PrO Artîienia
paraît
aujour–
d'hui en un numéro de vingt
pages, correspondant
aux nu–
méros du 10 et 25 Février. Ce
relard est dû à notre désir de
donner intégralement
le compte
rendit sténo graphique de la ma–
nifestation du i5
Février.
Désormais,
Pro Armen i a
paraîtra
le i
er
et le
1
5
de chaque mois.
D E UX LETTRE S
De M. d'Estournelles de Constant
A M. Pierre
Quillard,
Directeur de « Pro Armenia ».
M O N CHER D I RECT EUR ,
Je tiens à vous adresser la lettre c i -
jointe que j ' a i e nvoy é e au
Matin
pour
r é p o n d r e à quelques critiques pub l i é e s ,
t r è s impartialement d'ailleurs, dans ce
journal sur notre manifestation du
Ch â t e a u - d ' E a u .
Permettez-moi de c omp l é t e r cette
lettre en relevant, par la môme occa–
sion, des attaques aussi vives qu'injus–
tifiées parues dans le
Temps,
du 19 fé–
vrier, sous ce titre significatif :
Inco–
hérences.
1
° Il est tout à fait inexact d'accuser
d ' i n t o l é r a n c e un public de plus de
4,000
personnes qui pendant p r è s de •
six heures (attente comprise) a mani–
festé la plus admirable patience, une
tenue, un tact au-dessus de tout é l og e .
Il est assez naturel qu'avant l'ouver–
ture de la s é anc e et pour tromper une
attente v é r i t a b l eme n t trop p r o l o n g é e ,
quelques jeunes gens aient c h a n t é les
Lampions,
voire même
l'Internationale,
mais tout observateur impartial eû t été
d'autant plus frappé de voir ensuite ces
même s jeunes gens é c o u t e r avec une
attention soutenue et dans le plus pro–
fond silence tous les orateurs, sans
distinction, ne les interrompant que
pour les applaudir avec le plus remar–
quable discernement. I l est vrai que,
à la fin de la s é a n c e , notre c o l l è gu e ,
M . Le r o l l e , a p r o v o q u é , pendant un
instant, sur un point touchant aux po–
l émi q u e s actuelles les plus vives, quel–
ques interruptions»de l'auditoire.
Ma i s cela encore était tout accidentel
et i l n'y a pas un seul d'entre nous, y
compris M . Le r o l l e l u i -même , qui ait
fait au public un reproche s é r i eux de
ces interruptions lesquelles n'ont pas,
du reste', emp ê c h é l'orateur catholique
et royaliste de terminer son discours
au milieu des applaudissements, ma l g r é
qu'il n ' e û t fait aucune abdication de
ses opinions et qu'il les eû t au con–
traire c a t é g o r i q u eme n t affirmées.
L a preuve'd'ailleurs de la confiance
que mé r i t a i t ce public, c'est qu'on
avait oub l i é de mettre à ma disposi–
tion pour p r é s i d e r la sonnette ou, tout
au moins, le coupe-papier traditionnel,
et que je ne m'en suis m ê m e pas
a p e r ç u . . .
2
° Ma i s le
Temps
ne s'en prend pas
au public seulement et c'est aux ora–
teurs surtout, sans les nommer tous,
qu'il r é s e r v e ses flèches les plus
a c é r é e s .
D'abord, i l affecte de n'avoir vu sur
notre estrade que des royalistes, des
radicaux et des socialistes alors que
l'élément mo d é r é y était r e p r é s e n t é par
des hommes de grand mé r i t e dont les
noms figurent parmi nos a d h é r e n t s .
Pou r ne citer qu'un nom, le j ou r na l
le
Temps
est-il excusable de c on s i d é –
rer M . A . Le r oy -Be au l i eu comme un
royaliste, un radical ou un socialiste ?
3
° Ma i s voici où notre i n c o h é r e n c e
se révèle. Nous voulons, paraît-il,
la
paix à tout pr i x !
Nous voudrions
soumettre à la cour de L a Haye les
litiges qui touchent à notre honneur
même ! !
Nous sacrifierions tout à celte paix
humi l i é e , honteuse et ridicule qu'on
nous accuse de poursuivre, et, — mal–
gré cela, — nous osons compromettre
même cette paix honteuse en partant
en guerre contre le sultan ! et pour–
quoi pas contre tous les autres oppres–
seurs de la terre? « Quelles m i s è r e s !
s'écrie le correspondant du
Temps,
hors de l u i . . .
