environ
        
        
          900
        
        
          personnes avec femmes et en–
        
        
          vironnées par des cavaliers cosaques, affa–
        
        
          mées, ayant soii, et épuisées de fatigue
        
        
          furent conduites vers les casernes empri–
        
        
          sonnées.
        
        
          Les richards de Kars, dont le cœur
        
        
          était le plus dur, furent émus par ce spec–
        
        
          tacle. Mais que pouvaient-ils faire; qui
        
        
          oserait leur tendre la main pour les secou–
        
        
          rir !
        
        
          Le lendemain, le même refrain : « Vous
        
        
          devez vous inscrire comme sujets russes »
        
        
          ce qui fut encore rejeté. On donna à quel–
        
        
          ques-uns des cartes imprimées, en leur
        
        
          disant qu'ils étaient déjà considérés comme
        
        
          sujets russes mais les cartes furent déchirées
        
        
          et jetées.
        
        
          Cet essai ne réussit pas et on les relâcha.
        
        
          En ville, personne n'a le droit de les secou–
        
        
          rir pour les empêcher de mourir de faim ;
        
        
          on ne leur permet pas aussi de travailler, en
        
        
          exigeant un passeport. Une partie des émi–
        
        
          grés est arrivée maintenant à Tiflis. Mais le
        
        
          bruit court qu'on doit les emmener par
        
        
          étapes, on ne sait où.
        
        
          U N T É M O I N .
        
        
          
            Novembre
          
        
        
          
            
              1902.
            
          
        
        
          Lettres de Passen
        
        
          et d Erzeroum
        
        
          L E T T R E D E
        
        
          P A S S E N
        
        
          
            24
          
        
        
          
            septembre
          
        
        
          
            1902.
          
        
        
          Passen est le vingtième Ka ï ma k ama t du
        
        
          vilayet d'Erzeroum. Ap r è s la guerre russo-
        
        
          turque, tous les Turcs des environs de Karsft
        
        
          ont émigré dans ce district, de sorte qu'au–
        
        
          jourd'hui la majorité de la population est
        
        
          c omp o s é e de Turcs. Il y a à peine un village
        
        
          a rmé n i e n sur 10 ou 15 villages; quelques
        
        
          villages aussi renferment une population
        
        
          mé l a n g é e .
        
        
          Vo i c i l'automne, c'est la saison des se–
        
        
          mailles, mais le peuple est encore occupé à
        
        
          battre le b l é ; i l attend, tête baissée, le fer–
        
        
          mier qui doit percevoir la dîme. Dans chaque
        
        
          village i l y a un, deux ou trois fermiers qui
        
        
          sont nourris pendant des semaines aux frais
        
        
          du peuple; ils commettent toutes sortes
        
        
          d'oppressions sous divers prétextes : « Vous
        
        
          avez volé le blé, vous en cachez une par–
        
        
          tie, etc. »
        
        
          Le c h â t i me n t est prêt pour celui qui montre
        
        
          la moindre résistance. S i l'on s'adresse au
        
        
          gouvernement, celui-ci ne fait aucune atten–
        
        
          tion ; le fermier le sait et l u i -même prononce
        
        
          le jugement de celui qui essaie une résis–
        
        
          tance. Tous les villages sont soumis au
        
        
          même r é g ime .
        
        
          De r n i è r eme n t , le bruit courait que les
        
        
          émi g r é s allaient arriver et à cette occasion
        
        
          on parlait d'une attaque des (édaïsd'Ardahan.
        
        
          Quelques villages sont remplis de soldats;
        
        
          les violences continuent toujours.
        
        
          Il y a un mois, enviroa vingt émi g r é s de
        
        
          Khilat et de Khnouss, parmi lesquels quel–
        
        
          ques femmes, sont arrivés à Komalzor pour
        
        
          passer de là en Russie. Non loin des fron–
        
        
          tières, près du village d'Altounpoulagh ils
        
        
          sont arrêtés, dont onze sont aujourd'hui en
        
        
          prison. A cette occasion est arrêté aussi
        
        
          Manouk de Komatzor, pour avoir accueilli
        
        
          les émi g r é s .
        
