N'aurions-nous obtenu que ce r é s u l –
tat, je m'en r é j ou i r a i s . C'est quelque
chose en effet d'avoir montre, en plein
Paris, devant quatre à cinq mille fran–
çais de"toute opinion, au lendemain de
l'affaire Dreyfus et de l'application de
la l o i sur les c o n g r é g a t i o n s , que nous
étions capables, ma l g r é nos divisions,
de nous unir, de grouper les adver–
saires les plus o p p o s é s , pour la défense
d'une même cause.
Ma i s , cela l'ait, deux jours a p r è s
notre manifestation, l'esprit critique
reprenait ses droits. L ' u n nous raillait
en objectant qu'il en serait de nos
sympathies pour les o p p r i mé s d'Orient
comme de nos encouragements aux
Bo ë r s . . .
Pou r quo i cette assimilation ? Nous
avons tous dép l o r é la guerre du Trans-
vaal. Fa l l a i t - i l l'approuver? Tout en la
d é p l o r a n t , nous avons dû nous rendre
compte cependant que l ' Europe divisée
était impuissante à la faire cesser, et
nous n'avions par c o n s é q u e n t , nous
F r a n ç a i s , aucun droit d'intervention.
Vi s - à - v i s du sultan, c'est tout le
contraire. Le s grandes puissances ont
non seulement le droit, mais le devoir
d'intervenir pour faire cesser ou a t t é –
nuer des d é s o r d r e s qui sont la viola–
tion flagrante des engagements du
sultan envers elles. Intervenir en faveur
des Bo ë r s , c'élait une dé c l a r a t i on de
guerre. Rappeler le sultan au respect
des t r a i t é s , c'est d é f e nd r e l'ordre et la
paix.
Je comprends toutefois ces reproches
des sceptiques ou des intransigeants ;
et i l est tout naturel que M . H . Roche-
fort, estimant que nous avions voulu
mé n a g e r M . De l c a s s é , m'accuse, mo i
p a r t i c u l i è r eme n t , de me r é s e r v e r l'avan–
tage de ces missions quel'on m'octroie...
Lesquelles? Je, l'ignore : à part la con–
férence de L a Haye . Ma i s c'est son
genre.
Du moins, M . le ministre des affaires
é t r a n g è r e s a dû trouver fort opportune
une manifestation qui l u i permet de
s'appuyer sur une opinion calme et
pacifique et par là même dé c i dé e à ne
pas laisser l'administration hamidienne
menacer la paix du monde. On ne
pourra plus l u i r é p o n d r e , à Constanti–
nople ou ailleurs, que cette opinion se
d é s i n t é r e s s e des massacres d ' Armé n i e
et des troubles de Ma c é do i n e ; notre
diplomatie pouvant invoquer d'autres
c on s i d é r a t i on s que des textes u s é s ,
s'appuiera sur quelque chose de plus
vivant, de plus troublant, de plus effi–
cace : la protestation des consciences.
E l l e aura chance d'éveiller ainsi plus
facilement l'attention de l ' Eu r ope et
celle du sultan sur les dangers qui
s'accumulent.
E h b i en ! non. M . De l c a s s é n'est pas
beaucoup plus satisfait que M . H . R o -
chefort ; i l nous fait g r â c e de son i n d i –
gnation, mais i l se demande si nous
avons bien réfléchi, si nous savons...,
si nous n'allons pas le p r é c i p i t e r au-
devant du conflit que nous voulons
l'aider à p r é v e n i r — et i l se refuse à
compromettre dans les aventures, que
p r é c i s é m e n t n o u s redoutons, trente ans
de labeurs et d'efforts...
Il se demande si nous avons réfléchi
qu'en Ma c é do i n e i l y a des races, des
langues, des religions e n c h e v ê t r é e s ,
des r i va l i t é s , des rancunes ; et si nous
avons p e n s é que des ambitions euro–
p é e n n e s correspondent aux ambitions
contradictoires des Bulgares, des Grecs,
des Serbes, etc. Enfin, i l nous supplie
de conserver notre sang-froid.
Je regrette amè r eme n t que l'hono–
rable M . De l c a s s é , avant de faire ces
d é c l a r a t i o n s à M . ledirecteur du
Matin
n'ait pas l u dans le
Matin
m ê m e l'excel–
lent compte rendu de notre manifes–
tation. Il aurait été surpris de constater
que notre ignorance des
choses
d'Orient n ' é t a i t pas tout de m ê m e aussi
é p a i s s e qu'il craignait et que p r é c i s é –
ment nous avons tous, les uns a p r è s
les autres, insisté sur la c omp l e x i t é
du p r o b l ème à r é s o u d r e , sur l ' impos –
sibilité d'en finir par quelque moyen
dangereux ou absolu.
