formes a rmé n i e n n e s » qui furent le
signal des massacres; comme en 1896
au moment des « reformes
C r e t o i s e s
»
qui p r é c é d è r e n t la guerre turco-lurque,
l'apaisement n'est que dans les mots.
D'une main, l 'As s a s s i n signe les i r a d é s
conciliateurs, de l'autre les ordres de
mobilisation et d ' é g o r g eme n t ; et une
grande rumeur d'armes bruit à l ' Es t
de l ' Eu r ope , de la Me r Noire à la Me r
Eg é e et à l'Adriatique.
L o r s des prochains r è g l eme n t s de
comptes, l ' Armé n i e ne sera pas ou –
bliée : la voix de M . d'Estournelles de
Constant, de M M . Denys Coch i n , F r a n –
cis de P r e s s e n s é , Jean J a u r è s , Pa u l
Le r o l l e , Anatole Le r oy -Be au l i eu , a é t é
entendue hors de Fr ance , partout où
il y a des hommes de c œu r et d'intel–
ligence.
E n Angleterre et en Italie, leurs
paroles é t a i en t d'avance comprises.
Ai l l e u r s aussi elles ont t r o u v é un
é c h o . Ai l l eu r s , je veux dire en A l l e –
magne. L ' A l l ema g n e officielle demeure
p e u t - ê t r e favorable au Sultan Rouge :
le peuple allemand, d è s longtemps, en
a connu et exécré tous les attentats.
Depuis quelques mois, les r é u n i o n s
pour les A rmé n i e n s s'y s u c c è d e n t et là
comme ici des hommes appartenant
aux partis les plus différents luttent
pour la même cause. L e 20 janvier, le
docteur Pau l Roh r bach qui a pub l i é
sur l ' Armén i e des relations de voyage
impartiales et fidèles, a s s i s t é du doc–
teur Lepu i s , du comte Bernstorff et du
docteur Lovenfeld, faisait à Berlin une
conférence sur l ' Armén i e . L e 2 février,
à Berlin encore, l'illustre écrivain Da –
nois, Georges Br a nd è s , a pp e l é par
l'Union des Etudiants Arméniens
d'Eu–
rope,
r e t r a ç a i t à son auditoire é p o u –
v a n t é , avec une p r é c i s i on terrible, les
s c è n e s de .massacres de 1895-1896:
l'émoi fut tel que des dames qu i t t è r e n t
la salle et le sarcastique orateur s ' é –
cria : « Ce que les dames de Berlin
ne peuvent entendre, qu'elles se disent
que cela s'est produit des centaines et
des milliers de fois pour les femmes
A rmé n i e n n e s ! » Pu i s i l ajouta que
((
souvent le gouvernement turc se
riait des menaces e u r o p é e n n e s , parce
qu'il savait avoir contre une interven–
tion coërcitive une protection puis–
sante: l'amitié du gouvernement alle–
mand. » E t l'auditoire allemand ap–
plaudit avec frénésie l'homme qui
disait de si dures vé r i t é s .
Tandis qu'en Europe , inlassable–
ment, les crimes d'autrefois sont ainsi
d é n o n c é s , l à - b a s , sur la terre de sang,
l'extermination lente se continue; si au
Sassoun et à Mo u s h même , i l y a eu
cette a nn é e une sorte de r émi s s i o n , à
cause de la p r é s e n c e des consuls euro–
p é e n s , ailleurs la barbarie hamidienne
se donne pleine licence. Nous publie–
rons dans le prochain n umé r o des
rapports aussi certains que le rapport
Papghen . (Bapports de Segherd, de
Bitlis et de Moush ) .
Ces rapports d émo n t r e n t surabon–
damment qu'en dép i t des notes offi–
cielles turques ou autres, la situation
ne s'est pas amé l i o r é e et que le pillage,
le viol et le meurtre constituent tou–
j ou r s , dans les vilayets A r m é n i e n s ,
la seule politique du Sultan Bouge .
Tandis que se tenait la r é un i on du
Ch â t e a u - d ' E a u , M . le Ministre des
affaires é t r a n g è r e s , dans une conver–
sation avec un r é d a c t e u r du
Matin
affectait de ne m ê m e pas prononcer le
mot d ' Armé n i e , plus dangereux appa–
remment que celui de Ma c é d o n i e . Dans
une s é a n c e prochaine de la Chambr e ,
il sera invité à moins de r é s e r v e d i p l o –
matique, i l devra .faire c o n n a î t r e au
moins le sens des informations en–
voyées par nos agents consulaires dans
les vilayets A rmé n i e n s : M . F . Dubief
y a fait allusion dans son remarquable
rapport sur l e budget des affaires é t r a n –
g è r e s . S i comme nous en sommes
s û r s , ces documents sont conformes
aux correspondances p r i v é e s que nous
avons pub l i é e s , le Ministre ne voudra
pas traiter par p r é t e n t i o n la question
Armé n i e n n e et i l ne manquera pas de
s'associer aux paroles de r é p r o b a t i o n
qui seront certainement p r o n o n c é e s ,
ce j o u r - l à , à la Chambre f r anç a i s e ,
contre S. M . I. Âbdu l Hami d .