        
          Il y a un mois et demi, près du village de
        
        
          Komalzor, passaient trois Kurdes avec leurs
        
        
          marchandises. Les soldats qui se trouvaient
        
        
          dans le village n'ont pu les a r r ê t e r et ils ont
        
        
          tourné leur colère contre les jardiniers armé–
        
        
          niens qui se trouvaient sur le passage des
        
        
          Kurdes. Ils ont battu atrocement David de
        
        
          Komatzar, Kérop, Kévork et Khatcho. David
        
        
          a été obligé de garder le lit pendant une
        
        
          semaine par suite des coups qu'il avait reçus.
        
        
          Vers la fin de juillet, les hommes
        
        
          
            de
          
        
        
          Mousstaff, chef de tribu -hamidié de Hassnan
        
        
          a t t a q u è r e n t le village de Dodvéran et, em–
        
        
          p o r t è r e n t 88 vaches, 4 bœufs et 13 chevaux.
        
        
          On fît des d éma r c h e s auprès du gouverne–
        
        
          ment qui se montra indifférent. Qui sait s'il
        
        
          n'était pas aussi leur complice ?
        
        
          Au mois d'août, les hommes de Atchmis
        
        
          Rachid, agha de Hassnan, et de Mehmed,
        
        
          bey de Zimaïsin a t t a q u è r e n t le village de
        
        
          Uzvéran et emp o r t è r e n t 30 bœufs, Rachid,
        
        
          agha est major, et Mahmed bey Ka ï ma k am ;
        
        
          voilà des fonctionnaires gouvernementaux !
        
        
          11
        
        
          y a 4 ans, les hommes de Rizakh, de
        
        
          Hassnan ont emp o r t é 400 moutons du village
        
        
          de Ichkon ; le gouvernement ayant appris
        
        
          cet acte de brigandage, a exercé des pour–
        
        
          suites et à la place des moutons volés, i l a
        
        
          d ema n d é d'autres moutons et les a remis aux
        
        
          dépossédés. C'était là un fait inespéré, un
        
        
          miracle pour le peuple. Pendant longtemps
        
        
          il ne pouvait oublier ce pas fait vers la jus–
        
        
          tice. Mais i l semble que le gouvernement
        
        
          lui-même a senti que cet acte était contraire
        
        
          à ses coutumes. Et voilà que le 14 du mois,
        
        
          sur l'ordre du Kh a ï ma k am de Hassanghal, les
        
        
          soldats p é n é t r è r e n t à Ichkhou et ont réclamé
        
        
          100
        
        
          livres des paysans, en disant : « Vous
        
        
          nous aviez t r omp é s ; on n'avait pas emp o r t é
        
        
          vos moutons ; » et sans attendre une r é p o n s e
        
        
          ils ont emp o r t é toutes les vaches, les veaux
        
        
          et les moutons du village. Ils nous ont
        
        
          laissé seulement quelques bœufs, sans doute
        
        
          dans le seul but de permettre aux paysans
        
        
          d'ensemencer, de récolter et pour leur enlever
        
        
          le produit ensuite.
        
        
          Thoumo du village de Ghirtapaz et B o –
        
        
          ghosse de Yazan étant les d é b i t e u r s du bey
        
        
          Rachid, de la tribu kurde de Ghassghan,
        
        
          e n t r è r e n t à son service i l y a 8 a n n é e s . Ap r è s
        
        
          avoir s u p p o r t é des corvées pendant 7 ans,
        
        
          ils voulurent le quitter, se sentant affranchis
        
        
          de leurs dettes ; le bey ne veut pas les laisser
        
        
          partir. Les paysans s'adressèrent au vali
        
        
          d'Erzeroum et l u i d ema n d è r e n t d'ordonner
        
        
          au bey de les laisser libres ; mais le bey fut
        
        
          rendu plus furieux, et les chassa tous les
        
        
          deux après les avoir battus, ayant g a r d é près
        
        
          de l u i leurs femmes. Et i l n'y a personne à
        
        
          qui ils puissent demander justice.
        
        
          Au printemps, les Turcs de Hassan Khalé
        
        
          avaient enlevé la jeune fille du tailleur,
        
        
          Eghoïan, de même que celle de Simon, du
        
        
          village de H é k é p a d e t l a b r u d e H a m p a r t z o u m ,
        
        
          du même village. Après les avoir gardées
        
        
          lonles les trois pendant plusieurs jours, ils
        
        
          les ont renvoyées. Les actes d'effronterie des
        
        
          Kurdes el des Turcs sont innombrables. Le
        
        
          peuple est à bout de patience.
        
