voire de l'eau-de-vie. Maintenant la
propagande se fait officiellement et
avec l'appui et la faveur de l ' au t o r i t é
imp é r i a l e .
A i n s i se justifie dans les deux pays
le proverbe a rmé n i e n : « L e Tu r c coupe
les branches; le Russe coupe les ra–
cines ».
Qu ' un massacre nouveau ou
une
occupation russe des vilayets a r mé n i e n s
se produisent, é v e n t u a l i t é s é g a l eme n t
dangereuses pour la Turquie et pour la
paix de l ' Eu r ope , les puissances euro–
p é e n n e s r e c o n n a î t r o n t trop tard q u ' à
défaut d ' h uma n i t é leur i n t é r ê t leur eû t
c omm a n d é d'intervenir.
Déjà pour la Ma c é d o i n e , lesjournaux
les moins suspects d ' ho s t i l i t é envers
l ' Emp i r e ottoman, le
Pester
Llogd.
par exemple, c o n s i d è r e n t comme l'une
des solutions possibles (et regrettables)
un nouveau d émemb r eme n t et ils ne
voient de r emè d e que dans l'autre solu–
tion : « l'introduction de r é f o rme s sé–
rieuses et loyales », selon la mé t h o d e
p r é v e n t i v e . L a même alternative se
pose pour la question
a r mé n i e n n e ;
comme le disait n a g u è r e aux d é l é g a t i on s
le Comi t é Go l u c h ows k i : « Le s meilleurs
amis de la Turquie ne l u i sauraient
rendre de plus grand service que de
l'obliger aux r é f o rme s n é c e s s a i r e s . »
E t i l n'en est pas d'autres que l'ap–
plication du traité de Be r l i n qui seule
peut p r é v e n i r d'effroyables attentats
contre l ' h uma n i t é et parer au danger
d'une grande guerre e u r o p é e n n e .
Pierre
Q U I L L A R D .
L I R E :
E s q u i s s e d ' u n e G r amma i r e comparée
de l'Arménien classique.
A . MIÀII.B.I.I
Vienne : Imprimerie des P. P. Mékhitarisles.
COMMENT LES PUISSANCES
P E U V E N T - E L L E S
I N T E R V E N I R EN OR I ENT
A P P E L A T O U S L E S A M I S D E L A P A I X
L'horreur des crimes commis chaque jour
sur les peuples auxquels l'Europe avait ga–
ranti la vie et la sécurité me trouble profon–
d éme n t . A u risque de passer pour un senti–
mental, je ne puis supporter en silence la
lugubre vision des massacres qui ensanglan–
tent de nouveau les montagnes d'Arménie
et de Macédoine. S i nous ne pouvons rien
pour arrêter les fureurs fanatiques des
meurtriers, au moins devons-nous, sans nous
lasser, d é n o n c e r leurs barbaries et lever le
voile de mensonges dont ils p r é t e n d e n t cou–
vrir leurs affreux exploits. Mais est-il vrai
que nous ne puissions rien pour les victimes
de l'hôte cauteleux d'Yildiz Kiosk ? E s t - i l
possible qu'en face de cette politique d'ex–
termination, l'Europe se déclare d é s a rmé e
ou se contente de quelques vaines d éma r –
ches diplomatiques? Quoi, les six grandes
puisances signataires du traité de Berlin ne
se sentiraient pas assez fortes pour imposer
le respect de ce traité à la Porte ottomane
et au sultan ?
La vérité est que les puissances et, pour
tout dire, que les peuples de l'Europe n'ont
pas assez conscience des devoirs qu'ils ont
a s s umé s à Berlin.
'
Et ce n'est pas seulement leur devoir de
grandes puissances c h r é t i e n n e s et de peuples
civilisés que les nations de l'Europe ne sen–
tent point assez, c'est l'intérêt qu'elles ont
toutes, pour leur propre sécurité, à ce que
l'Orient recouvre l'ordre et la paix; car, si
l'oppression et les massacres y persistent,
les é v é n eme n t s d'Arménie et de Macédoine
risquent de devenir un danger pour la paix
même de l'Europe, et non pas un danger
é l o i g n é à date incertaine, mais un danger
prochain qui peut éclater soudainement au
printemps de 1903.
Comme nous l'avons mo n t r é ici-même, la
situation de la Macédoine à la fin de 1902
rappelle s i n g u l i è r eme n t celle de la Bosnie
Herzégovine à la veille de l'insurrection de
1876. '
Faut-il que toutes les leçons du passé
soient perdues; et que, à un quart de siècle
de distance, l'Europe soit c o n d amn é e à voir
des é v é n eme n t s analogues produire des
complications semblables, et a p r è s de nou–
veaux soulèvements, une nouvelle guerre
d'Orient amenant p e u t - ê t r e une guerre gé–
n é r a l e ? Quelque confiance qu'on puisse
avoir dans la sagesse des gouvernements, i l
serait t émé r a i r e d'y trop compter.
