des difficultés insolubles ; ils p r é t e n d a i e n t
que cette province où se trouvent des races
si diverses, des Turcs, des Bulgares, des
Grecs qui se disputaient entre eux, ne pouvait
vivre en paix que sous le joug tyrannique du
Sultan. On n'a pas écouté ces croasseurs, ces
donneurs de mauvais conseils. Une Commis–
sion s'est mise à l'œuvre et etle a si bien
réussi que cette Boumélie orientale que
l'Europe avait eu l'étrange fantaisie de rendre
à la Turquie, de s é p a r e r de la Bulgarie, est
revenue tout simplement, s'est annexée
s p o n t a n éme n t à la Bulgarie sans que cette
o p é r a t i o n fît plus qu'un pli à la surface de
f'eau.
Nous osons e s p é r e r qu'il en sera de même
pour l'Arménie et pour la Macédoine. Je
m'adresse au représentant, actuel de la poli–
tique française ; je lui déclare que nous
ne sommes pas de ceux qui l u i cherchent
noise; nous sommes tout disposés à fui
rendre justice. Quant à moi, si je ne t'appré–
ciais pas comme i l le mérite en le considé–
rant en l u i -même , je l'apprécierais beaucoup
en le comparant à tef ou tel de ses prédé–
cesseurs.
(
Applaudissements.)
Je reconnais
que l'esprit de notre politique é t r a n g è r e a
c h a n g é depuis ce temps : nous n'avons plus
à la tête de notre diplomatie d'homme qui
consente à se faire l'avocat du diable, qui dé–
savoue ses propres agents, qui altère ta vérité,
qui publie des Livres Jaunes dans lesquets
ou mutile les rapports les plus importants et
on falsifie ta v rite historique !
(
Applau–
dissements prolongés, cris : A bas.Hanotaux!)
Je me retourne alors vers le ministre
actuel des affaires é t r a n g è r e s et je me per–
mets de lui dire que je trouve que sa p o l i –
tique manque peut-être un peu de souffle et
de vigueur, qu'il se contente après tout
d'une phiianthi opie un peu banale qui sou–
vent a l'air d'être en retard au moins d'une
idée et d'une a n n é e ; qu'if ne suffit pas de
dénoncer le crime quand i l a été commis,
qu'il ne suflit pas, dans certains cas indivi–
duels, de faire de belles oraisons funèbres et
d'inscrire des é p i t a p h e s sur tes tombeaux
des victimes, mais qu'if faut, avant tout, pré–
venir tes crimes et en châtier les auteurs.
(
Vifs applaudissements.)
En le félicitant de ne plus tenter de faire
ce qu'on appelle de la grande politique,
c'est-à-dire l'art, sous de petits prétextes,
de ne pas faire de grandes choses et de se
soustraire à des obligations sacrées, je me
demande s'il a bien compris toute fa gran–
deur de l'occasion que lui offre cette situa–
tion grave, périlleuse, mais aussi favorable
à des solutions décisives, à des r è g l eme n t s
définitifs en Orient.
Et pourtant, nous aurions le droit de l u i
dire que s'il y a une puissance qui soit bien
placée pour prendre ces initiatives, c'est la
France. N'a-t-if pas fait lui même à cet égard
des expériences récentes? Encore que f'on
ne puisse pas dire que notre politique étran–
gère soit rayonnante de gloire et que depuis
un certain temps elle ait parfois semblé se
mettre trop à la remorque d'une alliance
qui quelquefois a l'air de nous payer en illu–
sions de revanche en Occident les sacrifices
trop réels que nous lui faisons en Orient.
(
Applaudissements
répétés.)
N'avons-nous pas le droit de l u i dire que
nous avons recueilli sur certains points les
fruits d'une action é n e r g i q u e ? If est, par
exemple, un fantôme qu'on agite sans cesse
devant ceux qui veulent agir en Orient. J'en
ai retrouvé la trace dans une dépêche signi–
ficative de notre ambassadeur actuel à Cons–
tantinople disant qu'on ne pourrait rien
faire si on n'avait pas l'unanimité des puis–
sances.