Deux a n n é e s de suite, pour ma part,
j ' a i vécu en nomade dans ces provinces
de la Turquie d ' Eu r ope ; je les ai tra–
v e r s é e s , à cheval et seul, de l ' Ad r i a –
tique au chemin de 1er de S a l o –
nique. J'ai connu, dé c r i t ce d é s o r d r e ;
et depuis lors je n'ai c e s s é de mé d i t e r
avec combien d'autres, sur l ' impo s s i –
bilité de laisser durer ce chaos aux
portes de l ' Eu r ope t r a n s f o rmé e . M / de
P r e s s e n s é , pendant plus d'une heure,
a p r é c i s éme n t e xpo s é , avec la plus
é t o n n a n t e lucidité,
l ' e n c h e v ê t r eme n t
des ê t r e s et des choses dans la p é n i n –
sule des Ba l kans , et son discours a
produit une impression d'autant plus
profonde qu'il s'adressait au bon sens
et à la raison autant qu ' à l'esprit de
justice.
M . Denys Coch i n n'a pas été moins
é c o u t é quand i l a r a p p e l é tout ce qui
compliquait la question d ' Armé n i e .
M . J a u r è s a fait mieux encore : i l a été
au-devant des i nqu i é t ud e s de la diplo–
matie et ne l u i a d ema n d é que de con –
sentir à se laisser rassurer et aider.
De même M . Le r o l l e ; et quant à
M . Le r oy -Be au l i eu , je souhaiterais à
beaucoup de ministresdes affaires é t r a n –
g è r e s e u r o p é e n s une connaissance aussi
approfondie que la sienne du sujet
t r a i t é . E t je ne parle pas de M . Vi c t o r
Bé r a r d , à nos c ô t é s , du P è r e Ghar-
metan, de M . Berthelot, qui tous nous
apportaient la contribution non pas
d'une exaltation suspecte et superfi–
cielle, mais d'une e xp é r i e n c e lentement
acquise sur place ou d'une a u t o r i t é
s u p é r i e u r e i n c on t e s t é e .
J ' e s p è r e que ces explications suffi–
ront pour rassurer M . le ministre des
affaires é t r a n g è r e s .
D ' E S T O U R N E L L E S D E C O N S T A N T .
LA QUINZAINE
En Europe et en Arménie
L a grande manifestation o r g a n i s é e
sur l'initiative et par les soins t r è s
d é v o u é s du D
r
L o r i s Mélikoff a r é u s s i
a u - d e l à des e s p é r a n c e s de tous.
Nous ne saurions exprimer en termes
assez vifs notre t r è s grande gratitude
au P r é s i d e n t d'Estournelles de Con s –
tant, aux orateurs qui avaient eu le
rare courage d'oublier dans une haute
p e n s é e de justice el d ' h uma n i t é leurs
dissentiments d'hier et de demain, au
public attentif et p a s s i o n n é qui les a
s a l u é s de ses applaudissements una–
nimes.
A l'heure où les é v é n eme n t s de
Ma c é d o i n e obligent les gouvernements
de l ' Europe t r è s civilisée et t r è s c h r é –
tienne à se souvenu, bien imparfaite–
ment d'ailleurs, du t r a i t é de Berlin,
i l était n é c e s s a i r e de leur rappeler le
crime de l è s e - h uma n i t é commis par
eux en 1894, 1895 et 1896.
Il était n é c e s s a i r e de leur rappeler
qu'alors trois cent mille A rmé n i e n s ,
trois cent mille c r é a t u r e s humaines
appartenant à un peuple qu'ils s ' é t a i en t
solennellement e n g a g é s à défendre en
1878,
avaient été é g o r g é s avec leur
c omp l i c i t é active ou tacite.
Il était n é c e s s a i r e de leur rappeler
qu'une c ommu n a u t é de souffrance,
h é l a s ! et une c ommu n a u t é de droits
unit aux Ma c é d o n i e n s ce qui reste de
la race A rmé n i e n n e à demi e x t e rmi n é e
par le plus hideux des assassins.
Les orateurs du 15 février ont établi
le fait et le droit, l i s ont, emp ê c h é la
prescription que d é s i r e r a i e n t se voir
acquise le criminel p r i nc i pa l et les
hommes d'Etat qui l'ont trop longtemps
t o l é r é ; et Fr anc i s do P r e s s e n s é a pu
attester qu'il mettait au défi qui que
ce soit d'infirmer l'exactitude des tra–
giques co rrespon dan ces el des tragiques
rapports pub l i é s depuis trois ans par
Pro Armenia
:
i l ne faut pas cpie leur
monotone horreur lasse en nous l ' i n –
dignation.
V o i c i que par un semblant de r é –
formes a c c e p t é e s sur le papier pour
les vilayets de Ma c é d o i n e , Ab d - u l -
Hami d affecte de se croire quitte envers
l ' Eu r ope . N i l u i n i ceux qu'il p r é t e n d
duper ne sont r é e l l eme n t dupes de
cette c omé d i e diplomatique; comm
en octobre 1895, au moment des « ré
Fonds A.R.A.M