contre le sultan les plus violentes et les
plus exactes accusations :
M .
V A N KOL.
—
I l y a un point obscur pour
moi sur lequel je demande quelques éclair–
cissements. Il s'agit de l'attitude qu'a prise le
gouvernement vis-à-vis des
Jeunes-Turcs,
durant la Conférence de la Paix. Les faits
sont suffisamment connus : ces adversaires
du Sultan ont été poursuivis d'une façon
étroite et mesquine par la police, à l'insti–
gation du Sultan. On a essayé de leur enle–
ver la liberté de la parole, pour ménager le
Sultan ; on a voulu les empêcher d'exercer
le droit constitutionnel de réunion pour faire
plaisir à Abd-ul-Hamid.
C'est pourquoi je pose celte unique ques–
tion au ministre des affaires étrangères :
Tout cela s'est-il passé d'après ses ordres?
le ministre des affaires étrangères ignorait-ii
ces faits, ou bien en avait-il connaissance ?
Cette scandaleuse attitude de nos autorités
était-elle un effet de l'immixtion de l'ambas–
sade turque, et y a-t-il eu ainsi une pression
quelconque exercée par le Sultan?
Mon désir était seulement de savoir si
l'attitude des autorités néerlandaises était
un effet de l'immixtion de l'ambassade
turque, donc d'une pression partant du Sul–
tan. Le peuple néerlandais a le droit d'exi–
ger qu'on joue à jeu découvert ici, car i l est
humiliant pour nous, aux yeux du monde ci–
vilisé, de ne pouvoir maintenir les libertés
que nous avons conquises au prix de tant
d'efforts. Quels que soient les coupables, ils
se sont rangés du côté du Tyran, au lieu de
soutenir ceux qui combattent pour le droit et
l'humanité; car le droit a été foulé aux pieds,
l'humanité a été souffletée par ce
sinistre in–
dividu
assis sur le trône de Turquie. En
son
nom, sur
son
ordre formel, des centaines de
mille Arméniens chrétiens ont été assassi–
nés ; des femmes ont été martyrisées, des
enfants et des vieillards ont été brûlés vifs,
et, aujourd'hui encore, des milliers de veuves
errent en Turquie, sans demeure, sans vête–
ments; des milliers d'êtres souffrent de ta
faim ; des milliers de Jeunes-Turcs sont tor-
,
turés en prison et en exil, et tout cela par sa
faute à lui.
Grâce à sa complicité et à ses excitations,
des milliers d'êtres humains sont tombés
sous les coups de bâton ou du poignard, de
nombreux magasins ont été pillés, un grand
nombre de maisons ont été incendiées ; tout
cela dans la capitale de son Empire, sous les
murs mêmes de son palais.
Sa soif insatiable de meurtres a fait couler
à flots le sang de ses victimes sans défense.
Et ceux qu'on poursuit et qu'on condamne à
mort pour avoir protesté contre l'auteur de
ces crimes, dont on ne peut parler sans pâlir,
ceux-là seraient exposés en Hollande aux
vexations et aux poursuites de notre police
et de notre justice néerlandaises ! Nous avons
le droit de demander quels sont ceux qui ont
pris l'initiative de cette attitude humiliante
et indigne pour nous, quels sont ceux qui ont
donné ces ordres déshonorants. C'est pour–
quoi je pose au Ministre des affaires étran–
gères la question suivante : Quelles ont été
les autorités qui, en juin dernier, ont- voulu
étouffer, en Hollande, la voix de ces nobles
interprètes d'un peuple cruellement maltraité
et martyrisé ; quels sont ceux qui ont voulu
retirer la libre parole aux justes accusateurs
du criminel et de l'usurpateur, du «Grand
Assassin » de Constantinople?
Trop d'hommes politiques sont portés
à l'oubli ou à l'indifférence et ils se lavent
volontiers les mains du sang du juste. Le
citoyen Va n K o l , au contraire, est de ceux
qui ne laisseront pas se prescrire la jus–
tice. Qu ' i l soit parmi nous le bienvenu.