L'unanimité des puissances ! Elle est sans
doute impossible à réaliser. Nous avons vu
ce qu'a été le Concert Eu r o p é e n en 1896 ; on
a pu voir que chacune des puissances dé –
pensait ses efforts à paratyser faction des
autres. Eh bien! i l faut savoir s'en passer, et
on f a fait. S i on a, je ne dirai pas résolu, le
mot serait trop ambitieux, mais fait entrer
dans la voie de. la solution la question de la
Crète, c'est qu'on a exorcisé alors ce fan–
t ôme de l'unanimité des puissances et qu'on
s'est adressé simplement à celles qui vou–
laient bien agir de bonne volonté.
(
Applau–
dissements.)
Ces même s diplomates nous répètent que
nous ne devons pas agir sous une forme
comminatoire ; qu'il serait trop dangereux
de tenir un langage ferme à Ytdiz-Kiosk.
Eh bien ! lorsqu'il s'agissait non pas de la
conscience du genre humain, non pas de la
répression de crimes accomplis à la face de
l'humanité, non pas de l'exécution d'obliga–
tions internationales, mais simplement de
créances plus ou moins authentiques, la
France a bien su envoyer ses cuirassés à
Lesbos et ses canons qui n'ont pas toujours
besoin de faire parler la poudre pour qu'on
les entende jusqu'au fond de Y t d i z -K i o s k ,
elle les a b r a q u é s sur Mitylène, C'est qu'a–
lors i l s'agissait de faire servir l'escadre de
la Méditerranée, de recors à un Tu b i n i et à
un Lorando.
(
Applaudissements.)
Quant à
moi, sans contester ici cet empioi, je voudrais
que, nous chargions ces monstres d'acier
d'être porteurs de contraintes et de somma–
tions, non seulement au nom de spécula–
teurs levantins, mais au nom de la conscience
du genre humain et de la tradition française.
(
Nouveaux
applaudissements.)
C'est là ce que nous attendons de vous et
c'est là ce qu'attendent de nous ces peuples
malheureux qui sont encore assis dans l'om–
bre de 'a mort, dont nous entendons les gé–
missements, les cris de désespoir et qui
n'ont pourtant pas cessé de tourner les yeux
vers la France. Le joui' où ils avaient appris
que ces cuirassés voguaient sur fa Méditer
r a n é e et s'approchaient du fittoral de f Asie-
Mineure, ils se répétaient tout bas l'espoir
auquel ils ne veulent pas renoncer; ils ne
pouvaient pas croire que ce fût uniquement
pour des créances plus ou moins véreuses
qu'on avait mobilisé ces forces et ils s'ima–
ginaient que c'était pour eux que nos navires
étaient venus là!
(
Applaudissements.)
Il ne faut pas que nous trompions éter–
nellement cet espoir. Je suis cenvaincu qu'il
suffira d'adopter use attitude ferme, résofue,
comminatoire au besoin, pour obtenir, avec
une faciiité qui é t o n n e r a nos ministres, les
résultats que nous poursuivons. Mais i l faut
bien se p é n é t r e r de cette idée que c'est une
erreur de s'imaginer que la médiocrité d'une
poiitique fait la garantie de sa sécurité.
(
Ap–
plaudissements.)
Nous sommes à une heure,
au contraire, où i l faut déployer toute notre
force pour recouvrer tout notre droit.
C'est ce que nous sommes venus faire i c i
et nous qui sommes placés aux points les plus
o p p o s é s de l'horizon, nous qui respectons
trop nos propres idées ainsi d'ailleurs que
celtes de nos adversaires pour vouloir faire
bon marché de ces divisions profondes, nous
qui différons, non seulement sur l'applica–
tion des principes, mais encore sur les prin–
cipes eux-mêmes, nous nous rencontrons
sur le terrain de l'action nécessaire en Orient
et c'est cette u n a n i m i t é qui donne à cette
d émo n s t r a t i o n fa haute vafeur internatio–
nale, l'importance morale qu'elle doit avoir.
A cette heure critique, nous avons p e n s é que
fe moment était venu où une manifestation
unanime de l'opinion française rappelant le
gouvernement de la Bé p u b l i q u e aux tradi–
tions de la France, à ses devoirs, à ses inté–
rêts, était non seulement opportune, mais
nécessaire.
(
Applaudissements vifs et prolon–
gés.)
