Ainsi qu'on en peut juger par les
notes officieuses qui furent
communi–
quées à la presse hongroise et à la
presse autrichienne entre les deux con–
férences et même par la suite, le simple
exposé des faits constants, établis par
des notes unanimes
des
puissances
européennes et par d'innombrables
cor-
resj)ondances
diplomatiques
suffit à
émouvoir vivement S. M. 1. le Sultan et
ses représentants
à Vienne et à Buda–
pest, et il semble certain que, sur
l'ordre d'Yldiz-Kiosk,
l'ambassadeur
Mahmoud Nedim et le consul
général
Lutfi-Bey, par hasard présent
à son
poste, ont témoigné de cette émotion à
M. de Szell, président
du Conseil des
Ministres
et multiplié
les
démarches
privées pour empêcher
la seconde con–
férence, et atténuer ensuite l'effet pro–
duit sur les auditeurs par la
révélation
d'atrocités sans nom.
LA QUINZAINE
Dans les vilayets Turcs
et au Caucase.
Certains malfaiteurs tirent, dit-on,
une ma n i è r e de gloire des crimes qu'ils
ont accomplis ; ils en racontent les
détails avec ostentation et complai–
sance, é n umè r e n t les pillages auda–
cieux, d é c r i v e n t en artistes les beaux
croups de couteaux et les strangulations
congrument e x é c u t é e s .
D'autres p r é f è r en t le silence ; ils ne
travaillent pas pour l'honneur, mais
pour le plaisir et sitôt que leurs
exploits risquent d ' ê t r e d i v u l g u é s , ils
mettent une é t r a n g e pudeur à en inter–
dire la r évé l a t i on .
Ma l g r é les titres flatteurs de Grand
As s a s s i n , de Despote fou d ' é p o u v a n t e ,
de Sultan Rouge, qui l u i furent d é c e r –
n é s par des hommes qui s'appellent
Gladstone, Anatole France, Albert
Va nd a l , S. M . I. Ab d - u l -Hami d appar–
tient à la seconde école ; i l aime que l'on
parle uniquement de sa c l éme n c e et de
sa b o n t é ; le grand j ou r offusque sa
modestie et de m ê m e que les jours de
Sé l aml i k , i l se tapit f éb r i l emen t 'dans
le fond de sa voiture, i l s'affole et prend
peur, toutes les fois qu'en un pays
libre, une voix libre fait c o n n a î t r e son
œu v r e sanglante, telle que permettent
de l'établir, pour les historiens futurs,
les correspondances des ambassadeurs
e u r o p é e n s déjà pub l i é e s à Lond r e s , à
Paris et à Rome , et celles qui demeu–
rent encore s e c r è t e s dans les archives
de P é t e r s b o u r g , de Vienne et de Ber-
l i n .
A Rruxelles, au mois de juillet, à
Rudapest et à Vienne, ces jours der–
niers, nul effort ne fut é p a r g n é pour
emp ê c h e r , non pas des diatribes v i o –
lentes et p a s s i o n n é e s , mais le simple
e xpo s é , froid et nu, des é v é n eme n t s
devant des hommes politiques t r è s
prudents et t r è s av i s é s et des pub l i -
cistes forts capables de discerner le
vrai du faux, c'est-à-dire devant deux
c a t é go r i e s de personnes qui se tiennent
par profession le plus en garde contre
toute surprise sentimentale.
C'est qu'en vé r i t é , S. M . I. Ab d - u l -
Hami d n'a point la conscience tran–
quille : sinon, i l ne serait pas besoin
de mobiliser ses mouchards, d'employer
le moyen un peu s u r a n n é et assez mal
a pp r é c i é des lettres anonymes, et de
donner tant de travail à ses ambassa–
deurs et consuls g é n é r a u x , parce que
dans une salle du Parlement hongrois,
en p r é s e n c e , i l est vrai, de personnages
c o n s i d é r a b l e s , une
con f é r enc e est
d o n n é e sur la situation actuelle des
provinces a rmé n i e n n e s .
S. M . I. n'a point la conscience tran–
quille ; elle craint aussi que le j eu du
massacre ne l u i soit interdit définiti–
vement quelque j our , quand i l n'y aura
plus un Etat et une ville d ' Europe où
son s y s t ème de gouvernement soit
encore i g n o r é . E n quoi elle se montre
perspicace.