«
Comment des
internationalistes
r êven t - i l s de grande politique huma–
nitaire, s'ils brisent aux mains de la
France l'instrument non pas m ê m e des
entreprises g é n é r e u s e s mais de la s im–
ple et n é c e s s a i r e défensive ! Ils veulent
menacer le monde d'une flotte? Quelle
flotte ? S i l'on cesse d'en construire
une! » et ainsi de suite.
A ce r é qu i s i t o i r e emf l ammé contre
des hommes qui n'ont eu d'autre tort
que de vouloir faire t r êve à leurs dis–
cordes pour défendre ensemble une
des nombreuses causes qu'il est du
devoir et de l'intérêt de la France de
ne pas abandonner, nous r é p o n d r o n s
en demandant au
Temps,
comme tou–
jours, quelle est sa conclusion? Av o n s -
nous eu tort de faire cet effort? E t si
nous avons eu tort, que fallait-il faire?
Pas de r é p o n s e , bien entendu.
Personne parmi nous n'a jamais
pa r l é n i rêvé de la paix
à tout prix :
c'est faire injure à notre patriotisme et
surtout à notre plus é l éme n t a i r e bon
sens, puisque la paix à tout prix n'est
autre chose que la servitude ! Ceux
d'entre nous qui comme moi voient
dans la guerre une aggravation et non
un r emè d e ont défini ce qu'ils enten–
daient par une politique de la paix,
laquelle est justement le contraire de
la paix à tout prix. Enfin quand nous
parlons de l'arbitrage nous le conce–
vons tel que l'ont défini les conven–
tions de L a Haye et non pas me n a ç a n t
pour notre honneur national, comme
se plaît à l'envisager l'esprit de parti.
A i n s i compris, l'arbitrage est une sau–
vegarde et non un risque, encore moins
une humiliation ; i l est impossible au
contradicteur de bonne foi de ne pas
le r e c o n n a î t r e .
Quant à la flotte dont nous enten–
dons menacer le monde, cela d é p a s s e
la mesure; nous ne voulons menacer
que le Sultan, lequel n'est pourtant
pas le monde à l u i tout seul, je sup–
pose. Nous voulons, au contraire, ras–
surer le monde et mettre l ' Europe en
garde contre le danger du d é s o r d r e
oriental.
Nous pensons qu'un seul bateau
c h a r g é par l ' Eu r ope d'aller rappeler au
sultan ses engagements aurait suffi de–
puis longtemps pour couper court à ce
danger.
M . Cambon n'en demandait pas d'a–
vantage lors des massacres de Constan–
tinople et d ' Armé n i e , mais on ne l'a
pas é c o u t é . Au j ou r d ' hu i , depuis l'affaire
Lo r ando -Tub i n i , on est bien forcé d'a–
vouer qu ' i l avait raison et, dè s lors, on
est ob l i gé de suivre son conseil, sous
peine de laisser le sultan recommencer
indéfiniment à violer les t r a i t é s .
Et ne serait-ce qu'au seul point de
vue des i n t é r ê t s ma t é r i e l s de l ' Eu r ope ,
au point de vue é c o n om i q u e , comment
ne comprend-on pas que la Turquie est
à la fois pour nous, c omme r ç a n t s ,
constructeurs, producteurs ou c r é a n –
ciers, un gage et un ma r c h é qu'il faut
mé n a g e r .
Ce n'est pas le sultan qui est le client
de l ' Eu r ope , c'est la Turquie. Notre
intérêt est donc qu'elle soit p r o s p è r e
et nu l ne peut, sans une ignorance
inexcusable, ou le plus é t r a n g e parti-
pris, accuser d ' i n c o h é r e n c e l e shomme s
qui c o n s i d è r e n t que la paix à tout prix
et finalement la guerre
r é s u l t e r o n t
p r é c i s éme n t de la complaisance aveu–
gle des gouvernements e u r o p é e n s en–
vers le sultan.
D ' E S T O U R N E L L E S DE CON S T AN T .
Vo i c i maintenant la lettre envoyée au
Matin :
Paris, 20 février 1903.
Mons i eu r le Ré d a c t e u r en chef,
Vous me trouverez p e u t - ê t r e bien
naïf, mais je pensais qu ' à pa r t i e sultan,
tout le monde approuverait notre r é u –
nion de dimanche.
Et c'est ce qui s'est produit... pen–
dant deux jours. Depuis la
Croix
j us –
qu'à
YAurore,
tous les journaux, sans
distinction, ont fait t r ê v e , la
Croix
louant M . de P r e s s e n s é ,
YAurore
féli–
citant M . Denys Co c h i n .
Fonds A.R.A.M