Discours de M. Jean Jaurès
Député du Tarn
M E S U AM E S , ME S S I E UR S ,
Je n'ai rien à ajouter aux discours si émo u –
vants, si pleins et à la fois si me s u r é s que
vous avez entendus et je viens seulement en
quelques brèves paroles m'associer aux con–
clusions qui ont été formulées devant vous.
L a réunion i c i d'orateurs et de citoyens de
tous les partis marque assez que la question
d'Arménie et de Macédoine est une de ces
questions humaines élémentaires sur les–
quelles l'accord de tous les hommes, de tous
les pays civilisés peut et doit se réaliser; elle
marque aussi que l'heure est venue de faire
appel à l'opinion de l'Europe, de la mettre
en mouvement et elle signifie que dans votre
p e n s é e l'opinion de la France n'est pas une
q u a n t i t é négligeable.
(
Applaudissements.)
Nous payons en ce moment, toute l ' E u –
rope paie, par les difficuités et les périls que
contient la question de la Macédoine, l'atti–
tude des puissances i l y a sept ans, dans la
question de l'Arménie.
Certes, ce fut un grand crime que cette
fongue indifférence et cette longue ignorance
couvrant un long é g o r g eme n t , et c'est en
vain qu'aujourd'hui les peuples pourraient
nous apporter les dépouilles, les profits
qu'ifs ont retirés de leur complicité passive
avec le grand é g o r g e u r .
(
Applaudissements).
C'est en vain que l'un pourrait montrer
ses concessions do chemins de fer en Asie
Mineure, l'autre l'exploitation des quais de
Constantinople. Quand on accumule devant
nous ces avantages pour nous décider à ou –
blier, je me rappelle invinciblement l'appli–
cation admirable qu'il y a plus d'un siècle
dans un d é b a t sur l'esclavage, le grand W i l -
berforce faisait d'un vers de Shakespeare :
«
Il y a i c i un odeur de sang que tous les
parfums de l'Arabie ne sauraient couvrir. »
(
Applaudissements
répétés.)
Mais si cette complicité muette et passive
de l'Europe, fut un grand crime, elle fut
aussi une grande faute; car si nous avons
maintenant à nos portes une question de
Macédoine b r û l a n t e , redoutable et qui peut
demain développer sur nous l'incendie de la
guerre, c'est parce que notre conduite i l y a
sept ans, à l'égard de l'Arménie, a encou–
r a g é , a p r o l o n g é , de la part du Sultan, tous
les crimes et toutes les iniquités qui soulè–
vent toutes les révoltes.
(
Applaudissements.)
On pouvait se désintéresser du périt armé–
nien, périt lointain, péril asiatique. Mais le
voilà qui, par des communications inévita–
bles, s'est r a p p r o c h é de nous et est devenu
le péril ma c é d o n i e n au cœu r même de l ' E u –
rope. C'est pour nous un juste c h â t i me n t et
une grande leçon et je fais le vœu p a s s i o n n é
qu'elle n'arrive pas trop tard!
(
Applaudisse–
ments.)
Voyez avec quelle rigueur et avec, quelle
logique les massacreurs tout p r ê t s de la Ma –
cédoine, tirent les c o n s é q u e n c e s de l'impu–
nité des ma s s a c r e u r s , a rmé n i e n s . En A r m é –
nie, ce ne fut pas seulement le massacre par
.
des soldats organisés ni par des brigands
soudain transformés et habillés en gendar–
mes, ce lut pire encore, ce fut ta passion
bestiale d'une population. Lisez la lettre du
28
octobre 1902, que notre consul à Saloni–
que, M . Steeg a adressée. Vous y verrez
qu'à l'heure présente, en Macédoine, on tient
ces propos : « Nous aussi, nous saurons bien
d é b a r r a s s e r le Sultan de ceux qui le g ê n e n t
en faisant comme en Armé n i e > et ce qui se
p r é p a r e en Macédoine, par imitation de ce
que l'Europe criminelle et imprudente a
toléré en Arménie, c'est ta levée en masse de
l'assassinat.
(
Applaudissements
prolongés.)
Il n'y a qu'un moyen de couper court au
péril, de prévenir de nouveaux crimes, de
prévenir peut-être la guerre prochaine ; c'est
que l'Europe unie, je ne dis pas — P r è s -
Fonds A.R.A.M