        
          L E T T R E
        
        
          D ' E R Z E R O U M
        
        
          
            I
          
        
        
          
            er
          
        
        
          
            octobre
          
        
        
          
            1902.
          
        
        
          Erzeroum avec ses environs est la région-
        
        
          qui a eu le plus à souffrir dans les mauvais
        
        
          jours de ces d e r n i è r e s a n n é e s . Des person–
        
        
          nes qui connaissent de près la misère du
        
        
          peuple et ses souffrances disent que le
        
        
          vilayet d'Erzeroum, par rapport aux autres
        
        
          endroits, jouit d'une vie plus régulière, car
        
        
          la l o i y règne à cause de sa situation limitro–
        
        
          phe à la Russie.
        
        
          Ce sont là des mots d é p o u r v u s de sens.
        
        
          La peste qui épuise le peuple, qui le tue
        
        
          moralement et physiquement, j'entends le
        
        
          gouvernement turc et les Kurdes, sont par–
        
        
          tout les même s — soit à Erzeroum, soit à
        
        
          Hantzough, près des frontières russes, soit
        
        
          dans la plaine de Moush, soit dans les v i l l a –
        
        
          ges de Diarbékir.
        
        
          Pour les Kurdes, i l n'y a aucune différence
        
        
          g é o g r a p h i q u e ; ils tuent et pillent partout où
        
        
          ils peuvent et personne ne les emp ê c h e n t . Ils
        
        
          arrivent par bandes, à cheval, a rmé s de pied
        
        
          en cap; le paysan a rmé n i e n , aussitôt qu'il les
        
        
          voit, est saisi d ' é p o u v a n t e ; tout Kurde est
        
        
          considéré comme un agha, qu'il soit ma î t r e
        
        
          ou domestique, cela est indifférent. Aup a r a –
        
        
          vant, les paysans étaient obligés de recevoir
        
        
          seulement les fonctionnaires du gouverne–
        
        
          ment, aujourd'hui ils soat obligés de rece–
        
        
          voir aussi les Kurdes.
        
        
          On va bientôt finir de battre le blé. Les
        
        
          Turcs percepteurs de la dîme sont en joie.
        
        
          Les fermiers d'impôts sont établis dans les
        
        
          villages et se nourrissent aux frais des
        
        
          paysans qui, après avoir achevé de battre le
        
        
          blé, sont obligés de transporter le produit de
        
        
          la dîme là où i l le faut. Les chemins qui con–
        
        
          duisent à la ville sont remplis de chariots.
        
        
          Rien que la l o i ordonne aux fermiers d i m –
        
        
          pôts de ne point être à la charge des paysans,
        
        
          de ne pas les obliger de transporter les pro–
        
        
          duits gratuitement pour leur compte à tel ou
        
        
          tel endroit, n é a nmo i n s personne ne respecte
        
        
          la l o i . To u l e conduite illégale du Turc ou du
        
        
          Kurde à l'égard des Armé n i e n s est c o n s i d é –
        
        
          rée comme légale, et la moindre protesta–
        
        
          tion juste de l'Arménien qui est écrasé sous
        
        
          1
        
        
          rs imp ô t s et les corvées, est considérée
        
        
          comme une révolte et une rébellion contre
        
        
          l'administration.
        
        
          En ville, tout le monde est plongé dans la
        
        
          terreur. Les Armé n i e n s qui rentrent en ville
        
        
          ou qui la quittent sont fouiilés minutieuse–
        
        
          ment. Dès six heures du soir j u s q u ' à la levée
        
        
          du soleil le matin, personne n'a le droit d'en–
        
        
          trer en ville ou d'en sortir.
        
        
          Le gouvernement ne reçoit aucun des
        
        
          Armé n i e n s qui reviennent de l'étranger. Ici
        
        
          on est très inquiet, à cause de l'apparition
        
        
          des émi g r é s sur les frontières. L a nouvelle
        
        
          s'est r é p a n d u e que tous sont a rmé s et que
        
        
          ce sont tous des fédaïs. Pauvres gens! s'exiler
        
        
          pendant des a n n é e s loin de la patrie, et
        
        
          quand ils veulent venir respirer a u p r è s de
        
        
          Fonds A.R.A.M