«
Nous sommes comme les pompiers, i l
nous faut un incendie pour intervenir », d i –
sait, assure-t-on, le g é n é r a l Ignatief, l'ancien
ambassadeur russe, à des délégués a r mé –
niens. Est-ce là le dernier mot de la diplo–
matie ? et pour se disposer à é t e i n d r e l ' i n –
cendie qui ceuve depuis des mois en Orient,
l'Europe doit-elle attendre qu'il ait violem–
ment éclaté èt mis en flamme tous les Bal–
kans ?
Quelques gouvernements semblent, en ces
d e r n i è r e s semaines, s'être ému s de ce péril.
On annonce que la Russie, que l'Autriche-
Hongrie ont fait à la Porte et à Y l d i z Kiosk
des r e p r é s e n t a t i o n s au sujet de la situation
lamentable de la Macédoine. Il convient de
féliciter les puissances qui se sont enfin r é –
solues à faire entendre aux oreilles du sul–
tan le langage de l ' h uma n i t é ; et i l faut plain–
dre celles qui n'ont pas cru les souffrances
de la Macédoine assez grandes pour les
décider à se joindre à une pareille d éma r c h e .
Si la France avait été de ces dernières, si elle
n'avait tardivement associé ses efforts à
ceux de son alliée, nous en aurions été h u –
miliés pour le quai d'Orsay et pour la Répu–
blique.
Mais quand la majorité des puissances —
quand même , ce que l'abstention s y s t éma –
tique de l'Allemagne ne semble pas nous
permettre d'espérer, l'unanimité des grandes
puissances e û t fait entendre sa voix au palais
d'Yldiz en faveur des peuples de la Macé–
doine, de pareilles r e p r é s e n t a t i o n s demeu–
reraient insuffisantes pour rendre la tran–
quillité à cette province troublée, aussi bien
que pour assurer la paix de l'Europe. Il y
faudrait une politique plus résolue et plus
précise.
Aux recommandations de l'Europe nous
ne savons que trop quelles r é p o n s e s feront
la Porte et le Palais. Le sultan Hamid, pas
plus que ses prédécesseurs, n'a jamais été
avare de promesses; et tous les engagements
qu'il peut prendre pour ses sujets de Macé–
doine ou d'Arménie et tous les « i r a d é s »
qu'il peut édicter en faveur de chrétiens ne
d é p a s s e r o n t jamais, en largeur d'esprit n i
en solennité, les engagements pris par les
sultans Kalifes depuis un demi-siècle, dans
les Hatt Humayoun dont les déclarations
sont toujours restées lettres mortes.
Des sources de l'Euphrate aux cols de la
Cilicie et des montagnes du Tchar Dag aux
gorges du Rhodope les chrétiens savent la
valeur des promesses impériales, ils en ont
trop souvent et trop longtemps attendu
l'exécution pour y croire encore.
Les massacres, la prison et la torture,Tes
rapts et les viols, la dévastation et le pillage,
leur ont suffisamment appris ce qui se cache
pour eux, sous les ordres en apparence les
plus bienveillants d'Yldiz Kiosk. N i l'annonce
de nouvelles réformes ni la nomination de
nouveaux: fonctionnaires ne sauraient les
rassurer. Pour leur rendre l'espérance, i l
faudrait quelque chose d'autre, ne fût-ce
que cette illusoire et é p h émè r e constitution
de Midhat Pacha que Hamid a eu soin de
supprimer, et que la naïve confiance des
Jeunes Turcs nous p r é s e n t e comme la pa–
nacée s u p r ême . N'offrît-elle pas aux c h r é –
tiens beaucoup plus de garanties, la eonsti?
tution de Midhat serait toujours moins usée
que la parole du sultan.
En
réalité, pour les Macédoniens, non
moins que pour les A rmé n i e n s , i l ne peut y
avoir qu'une garantie et une sauvegarde, le
respect du traité de Rerlin. Que l'Europe
exige enfin de la Porte l'exécution des arti–
cles 23 et 61 du pacte de 1878, et l'Europe
assurera la paix e u r o p é e n n e en même temps
que le salut des chrétiens d'Orient. Autre–
ment toutes les d éma r c h e s de la diplomatie
autour du sultan ne seront qu'une vaine
parade. Et si l'on veut vraiment faire exécu–
ter l'article 23 et l'article 61 du traité, i l n'y a,
pour cela, qu'un moyen efficace, celui que
nous avons i n d i q u é i c i même , la r é u n i o n
d'une conférence
e u r o p é e n n e pour les
affaires d'Orient. Cette proposition a ren–
contré l'appui d'une grande partie de la
presse russe, anglaise, austro-hongroise,
italienne. Seule la presse allemande, comme
si elle obéissait à un mot d'ordre, s'y est
Fonds A.R.A.M