mes, femmes et enfants, devaient se diriger
vers la frontière turque. Rappelons que dès
le départ du premier groupe d'émigrés de
Kars, sur la demande de ceux-ci, le vice-
gouverneur avisa le gouverneurgénéral que
les émigrés devaient partir vers la frontière;
le gouverneur général avait déclaré que
tout était arrangé pour que personne n'eût
Je droit d'empêcher leur marche, ni de de–
mander qui ils étaient et où ils allaient.
A la question qui fut adressée, à Tiflis,
au gouverneur général, si les Turcs n'al–
laient pas peut-être s'opposer aux émigrés
et les massacrer, le gouverneur général ré–
pondit que les Blasdouns les conduiraient
jusqu'à deux verstes dans l'intérieur du
pays, Avant la marche vers la Turquie, le
même jour, le lundi, on jugea utile de sa–
voir quelles étaient les formalités à remplir
à la douane russe, pour les accomplir d'a–
vance, et de demander en même temps au
commandant des soldats gardiens des fron–
tières du village de Stahankeny, quelles
étaient les facilités qu'il pouvait accorder,
conformément à la circulaire du gouver–
neur général, par laquelle celui-ci promet–
tait des facilités à tous ceux qui s'éloigne–
raient du territoire russe.
Le commandant répondit que non-seule–
ment i l ne pouvait accorder aucune facilité
mais encore, quiconque oserait passer les
frontières serait frappé d'une balle. En
même temps, i l fut assez bon pour déclarer
qu'il avait reçu une instruction secrète du
commandant en chef de son régiment,
d'exercer autant que possible, une surveil–
lance sévère sur les frontières, pendant
tout le temps que les émigrés seraient dans
les villages situés sur les frontières. La nou–
velle foudroya d'abord tous les émigrés,
mais ensuite, on crut voir là un malen–
tendu, car personne ne voulait croire, qu'a–
près avoir permis à une si grande foule de
traverser une énorme étendue sans obs–
tacle, de Tiflis jusqu'à la frontière, environ
400
verstes, le gouvernement russe pourrait
empêcher leur marche, une fois arrivés à
la dernière étape. Ne pouvait-on pas, avant
leur départ de Tiflis, les prévenir de l'inu-
lité de leurs efforts pour marcher vers la
frontière, et les avertir qu'on ne leur per–
mettrait pas de traverser les frontières? Se
basant sur la promesse que le gouverneur
de Kars leur avait faite de s'adresser à lui
dès le premier obstacle, les émigrés deman–
dèrent, par dépêche, à Ghurègh. vartabed
de Kars, d'intervenir pour eux auprès du
gouverneur pour obtenir le permis de tra–
verser la frontière. On attendit deux jours
pour la réponse. Le troisième jour, arriva
le gouverneur de la province; il réunit à
Pach Keng (circonscription de Ghaght-
chouan) les chefs des émigrés et leur com–
muniqua l'ordre du gouverneur général,
Galitzine, c'esi-à-dire : ou bien de s'inscrire
immédiatement comme sujets russes, ou
bien d'abandonner les villages et s'en aller
ailleurs pour trouver un passage pour la
traversée. Il refusa donc aux émigrés de tra–
verser la frontière russe; il refusa de même
d'intervenir en leur faveur auprès du gou–
verneur général. Le lendemain, les émigrés
adressèrent une pétition, une dépêche, au
gouverneur général, dans laquelle, renou–
velant les motifs pour lesquels ils ne pou–
vaient s'inscrire comme sujets russes, et
rappelant les promesses de facilités conte–
nues dans la circulaire, facilités qui
devraient être accordées à tous ceux qui
quitteraient le territoire russe, ils deman–
daient de donner ordre à qui de droit, pour
leur permettre de traverser la frontière
russe, et d'intervenir auprès du gouverne–
ment turc pour les recevoir.
Quatre jours plus tard, on reçut une
dépêche signée du directeur des archives du
gouverneur général, conçue en ces termes :
«
Vous recevrez la réponse à votre dé–
pêche du gouvernement de Kars. »
Quelques jours se passèrent; on apprit
que, le dimanche, le gouverneur viendrait
à Pach Keng. Les chefs des émigrés se
réunirent; et, le cœur tremblant, ils atten–
daient la réponse. Le gouverneur arriva,
réunit les chefs et leur déclara que la ré–
ponse du gouverneur général était la même
que celle du gouverneur de la province,
c'est-à-dire : ou d'accepter de s'inscrire im–
médiatement comme sujets russes, ou de
s'éloigner des villages. A toutes les
demandes, les prières, les réclamations, le
gouverneur répondit que tel était l'ordre et
qu'il était venu l'exécuter. Les émigrés
ripostèrent que, même si on leur mettait le
couteau sur la gorge et on la tranchait pour
les obliger de s'inscrire comme sujets
russes, ils ne l'accepteraient pas. Le gou–
verneur partit.
