tant l'Autriche-Hongrie se débat à cause des
complexités des peuples qui se heurtent en
elle à de terribles difficultés dont nous dé–
sirons tous qu'elle sorte par un fédéralisme
o r g a n i s é et libre sans dislocation et sans
aucun de ces d émemb r eme n t s qui compro–
mettraient la paix de l'Europe.
(
Applaudisse–
ments.)
Mais si nous constatons les difficultés que
cette complexité des religions et des racés
crée à un Etat relativement moderne, comme
l'Autriche-Hongrie, à plus forte raison de–
vons-nous reconnaître les difficultés qu'elle
crée à l'Etat turc. Ce que nous avons le
devoir d'exiger, ce que l'Europe a le droit
et le devoir d'imposer, c'est que le gouver–
nement turc accorde, assure, maintienne à
tous ses peuples, de Imites races, de toutes
religions, ces garanties élémentaires de sécu–
rité, de liberté etde dignité qui permettront
ensuite aux diverses religions et aux diverses
races d'évoluer parallèlement sans se heur–
ter, sans s'opprimer, sans se dévorer. Mais
il est impossible de permettre à la barbarie
meurtrière et sanglante de r é s o u d r e le pro–
blème en supprimant une partie même des
peuples.
(
Applaudissements.)
C'est dans ces ternies et, dans ces termes
seuls que le p r o b l ème est posé. Et mainte–
nant
je
répète après
Pressensé
que
nous n'avons pas à tracer dans le détail le
programme des réformes. Nos r e p r é s e n t a n t s
à l'étranger ont c omme n c é à en tracer l'es–
quisse. Pressensé a complété le tableau, non
pas pour imposer une règle d'action au Gou–
vernement responsable, mais pour montrer
au monde civilisé que si l'Europe ne résol–
vait pas le problème, ce ne serait pas faute
de solution, niais faute de vigueur morale
pour en aborder l'examen.
(
Applaudjsse-
menls répétés.)
Comment serait-il possible de dire que le
contrôle international de l'Europe ne pourra
pas s'exercer en Turquie pour assurer la
sécurité élémentaire des peuples, lorsqu'il
commence à s'y exercer pour assurer la sécu–
rité des créanciers e u r o p é e n s ? .le ne leur en
fait pas un reproche; c'est par cette garan–
tie, é t e n d u e d'abord sur les intérêts, que la
civilisation supérieure de l'Europe p é n è t r e
peu à peu dans des pays moins avancés dans
te mouvement politique, é c o n om i q u e et so–
cial.
Mais encore faut-il qu'on ne s'en tienne
pas là, encore faut-il quelque logique dans
cette intervention et dans ce contrôle inter–
national, encore faut-il qu'on n'oublie pas
qu'une des conditions profondes du paie–
ment régulier des coupons au porteur de la
dette, est qu'on assure la liberté, la sécurité,
la vie de ceux qui, dans les montagnes de, la
Macédoine comme les plaines de la Thés-
1
salie, travaillent, à constituer l'impôt sur
lequel cette dette sera payée !
(
Applaudis–
sements.)
Nous demandons l'application logique, au
profit de tous les peuples de la Turquie, de
l'intervention e u r o p é e n n e internationale qu i
n'a été consacrée jusqu'ici qu'au profit des
créanciers.
Et maintenant, je terminerai en priant,—
laissez-moi le dire en votre nom — notre
ministre des Affaires é t r a n g è r e s de n'avoir
pas trop peur de nous. On m'a dit que nous
l'inquiétons un peu; c'est la fonction des
diplomates de s'inquiéter, à la condition
qu'ils se rassurent,
(/
tires )
J'imagine que,
s'il avait entendu lui-même les discours si
p é n é t r a n t s , si décisifs, mais si sages que nos
collègues Pressensé et Denys Cochin ont
p r o n o n c é tout à l'heure, quelques-unes de
ses défiances se seraient déjà dissipées; et
elles se seraient dissipées davantage s'il
avait vu de ses yeux ce spectacle admirable
d'une démocratie, d'une réunion populaire,
d'une réunion formée de ces citoyens de
France qu'on a jusqu'ici s y s t éma t i q u eme n t
"
tenus à l'écart de la connaissance et de la
conduite des grandes affaires extérieures.
(
Applaudissements.)
S'il avait vu de quelle
attention consciencieuse, scrupuleuse, avec
des éclairs de généreuse passion, mais sans
aucune imprudence et sans aucune fanfaron–
nade, cette réunion cherchait le meilleur
moyen d'aller pacifiquement vers la justice !
