ration physique de la Macédoine à une sorte
de damier dont les cases seraient r e p r é s e n –
tées par une série de petits vallons profonds
ceinturés de hautes montagnes qui n'ont
d'autres communications les uns avec, les
autres que par les brèches étroites p r a t i q u é e s
par les cours d'eau.
Dans ces vallons clos sont enfermées des
tribus, je dirai des races diverses et hostiles,
ce qui contribue à aggraver singulièrement
le p r o b l ème . 11 y a d'abord les Grecs, les
Hellènes. Ceux-ci p r é t e n d e n t être, en quel–
que sorte, traditionnellement et séculaire-
ment les maîtres légitimes de la Macé–
doine en vertu de l'histoire. Ils se trompent
p e u t - ê t r e parce que, si on se l'apporte à
l'histoire ancienne, on s'aperçoit que le
vieux et toujours jeune Hé r o d o t e avait dit
que les Macédoniens étaient des demi-bar–
bares et qu'il n'y avait que la famille royale
de Philippe et d'Alexandre qui eut le droit
de se revendiquer de la race argienne,
comme Hôraclides. Les Grecs sont surtout
r é p a n d u s dans l a Chalcidique, près de
l'Olympe, sur les rives du Varctar.
Il y a ensuite les Kutzo-Valaques, c'est à
dire un résidu du flot valaque qui fut ame n é
en Macédoine à la suite de diverses con–
quêtes du mo y e n - â g e .
Les Kutzo-Valaques p r é s e n t e n t cette par–
ticularité qu'ils ont a d o p t é , épousé les inté–
rêts de la race grecque, et surtout de l'Eglise
orthodoxe, et qu'ils sont plus hellènes que
les Grecs eux-mêmes.
A côté d'eux, if y a les Slaves ; Serbes d'un
côté et 'Bulgares de l'autre. Les Bulgares
sont de beaucoup les plus nombreux et les
plus actifs. Sur les trois millions d'habitants
des trois vilayets de Kossovo, Monastir
et Salonique cjui forment totalement ou
partiellement la Macédoine, plus de la
moitié certainement sont de race bul–
gare. Ce sont de plus des hommes e x t r ême –
ment remuants et zélés pour leur cause, qui
ont fondé partout des Comités et des écoles,
qui s'appliquent à développer les aspirations
de leurs congénères, qui font une propa–
gande constante. Ils ont, en outre, un appui
très précieux et comme un idéal réalisé à
côté d'eux, dans la Bulgarie, qui est leur
s œu r aînée, qui est constituée à l'état auto–
nome et i n d é p e n d a n t sous la suzeraineté no–
minale du sultan et qui leur donne l'exem–
ple de ce que l'on peut espérer quand on a
secoué le j oug de la Turquie. Un très grand
nombre de Macédoniens de race bulgare
sont allés s'établir en Bulgarie. Les uns
s'y sont fait naturaliser et y occupent des
places importantes. On trouve des Macédo–
niens Bulgares à la Skouptchina, parmi les
fonctionnaires et surtout parmi les officiers,
puisque sur tes 2,500 officiers que compte
l'armée bulgare, au moins 1,000 appartiennent
à cette race ma c é d o n i e n n e bulgare.
D'autres ne se sont pas fait naturaliser et
agissent avec la plus grande énergie en
faveur de leurs frères de Macédoine. Ils ont
formé les deux Comités dont s'occupe tant
la presse, le Comité Zontchef-Michaïlowski
et le Comité Sarafof. L'un a une tendance
plus radicale que l'autre. Ils sont en rivalité
ouverte. A la suite d'un schisme le Comilé
Zontchef a pris les devants. Le Comité
Sarafof s'est tenu à l'écart des é v é n eme n t s
de l'année dernière, i l a même lutté contre,
une insurrection p r éma t u r é e , ' ma i s i l se p r é –
pare à prendre part à l'insurrection pro–
chaine.
A côté de la race bulgare, i l y a encore les
Turcs, c'est-à-dire les Osmanlis importés
d'Anatolie, puis les Albanais qui se sont
convertis à la religion musulmane pour con–
server leurs biens et leurs armes, mais qui à
l'origine ont été chrétiens et qui ont conservé
une grande partie des superstitions du
christianisme en les joignant à leur nouvelle
religion et en mé l a n g e a n t le Coran et le
culte fétichiste de leurs Saints.