PRO PATRIA
Ce que j'appelle la pairie, ternie
moyen de mes affections, placée qu'elle
est entre la famille et l'humanité,
c'est le lieu où les miens m'ont en–
touré de leur amour, où j ' a i appris à
vivre, à savoir, à lutter, à souffrir.
C'est l'endroit où mes pères ont eux-
mêmes grandi, et qu'ils ont arrosé de
leur sueur et de leur sang. C'est la fa–
mille agrandie, c'est un morceau de
l'humanité, et fût-il froid comme la
Laponie, brûlant comme le Sénégal,
tempéré comme la France, je conçois
qu'on s'y attache. C'est un sentiment
vivace qui vous prend tout entier, et
vous fait regretter, dès qu'ils ont dis–
paru de votre horizon, la banquise,
le sable ou la forêt, le coin de rue ou
le bord de route où l'on a piétiné.
Ce sentiment peut être bas ou noble.
Il est bas s'il exclut celui de la patrie
des autres, s'il se limite aux quelques
lieues de ciel qui la couvre, et s'il pro–
duit cette anthrophobie insensée que
notre langue nomme le Chauvinisme.
L'hommenevautpasplusquerhomme.
Il l'égale. Le Français vaut un Russe,
un Russe un Allemand, un Allemand
un Chinois, un Turc un Arménien et
réciproquement. De ce v i l sentiment
naît le besoin d'opprimer quiconque
n'est pas vous, de courber en esclaves
les frères d ' human i t é et de détruire les
fiertés séculaires des êtres qui veulent
la liberté pour eux comme pour au–
trui.
Ce sentiment est noble s'il respecte
la patrie des autres, s'il comprend que
ce qui est bon pour nous est bon pour
tous, et que c'est un crime abominable
que d'arracher un peuple à son i ndé –
pendance pour l'asservir à nos capri–
ces, à notre démen t e tyrannie.
Et i l est du devoir de tous ceux qui
aiment leur patrie de se coaliser pour
empêche r qu'un forfait de ce genre
s'accomplisse. L a solidarité n'est plus
ici un mot vide de sens. Ne pas agir pour
les opprimés, c'est pr épa r e r sa propre
oppression.
Si l'Europe avait empêché le crime
austro-prusso-russe contre la Pologne ;
Si l'Europe avait menacé la Prusse
envahissant les Duchés ;
Si l'Europe avait jeté son épée dans
la balance du triomphateur de Sadowa
et de Sedan ;
Le doute ne serait plus au fond des
cœu r s .
L a pauvre Arménie ne connaîtrait
pas la sombre épopée des envahisse–
ments.
Etquisait,les petits États ne cherche–
raient pas dans un armement inutile,
le moyen de résister demain aux appé–
tits des ogres en quête de pays à dévas–
ter.
L a France elle-même n'entendrait
pas dans les brumes de l'Est le chant
du clairon préparant l'Allemagne à une
dernière bataille, dont le
Finis Galliœ
pourrait être le couronnement.
Viols, vols, massacres : voilà le
bilan de l'oubli du devoir.
L a patrie sombre partout sous les
efforts calculés des tout-puissants.
Le Transvaal agonise. •
Les Antilles se tordent dans les
affres d'un dernier combat.
La Chine pétrit son sol avec la chair
meurtrie de ses enfants.
Où la Patrie, où la famille, où l'hu–
manité dans cette fournaise qui con–
sume à la fois l ' human i t é , la famille
et la patrie ?
A h ! réveillons-nous, défendons le
droit violé, défendons l'existence des
faibles, défendons la liberté !
Fils d'Arménie, parlez haut à nos
consciences endormies, secouez notre
torpeur.
Le dégoût des tyrannies viendra, i l
vient déjà.
Faites en surgir le bon élan qui vous
affranchira et qui nous sauvera.
-'.
E .
GHAUVIËRE,
député.
Fonds A.R.A.M