mo n t r é e peu favorable. Nous ne dirons pas
que les cris de douleur des o p p r i mé s de la
Macédoine et de l'Arménie ne trouvent point
d'écho en Allemagne ; ce serait être injuste
envers nos voisins; mais dans les affaires
d'Orient non moins que dans celles de
l'Afrique du Sud, le gouvernement impérial
tient à montrer que les c o n s i d é r a t i o n s de
sentiment et d ' h uma n i t é n'ont aucune prise
sur lui. Il ne veut voir dans la Turquie qu'un
client dont i l affecte de mé n a g e r les suscep–
tibilités pour être mieux à même d'en exploi–
ter les ressources et les complaisances.
Politique à courte vue p e u t - ê t r e , politique
qui, pour ne point s'embarrasser d'inutiles
générosités et de scrupules humanitaires,
n'en est peut-être pas plus prudente; car, en
avril prochain, la révolte des o p p r imé s peut
lui donner de sanglants d éme n t i s . Après
cela, quand les troupes de l'ami Guillaume II
n'arriveraient pas à écraser en Macédoine
l'insurrection du désespoir, i l se peut que, à
Berlin, on envisage sans trop de déplaisir
la perspective des prochaines complications
en Orient, comme si le soulèvement de la
Macédoine devait ouvrir de nouvelles routes
au « Drang nach Osten » et à l'expansion
germanique.
N'importe, ma l g r é l'indifférence de Be r l i n
envers les souffrances des o p p r imé s et ma l g r é
les calculs égoïstes de la politique allemande,
nous ne saurions nous résigner à demeurer
des t émo i n s impassibles du long martyre
des r a ï a h s de Macédoine et d'Arménie. Quel–
que place que tienne en Europe le nouvel
empire allemand, i l n'est pas encore l'Europe.
L'exemple récent de la Crète, dont la situa–
tion offrait bien des analogies avec celle de
la Macédoine, nous prouve que, en Orient,
l'Europe peut encore agir sans la permission
ou sans le concours de l'Allemagne. Puis–
que les hésitations des chancelleries et les
r é p u g n a n c e s du gouvernement de Berlin
semblent rendre malaisée la prochaine con–
vocation d'une Conférence e u r o p é e n n e , ne
peut-on trouver une autre ma n i è r e de pro–
céder qui, en mettant fin aux souffrances
des o p p r i mé s d'Orient ou en leur rendant
l'espérance, préserve la paix e u r o p é e n n e des
dangers dont la menace le soulèvement des
-
Balkans ?
C'est i c i que je me permets de réclamer
l'attention des politiques, et plus encore
celle des pacifiques, celle de tous les amis
de la Paix, et aussi celle de tous les hommes
préoccupés du dioit international.
Les o p p r imé s d'Orient, pour la délivrance
desquels nous souhaitons la réunion d'une
Conférence e u r o p é e n n e , tiennent, de ce
traité de Berlin, un titre juridique dont l'Eu–
rope ne saurait constater la valeur, puisque
c'est l'Europe qui le leur a conféré. A cet
égard, les chrétiens de l a Macédoine et de
l'Arménie, les juifs de Roumanie sont dans
une position identique; ils peuvent tous,
é g a l eme n t , appuyer leurs revendications sur
un acte, sur un titre en règle, trop r é c e n t
pour être r e g a r d é comme caduc, trop solen–
nel et certifié par trop de signatures pour
que la Turquie et aucun gouvernement ose
en nier la validité.
Cet acte solennel, ce titre juridique en
leur possession, comment les o p p r i mé s
d'Orient peuvent-ils le faire valoir?
Ils ne sauraient le faire par eux-mêmes, et
cela pourquoi? Parce que n i les uns, ni les
autres ne constituent d'Etat; parce que n i
les uns ni les autres n'ont de p e r s o n n a l i t é
juridique ; parce que, en un mot, devant la
diplomatie et devant le droit international,
ils n'ont pas d'existence propre; ils sont
comme s'ils n'existaient point. Par suite,
quelle que soit la validité de leur titre et si
incontestable que soit leur droit, ils n'ont
pas qualité pour le soutenir; ils n'ont aucun
moyen juridique de le faire valoir. Les
clauses les plus solennelles et les plus p r é –
cises du traité de Berlin restent, en leurs
mains, lettre morte. Mais ce que n i les
chrétiens de Macédoine, n i les A r mé n i e n s
de Turquie, ni les juifs de Roumanie ne peu–
vent faire par e u x -même s , d'autres ne sau–
raient-ils le faire pour eux? Les Etats de
l'Europe, ceux notamment qui ont signé le
traité de Berlin, ne sont-ils pas en droit de
réclamer de la Turquie ou de la Roumanie
l'exécution des engagements acceptés par
elles ?