Il y a encore les juifs chassés d'Espagne
qui ont fait de Salonique la plus grande ville
juive du monde. Là, ils ne se contentent pas
de faire du commerce comme partout ailleurs;
mais ils sont devenus dans une certaine
mesure, des agriculteurs, ils p o s s è d e n t les
fermes des environs et ils les cultivent de la
façon la plus remarquable.
(
Applaudisse-
menls.)
Il faut encore faire la part de la diversité
des religions. Il fut un temps où se trou–
vaient seuls en p r é s e n c e d'une part l'Islam,
de l'autre le christianisme orthodoxe de
l'Eglise grecque. Mais à l'heure actuelle la
division, ou plutôt l'éparpillement, est plus
grand : i l y a d'une part les orthodoxes grecs
.
qui sont restés dans l'obédience du Patriarche;
à côté d'eux les Kutzo-Valaques qui sont les
plus fidèles des orthodoxes; les Serbes qui
reconnaissent le Patriarche tout en deman–
dant une liturgie de leur langue; les B u l –
gares qui, i l y a une vingtaine d an nées, sous
l'influence de la Russie, ont créé un schisme
et fondé l'Eglise bulgare autocépiiale qui a
rompu avec ie patriarcat du Phanar et qui a
comme chef l'Exarque qui ne réside pas en
Bulgarie ; puis, i l y.a des catholiques perdus
dans les montagnes qui suivent tes instruc–
tions de quelques missionnaires. En face
d'eux, i l y a l'Islam. Cette religion n'est pas
professée seulement par des Osmanlis, mais
encore par des r e n é g a t s — Pomaks des Bho-
dope ou Albanais — qui sont d'anciens chré–
tiens convertis afin de conserver leurs biens,
d'avoir le droit do porter un fusil et de ,pe
pas être des parias dans leur propre pays:
Par la configuration de son sol, la diver–
sité de*ses races, de ses religions, celte pro–
vince présente donc un caractère tout à fait
particulier et une solution simpliste ne sau–
rait l u i convenir. Quoi qu'il en soit, la situa–
tion actuelle est intolérable et ne peut durer
longtemps. Nous avons, à ce sujet, des
aveux officiels publiés non seulement dans
les Livres Bleus que nous avions entre les
mains, mais encore dans le Livre Jaune que
M . Delcassé nous a fait distribuer i l y a
quelques jours. Nous y trouvons le tableau
d'une situation qui dure depuis des a n n é e s ,
mais" qui, à mesure qu'elle se prolonge,
devient plus insupportable. Ce sont les
Albanais qui ne cessent d'exercer leurs
exactions, non seulement dans la plaine de
Kossovo, mais encore dans tout le nord et
l'ouest de la Macédoine, qui, à la Saint-
Georges, à l'entrée de l'hiver, descendent de
leurs montagnes pour prélever certaines
prestations en nature et indiquer d'avance
aux populations qu'elles auront à payer cer–
tains impôts, i mp ô t s que ces malheureux
paysans chrétiens devront teur régler à la
Saint-Jean d'automne, sous peine de mort.
Quand i'assiette de l'impôt a été ainsi faite,
ils se permettent de prélever encore cer–
taines prestations en nature connues sous le
nom de Zoulouns. U n chef albanais arrive
avec sa suite de 30 ou 40 individus armés
jusqu'aux dents, fusil sur l'épaule, pistolets
et yatagan à la ceinture ; ils entrent dans la
ferme d'un malheureux chrétien, s'assoient
à son foyer, y restent 8, 10, 15 jours, se font
nourrir et abreuver largement et lorsqu'ils
partent, ils ont encore l'ironie de demander
à leur hôte involontaire de vouloir bien leur
payer ce qu'ils appellent
l'usure de la mâ–
choire,
c'est à dire la peine qu'ils ont prise
de dévorer son bien.
(
Applaudissements
et
rires.)
Et s'ils se contentaient encore de se livrer
à ce genre de mauvaises plaisanteries! Mais
ils font bien p i s : ils enlèvent les femmes et
les filles des malheureux chrétiens. Dès
qu'une femme ou une fille leur plaît, elle
peut estimer que, son sort sera de terminer
sa vie dans le sérail ou dans le harem d'un
chef albanais : heureuse si elle résiste, de ne
pas entraîner son mari et sa famiile dans la
ruine et la mort '
Les fonctionnaires ottomans qui devraient
normalement p r o t é g e r ces populations, qui
sont là pour faire r é g n e r l'ordre au nom de
leur, ma î t r e , se livrent à des exactions pires
encore. Depuis le vali jusqu'au dernier ser–
gent ou chaouch de gendarmerie, i l n'en est
pas un qui ne se fasse payer en nature et qui
ne se livre à des exactions semblables à celles
des Albanais, pas un qui ne soit un tyran au
grand ou au petit pied.