Les émigrés décidèrent d'attendre encore,
pour avoir une réponse du patriarche, car
ils apprirent que le vicaire de Kars s'était
adressé au patriarche et avait demandé d'in–
tervenir auprès du sultan, pour recevoir les
émigrés.
Dès le premier jour de l'arrivée des émi–
grés aux villages situés sur les frontières,
presque tous les jours, les commandants
des soldats gardiens des frontières du v i l –
lage de Khara Kilissé de la frontière turque
venaient au village russe de Stahan où se
trouvaient aussi des émigrés et s'intéres–
saient à leur situation. Khahil effendi, l'un
des commandants, fit venir plusieurs fois
les chefs des émigrés et s'entretint avec eux.
il disait qu'il avait déjà fait les démarches
olficielles nécessaires auprès de qui de
droit et attendait la réponse.
Une semaine se passa ainsi. Le bruit
courait que les émigrés seraient arrêtés
comme des propagandistes. Plus tard, on
apprit, d'une source spéciale et très authen–
tique, que le chef de la police de Passen
avait reçu l'ordre de faire éloigner les émi–
grés des villages, la plus forte partie vers
Ardahan et l'autre partie vers Kars, et de
les inscrire comme sujets dans ces localités.
Le mercredi, le vicaire de Kars vint à Pach
Keny. Une ou deux heures après son arri–
vée, on apprit que
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personnes des émigrés
qui se trouvaient dans le village de Khara-
ponghar avaient été conduites par force
sous escorte vers Kars. Gurègh Vartabed
réunit les émigrés et se faisant le porte-
parole du catholicos, les exhorta ou de s'ins–
crire comme sujets russes ou de passer par
petits groupes en Turquie en passant par
la Perse. Ce dernier consed de passer en
Turuuie parla Perse avait été donné par
l'adjudant du gouverneur au catholicos qui
s'était rendu à Tiflis pour l'affaire des
émigrés.
Les émigrés acceptèrent ce dernier con–
seil tout en sachant que le gouvernement
russe ne serait pas disposé à leur permettre
de traverser la frontière, mais ils firent cette
résolution, d'abord pour que leurs cons–
ciences fussent tranquilles et ensuite, parce
que c'était le conseil même donné parFrézé,
adjudant du gouverneur. Le lendemain,
un premier groupe de
120
personnes quitta
Pach Keny, décidant d'avance de se réunir
tous à Etcheniatzine, et de là de passer par
petits groupes en Perse. Le vendredi, les
autres émigrés quittèrent Passen et prenant
le chemin de Ghaghtchouan, Ghoghpe et
Ikdir, ils arrivèrent à Etchiniatzin le mer–
credi soir.
Le lendemain, avant l'aube, la police fit
sortir les émigrés des maisons et les réunit
au poste de police; là les noms des émigrés
furent inscrits, et on en prit deux parmi
eux comme garants, pour que personne
n'osât quitter le village avant l'arrivée des
instructions du gouverneur d'Erivan. Le
jour suivant l'ordre arriva; tous les émigrés
devraient retourner à Kars sous surveil–
lance et par le même chemin qu'ils avaient
pris, c'est-à-dire par Ykdir, Ghoghpe,
Ghaghtchouan, Kars. Sur la demande des
émigrés, le catholicos envoya un délégué à
Erivan pour intervenir auprès du gouver–
neur et lui demander qu'au lieu de faire
faire une course énorme et à pied à ces
pauvres gens malheureux et déjà épuisés de
fatigue, pour les renvoyer à Kars, de leur
permettre d'y retourner en chemin de fer
à leurs propres frais. Cette proposition fut
refusée également. On les envoya par
étapes. Environ
900
personnes qui étaient
restées à Passen partirent cinq jours après
le départ du premier groupe.
A Gaghtchouan, alors qu'ils se remet–
taient en route, les émigrés furent environ–
nés par les cosaques et amenés à Kars. Leur
rentrée à Kars offrait un spectacle écœurant,
Fonds A.R.A.M