(
Applaudissements.)
Qu'il se rassure car, si
nous avons besoin de l u i . j'entends si nous
avons besoin de diplomates qui aient rompu
avec cette tradition détestabie dont Pres–
sensé, sans prononcer un seul nom propre
T
vous a parlé, s i nous avons besoin d'hom–
mes qui aient rompu avec -cette tradition
funeste, si nous nous féficitons de trouver
dans quelques-uns des rapports de nos con–
seils portés au Livre Jaune, fa preuve d'un
esprit large, prévoyant et humain, que tes
diplomates n'oublient, pas qu'aujourd'hui
surtout ils ont besoin du mouvement et de
la force do la démocratie. P r e s s e n s é a mo n t r é
comment les projets de M . Delcassé ris–
quaient peu à peu de s'enlizer dans l ' i n –
trigue des autres diplomaties et des autres
gouvernements. S i timide que puisse être à
nos yeux le projet de réforme p r o p o s é par
notre ministre des Affaires é t r a n g è r e s , i l va
bien au-delà du projet illusoire ébauché par
la combinaison austro-russe, et M . Delcassé,
môme avec ses p r é c a u t i o n s et avec ses r é –
serves, risquerait de demeurer seui si l ' o –
pinion e u r o p é e n n e ne s'éveillait pas. Com–
ment veut-il que l'opinion e u r o p é e n n e s'é–
veille si ce n'est pas la France désintéressée
de tout intérêt i mmé d i a t dans le conflit pos–
sible, qui frappe à la porte des autres peu–
ples et des autres consciences endormies..
(
Vifs applaudissements.)
Voilà notre œu v r e , voilà notre devoir, le
vôtre et le nôtre. Et, pour montrer au chef
de notre politique extérieure qu'il aurait tort
de se défier de nous et de récuser le con–
cours nécessaiie que nous lui apportons, je
terminerai en citant une des paroies écrites
par lui au sujet des affaires ma c é d o n i e n n e s ,
an r e p r é s e n t a n t de fa Turquie : « L'essentiel,
c'est de ne pas laisser passer l'heure! »
(
Tri–
ple salve d'applaudissements. — Cris : Vive
Jaurès.')
Discours de M. Paul Lerolle
Député de la Seine
Et moi aussi, j ' a i entendu la longue
plainte de l'Arménie et de la Macédoine
qui remplit toute l'Europe, j ' a i vu les loin–
tains horizons s'empourprer de lueurs
d'incendie, se rougir de la tache sanglante
des massacres, et, catholique, j ' a i voulu
venir i c i apporter à tous les o p p r i mé s
les sympathies de ma conscience crier à
tous les oppresseurs l'énergie de mon i n d i –
gnation.
(
Applaudissements.)
C'est une vieille tradition de, la France de
prendre en main la cause des o p p r imé s ; et,
comme le disait très bien tout à l'heure,
mon ami Cochin, quand elle court au secours
de celui qui souffre, elle ne lui demande pas
qui i l est, à quelle race i l appartient, elle
demande seulement où est l'oppresseur.
(
Applaudissements.)
Mais puisqu'aujourd'hui les chrétiens d'Ar–
mé n i e et de la Macédoine sont les plus mas–
sacrés des sujets du Sultan, permettez-moi
de vous rappeler que la protection des chré–
tiens d'Orient est dans le patrimoine glo–
rieux de notre France.
Cette protection date, du jour même des
Croisades. En ces temps là, dans la c h r é –
tienté, la force matérielle s'était mise au
service d'une grande idée morale qui avait
enveloppé toutes les nations e u r o p é e n n e s
dans l'unité d'une seule croyance religieuse.
Cette force s'était levée contre l'envahisseur
qui venait de l'Asie. Nobles, vassaux, empor–
tés d'un même mouvement, abandonnant
châteaux et chaumières, se précipitaient là
bas, si foin qu'ifs ne savaient où, et courant
à ta conquête du tombeau du Christ, ils por–
tèrent par leurs victoires, par leur héroïsme,
dans l'Asie, un peu de notre Europe chré–
tienne.
(
Applaudissements.)
C'était un mouvement magnifique, ensem–
ble de foi religieuse, et de piété humaine.
Car on avait déjà entendu chez nous, suivant
le mot de Saint-Louis « l e s cris des pauvres
Fonds A.R.A.M