Cependant nous continuerons à don–
ner à ses actes autant de no t o r i é t é
qu'il est en notre pouvo i r et tandis
qu ' E l l e fait annoncer dans les journaux
turcs qu ' E l l e a g r a c i é quelques pr i son–
niers a rmé n i e n s de Ba ï b o u r t et de
Ritlis, nous serons obligé d'ajouter
qu ' à Ba ï bou r d même et à Bitlis, ses
fidèles serviteurs e x é c u t e n t ses ordres
avec un zèle qui ne se lasse pas.
A D s c h uwé (district de Ba ï bou r d ) ,
le chef kurde Em i n agha Guendschaga
Og l ou a t ué , en pleine rue, l ' a rmé –
nien Serop Zakharian, p è r e d'une
nombreuse famille ; et lorsque les pa–
rents du mort se sont allés plaindre
aux a u t o r i t é s , ils ont été c h a s s é s .
L ' a s s a s s i n circule en l i be r t é . P r è s de
Va n , ma l g r é l'hiver, les Ku r de s pillent
et d é t r u i s e n t : ils ont ainsi a t t a q u é le
village de Madnawank (district d'Akhlat,
vilayet de Bitlis) et celui de Goschd i an
i même district.)
Ouant aux soldats r é g u l i e r s , ils ne
sont pas de reste avec les Kurdes et les
Hami d i é s : quatre d'entre eux condu i –
saient huit A r mé n i e n s prisonniers, p r è s
de la frontière russe; ils les c o u c h è r e n t
bas; mais e u x -même s moururent de
froid peu a p r è s ; les douze cadavres ont
été. r e t r o u v é s et t r a n s p o r t é s à A l a s c h -
gherd.
Sur l'autre revers du massif monta–
gneux en territoire russe, la d é t r e s s e
des ém i g r é s r é u n i s à la frontière s'ag–
grave avec l'hiver plus rude et le
manque de provisions ; un délai nou–
veau de six mois leur a été a c c o r d é
pour se faire sujets russes ou s'en
aller; en attendant, ils errent par
troupes lamentables, de village en v i l –
lage, sous le fouet des cosaques.
On avait pu e s p é r e r quelque r é p i t
dans l ' œuv r e de russification. L ' exa r –
que de Gé o r g i e A l e x i s , était pa r l i en
t o u r n é e pour les provinces a rmé n i e n n e s ;
il avait visité E t chmi adz i n , siège du
catholicos et é c h a n g é avecMonseigneur
Kh r i m i a n des paroles amicales, tou–
chant les bonnes relations des deux
é g l i s e s , a r mé n i e n n e et russe. Ma i s les
beaux discours cachaient des p e n s é e s
hostiles et ce n ' é t a i t pas par ami t i é et
désir de conciliation, que l'exarque
Al e x i s se d é p l a ç a i t ; i l était en t o u r n é e
de conversions à l'orthodoxie et dans
l'organe officiel du gouvernement du
Caucase, le j ou r na l
Kavkatz,
l ' a r c h i -
p r ê t r e Vosdorkoff, missionnaire fou–
gueux, a rendu compte du travail fait.
L'exarque Al e x i s , en réalité, était allé
inaugurer une ég l i s e orthodoxe dans le
village d'Alexandrevka, p e u p l é d ' a r mé –
niens russifiés ainsi que le village
d ' Ak i no : l'empereur r o i a d o n n é à
chacun de ces deux villages 5.000 rou–
bles pour l ' é t a b l i s s eme n t d'écoles et
d ' ég l i s e s .
Jusqu ' i c i la propagande orthodoxe,
qui est une des formes de la p r opa –
gande pour la russification, se faisait
en secret et par des voies indirectes,
surtout dans les p r i sons , pa rmi les
paysans et dans les tribunaux et selon
la qua l i t é des gens à convertir, on les
achetait en leur promettant gain de
cause dans un p r o c è s ou r émi s s i on de
peine ou a e c è s aux fonctions publiques,
en leur donnant des terres, de l'ar–
gent ou simplement des mé d a i l l e s ,
Fonds A.R.A.M