Cela ne peut faire doute pour personne ;
s'il nous en fallait une preuve, nous la trou–
verions dans la note adressée aux puissances
e u r o p é e n n e s par M . Hay, sur les ordres du
p r é s i d e n t Roosevelt, à propos des juifs de
Roumanie. Le gouvernement des Etats-Unis
a considéré que, s'il n'avait pas l u i -même
qualité pour rappeler la Roumanie au res–
pect du traité de Berlin, ce droit appartenait
aux puissances signataires de ce traité. Sup–
posons que les Etats-Unis eussent participé
à la rédaction et à la signature de l'acte de
Berlin, croit-on qu'ils eussent suivi la mente
p r o c é d u r e ? qu'ils se fussent c o n t e n t é s de
s'adresser aux puissances e u r o p é e n n e s , et
qu'ils eussent hésité à mettre directement
le cabinet de Bucarest en demeure de se
conformer à l'acte de 1878. Or, ce que n'a
pas fait la grande Ré p u b l i q u e américaine,
parce qu'elle n'était pas partie au traité de
Berlin, chacune des six grandes puissances
e u r o p é e n n e s est libre de le faire. Elles peu–
vent le faire individuellement aussi bien que
collectivement, vis-à-vis de la Turquie non
moins qu'à l'égard de la Roumanie. Il n'est
nullement nécessaire qu'elles soient pour
cela unanimes, ni qu'elles agissent d'accord.
Les revendications que ne sauraient exercer
contre le Sultan les c h r é t i e n s de Macédoine
et d'Arménie, parce qu'ils n'ont pas de per–
sonnalité juridique internationale, chacune
des puissances est qualifiée pour les exercer
en leur lieu et place.
Mais ces droits, me dira-t-on, comment en–
tendez-vous que l'on puisse les faire valoir"?
Est-ce par la force des armes? Et ne voyez-
vous pas les périls d'une pareille action, sur–
tout si elle doit être isolée? — No n , dirons-
nous, ce n'est point par la force des armes.
Nous croyons que pour faire exécuter l'arti–
cle 23, l'article 44, l'article 61 du traité de
Berlin, i l y aurait, dès que la question au–
rait été soulevée, par une ou plusieurs puis–
sances, une p r o c é d u r e plus simple et plus
sûre, celle que p r é c o n i s e n t partout les amis
de la paix, l'arbitrage.
Et, en effet, mettre la Turquie ou la Ro u –
manie en demeure d'exécuter telle ou telle
clause du traité de Berlin, c'est soulever un
conflit avec le gouvernement turc ou le gou–
vernement roumain, et ce conflit, qui inter–
dit, pour y mettre fin, de proposer l'arbi–
trage? Bien mieux, comme i l s'agit i c i de
l'exécution ou de l'interprétation d'un traité,
l'arbitrage serait la plus naturelle des solu–
tions. Et si la France ou la Russie, si l'Italie
ou l'Angleterre isolées ou r é u n i e s posaient
la question sur ce terrain, nous doutons que
les puissances mises en cause, que la Tur–
quie et la Roumanie se permissent de re–
pousser l'arbitrage, d'autant que, si nous ne
nous trompons, la Turquie et la Roumanie
ont adhéré à l'acte de L a Haye.
Aux amis de la paix, aux sociétés pour
l'arbitrage de réfléchir sur la marche que
nous proposons i c i . Nous sommes, quant à
nous, partisans résolus de l'arbitrage entre
les nations; nous y voyons le moyen le plus
simple et le plus h o n n ê t e de prévenir ou de
r é s o u d r e les conflits entre les Etats ou entre
les peuples. Par malheur, le p r o c é d é ne pa–
raît point pouvoir s'appliquer à toutes les
questions, et p a r t i c u l i è r eme n t aux plus dou–
loureuses. A i n s i en semble-t-il, à première
vue, des questions pendantes en Orient.
L'arbitrage n'offre aucun recours aux peu-
ptes o p p r imé s , aux provinces conquises, aux
nations p a r t a g é e s ou dépouillées de leur
existence nationale. C'est là une de ses fai–
blesses; l'arbitrage est captif de la lettre des
t r a i t é s ; i l ne peut r é p a r e r tes iniquités de fa
force, puisque la plupart des traités ont été
écrits avec la pointe d'une épée. E n Orient,
cependant, les o p p r i mé s ont la bonne for–
tune de p o s s é d e r un titre dans le traité de
Berlin ; ils y peuvent trouver un recours, ils
y peuvent trouver le salut. Mais pour cela,
encore une fois, i l leur faut un i n t e rmé –
diaire ; i l leur faut l'appui d'un gouverne–
ment qui ose réclamer, en leur faveur, l'exé–
cution des traités. Ce gouvernement ne
peut-il se rencontrer? Parmi les puissances
qui, à Berlin, leur ont conféré un titre, ne
s'en trouvera-t-il pas une pour leur fournir
les moyens de faire valoir les droits que leur
confère ce titre? Le moyen est simple, ce–
pendant, nous l'avons i n d i q u é : au lieu d'a–
boutir à la guerre, i l aboutirait à i'arbi-
trage?
Mais, nous objectera-t-on, quand une ou
deux puissances se décideraient à suivre
cette voie, i'arbitrage iui-même n'aurait pas
tout résolu. S i la sentence de l'arbitre ne
saurait être douteuse, if faudrait fa faire
exécuter, cette sentence, et là recommencent
le» difficultés.
As s u r éme n t , nous serions i c i en présence
de cas, comme i l en est beaucoup, où le dif–
ficile serait moins d'obtenir une sentence
arbitraire que d'en poursuivre l'exécution.
Mais, pour des affaires actuellement pen–
dantes en Orient, le mode d'exécution est
indiqué par le traité même de Berlin ; c'est
l'intervention et la surveillance de l'Europe.
Et i l faut bien nous en convaincre, de quel–
que côté qu'on retourne la question de la
Macédoine ou la question d'Arménie, on ne
saurait parvenir à une solution qu'au moyen
Fonds A.R.A.M