Il n'y a pas lieu de s é t o n n e r qu'une popu–
lation qui est très é n e r g i q u e , dont le carac–
tère, par l'effet du climat même des monta–
gnes où elle vit, possède une virilité agres–
sive et une vaillance offensive, ne veuille pas
é t e r n e l l eme n t courber la tête sous ce joug.
Ce qu'il y a de surprenant même c'est que
l'insurrection ne soit pas survenue plus t ô t
et qu'elle n'ait pas été plus forte.
Elle est survenue n é a nmo i n s à l'automne
dernier et dans les conditions les plus défa–
vorables; à la veille de l'hiver, au moment
où les neiges allaient tomber. Tout le monde
sait que dans ce pays le climat est très rude
et que ce n'est pas le moment de se mettre en
campagne. En outre, une division très grave
venait de se produire entre les deux comités
Zontchef, Mikhaïlovvsky et Sarafof. Un con–
grès avait été tenu à Sophia et comme on
n'avait pas pu tomber d'accord sur la vérifi–
cation des pouvoirs,lesamis de Mikhaïlovvsky
avaient exclu ceux de Sarafof. Les premiers
seuls se mirent en campagne. Les autres,
non seulement se mo n t r è r e n t hostiles à la
p r é p a r a t i o n de l'insurrection, mais on pré–
tend même que sur certains points, ils allè–
rent j u s q u ' à s'efforcer de l'empêcher de se
propager et j u s q u ' à lutter contre elle parles
armes. Elle ne réussit pas. Mais cette i n –
surrection partie si tard, qui ne comprenait
que la moitié du mouvement ma c é d o n i e n ,
n'en a pas moins été e x t r êmeme n t dange–
reuse pour la Turquie. Elle a fait verser des
flots de sang en Macédoine. Le plus signifi–
catif, c'est que les insurgés e u x -même s sa–
vaient très bien que ce n'était pas par cette
insurrection qu'ils pourraient arriver à se–
couer le j oug ottoman ; ils avaient seulement
pour but d'attirer l'attention sur leurs m i –
sères et sur leurs revendications.
Lorsque tout fut t e rm i n é par des héca–
tombes, les autorités turques se s o n t f i v r é e s
à des recherches d'armes, elles ont d o n n é
des mandats en blanc à tous les gendarmes
de Macédoine qui se sont r é p a n d u s dans
toutes tes fermes, dans les maisons les plus
isolées et là, sous prétexte de perquisitionner,
se sont livrés à des actes v é r i t a b l eme n t
odieux, à tel point q u i 1 se produit un cou–
rant nouveau d'émigration qui entraîne en
masse vers ta Bulgarie les victimes de cette
sauvage répression qui sévit depuis des se–
maines et qui iiè l'ait pas mine de s'arrêter.
Un journal qui a rendu des services ém i -
netits à la cause de 1 h uma n i t é , celui qui, le
premier, en 1876 a publié des renseignements
sur les atrocités bulgares au moment où, au
Parlement anglais, lord Beaconisfîefd les trai–
tait d é d a i g n e u s eme n t de simples bavardages
de café et de racontars de restaurant, fe
Daily News
a repris la noble tâclie qu'if avait
c omme n c é e à celte époque,, i l a rassemblé
des documents sérieux, i l a lait interroger
par un correspondant spécial plusieurs de
ces malheureux émi g r é s et réfugiés ' et i l
résulte des récits publiés dans quatre de ses
derniers n umé r o s , que nous avons assisté,
sans nous en rendre compte, sans le savoir,
à une réédition des atrocités bulgares et des
massacres de l'Arménie ; i l en résulte é g a l e –
ment que la population frémissante est
décidée à ne pas subir plus longtemps le sort
qui lui est fait. Nous pouvons nous attendre
au printemps prochain à une insurrection
a u p r è s de laquefle f'insurrection dernière
n'aura été que feu de paitle et jeu d'enfants.
Ce sera une insurrection générale dans
laquelle le Comité Zontchef-Mikhaïlovvsky
marchera la main dans la main avec le
Comité Sarafof. L'Europe n'a pas de temps à
perdre si elle ne veut pas qu'un grand incen–
die s'allume dont on sait bien comment i l
commence mais dont on ne sait pas comment
ni où i l s'arrêtera.
(
Applaudissements.)
Fonds A.R.A.M