Pierre CJUILLARD.
E X T R A I T D U TRAITÉ D E B E R L I N
§ 6 1 .
La Sublime Porte s'engage à réa–
liser sans plus de retard les améliorations
et les réformes qu'exigent les besoins locaux
dans les provinces habitées par les Armé-
miens el à garantir leur sécurité contre les
Tcherkesses et les Kurdes. Elle donnera
périodiquement connaissance des mesures
prises c'i cet effet aux puissances, qui en
surveilleront l'application.
LA MANIFESTATION
Du. 15 Février
(
Compte
rendu
sténographique
des
discours de
M M . D ' E S T O U B N E L L E S DE
CON S T AN T , D E N Y S C O C H I N ,
F RANC I S
DE P R E S S E N S É ,
J E A N J A U R È S ,
P A U L
L E R O L L E
et
A N A T O L E
L E R O Y - B E A U -
L I E U . )
Discours de M. d'Estournelles de Constant
Député de la Sarthe
M E S D AM E S , ME S S I E U R S ,
Comment expliquer cette imp u n i t é dont
use et abuse le sultan de Turquie, ma l g r é
ses engagements les plus solennels, et cela
à nos portes, presque sous nos yeux? Com–
ment expliquer cette i mp u n i t é scandaleuse,
d émo r a l i s a n t e ? Sans doute, le Sultan a de
puissants et de savants moyens d'action poli–
tique ; i l sait acheter les silences et tourner
les indignations, non contre le bourreau,
mais contre les victimes et leurs défenseurs.
Ce système connu ne suffît pas pourtant à
expliquer son imp u n i t é . S i immenses et iné–
puisables que puissent être les t r é s o r s du
Sultan, ils ne suffiraient pas à acheter une
vraie conscience, à plus forte raison à étouf–
fer la conscience universelle.
(
Applaudisse–
ments).
Il y a donc d'autres raisons, i l faut avoir
le courage de regarder la vérité en face et
de la dire. Il y a d'abord la complexité inex–
tricable du p r o b l ème à résoudre ; complexité
provenant d'une situation ethnique, g é o g r a –
phique, dans laquelle toutes les religions,
tous les schismes, toutes tes sectes, toutes
tes races, toutes tes nationalités, toutes les
tribus, toutes les langues, tous les dialectes
sont confondus : effroyable confusion d'élé–
ments à la fois irréductibtes et ama l g amé s .
Ensuite passerons-nous sous silence les
antagonismes des grandes puissances, leurs
divisions, leurs défiances qui se sont accrues
et c omp l i q u é e s aussi depuis quelques an–
nées, puisqu'elles sont devenues plus écono–
miques p e u t - ê t r e que politiques.
En face de cette complexité d'une part, de
ces antagonismes d'autre part, i l n'est pas
surprenant que l'opinion publique se soit
désintéressée du p r o b l ème ; — on ne l'y
encourage que trop; — et se soit h a b i t u é e
à te c o n s i d é r e r finalement comme insoluble.
Eh bien, c'est contre ce d é c o u r a g eme n t
que nous protestons; c'est cette indifférence
dont nous ne voulons pas, et que vous ne
devez pas accepter. Non , le p r o b l ème ne
doit pas être considéré comme insoluble.
Autant vaudrait admettre alors qu'il n'y a
plus de p r o g r è s possible et qu'il va falloir
a r r ê t e r la marche du monde chaque fois
qu'une réforme ne p a r a î t r a pas i mmé d i a –
tement, facilement réalisable.
(
Applaudisse–
ments).
Autant laisser dire que tous les p r o b l ème s ,
le p r o b l ème é c o n om i q u e , le p r o b l ème social,
le p r o b l ème inoral et même le p r o b l ème
familial, à plus forte raison les p r o b l ème s
scientifiques sont impossibles à r é s o u d r e .
Non! Ce qui est impossible, c'est l'état
actuet des choses en Turquie d'Europe et
d'Asie; nos consciences, notre raison, notre
prudence même ne peuvent s'y résigner. Il
est impossible devoir l'Europe se développer
à la clarté des p r o g r è s du v i n g t i ème siècle,
à côté de ta Turquie restée plongée dans des
t é n è b r e s du moyen-âge ; i l est impossible
d'admettre la juxtaposition paradoxale,
monstrueuse, de cette civitisation et de cette
barbarie.
(
Applaudissements).
Fonds A.R.A.M