fuir, dont cinq ont été assassinés et leurs cada–
        
        
          vres trouvés sur la frontière russe ; les cinq
        
        
          autres ont passé la frontière ont été arrêtés
        
        
          et se trouvent aujourd'hui dans les prisons
        
        
          turques. En outre, i l y en a eu deux qui suc–
        
        
          c omb è r e n t par suite de maladie, et un autre
        
        
          est mort en tombant de fourgon ; le nombre
        
        
          d'enfants en bas âge morts, monte à 10 ou 15.
        
        
          A i n s i donc, non seulement le retour des
        
        
          émi g r é s ne provoqua pas une intervention
        
        
          favorable, mais en outre, i l causa un préju–
        
        
          dice é n o r me , soit moral, soit matériel, aux
        
        
          émigrés eux-mêmes, aux paysans des alen–
        
        
          tours et à la c ommu n a u t é .
        
        
          
            Tiflis,
          
        
        
          
            le
          
        
        
          
            12/25
          
        
        
          
            octobre.
          
        
        
          Huit cents personnes parmi les émi g r é s
        
        
          affamés et sans refuge qui sont réunis sur les
        
        
          frontières russo-turques pour rentrer dans
        
        
          leurs foyers on Arménie, se sont, adressées à
        
        
          Etchmiadsin, comme dernier refuge. Le
        
        
          catholicos Kh h i m i a n fît fermer les portes de
        
        
          l'église « Loussavoritch », et refusa de rece–
        
        
          voir les r e p r é s e n t a n t s vivants et misérables
        
        
          de la souffrance a rmé n i e n n e . Les émigrés
        
        
          qui espéraient pouvoir y respirer au moins
        
        
          un moment, furent chassés. L a police russe,
        
        
          la plus lâche et la plus vile de toutes, arrêta
        
        
          plusieurs de ces malheureux et les empri–
        
        
          sonna pour les punir de leur audace impar–
        
        
          donnable de vouloir entrer à Etchmiadsin.
        
        
          Le gouvernement, dun e part, le clergé
        
        
          a rmé n i e n d'autre part, s'efforcent de per–
        
        
          suader aux émi g r é s de s'inscrire comme
        
        
          sujets russes. Mais ceux-ci ne veulent pas se
        
        
          laisser prendre dans un piège qui est tendu
        
        
          contre leur existence.
        
        
          La nouvelle de l'accueil inattendu et sau–
        
        
          vage fait à Etchmiadsin aux émi g r é s a rmé –
        
        
          niens lit, i c i une très mauvaise impression.
        
        
          Par e o n s é q u e n t e e s malheureux a r mé n i e n s
        
        
          sont privés de secours non seulement de la
        
        
          part des é t r a n g e r s , mais même de la part de
        
        
          leurs compatriotes. Le gouvernement turc a
        
        
          refusé absolument de les recevoir.
        
        
          L'hiver s'approche rigoureux et mortel ; la
        
        
          neige tombe c o n t i n ûme n t , des groupes d'émi–
        
        
          grés, pieds nus et en haillons, errent d é s e s –
        
        
          pérés dans les champs et sur les montagnes,
        
        
          n'ayant personne dans le monde qui veuille
        
        
          bien les recevoir et qui ait pitié de leur situa–
        
        
          tion misérable. L e b i e n - a i mé Père des Armé–
        
        
          niens, celui qui était la consolation de l'indi–
        
        
          gent, le refuge des a b a n d o n n é s , lui aussi, en
        
        
          raison des circonstances, est obligé de fermer
        
        
          à jamais les portes de Loussavoritch, la
        
        
          maison de Dieu, à ses bien-aimés fils de l'Ar–
        
        
          ménie. L'histoire inscrira ce fait inouï.
        
        
          U N ÉM I GR É .
        
        
          
            Lettre de Kharpout
          
        
        
          
            3
          
        
        
          
            1
          
        
        
          
            1
          
        
        
          
            1
          
        
        
          
            3
          
        
        
          
            août
          
        
        
          
            igo
          
        
        
          
            2.
          
        
        
          Les sévérités au sujet de la circulation con–
        
        
          tinuent toujours; comme nous vous avons
        
        
          déjà écrit p r é c é d emme n t , on soulève des dif–
        
        
          ficultés inouïes pour passer d'une province à
        
        
          une autre. Mais le peuple ne peut pas vivre
        
        
          sur son sol, où non seulement i l n'y a aucune
        
        
          sécurité de vie, d'honneur et de biens, mais
        
        
          même le pain sec lui manque. Pour vous
        
        
          donner une idée sur la situation infernale
        
        
          qui est faite à l'Arménien je me contenterai
        
        
          de soumettre à votre considération les faits
        
        
          suivants :
        
        
          Toutes les semaines, des groupes de vingt,
        
        
          cinquante personnes tombent d'ici en route
        
        
          pour aller, par des chemins secrets, à l'étran–
        
        
          ger; tous veulent aller en Amé r i q u e ; parmi
        
        
          ces groupes, i l est. vrai qu'il y a beaucoup de
        
        
          villageois, mais la plus grande partie sont
        
        
          des paysans; quand vous aurez vu la plaine
        
        
          de Kharperte où i l n'y a aucun coin de terre
        
        
          qui soit inculte, quand vous aurez appris que
        
        
          la fertilité de la plaine de Kharperte est
        
        
          devenue proverbiale en Arménie : « Karpout
        
        
          ovassi, alsoun iouvassi, » c'est-à-dire «plaine
        
        
          de Kharperte, nid d'or » ; quand vous aurez
        
        
          suivi de près l'habileté et le travail infatiga–
        
        
          ble du laboureur a rmé n i e n , c'est alors seu–
        
        
          lement que vous pourrez vous faire une large
        
        
          idée sur la misère qui nous assiège. Or, ni
        
        
          ce travail surhumain, ni cette fertilité abon–
        
        
          dante de la nature peuvent assurer une nour–
        
        
          riture é l éme n t a i r e ; et comme les ponts sont
        
        
          fermés par des remparts de fer, le peuple
        
        
          a rmé n i e n a recours à des sacrifices et à des
        
        
          moyens inimaginables. Il y a des muletiers
        
        
          turcs spéciaux qui s'en vont à Erzeroum ou à
        
        
          Halep ; ces muletiers, outre les chemins ordi–
        
        
          naires, connaissent des routes secrètes que
        
        
          la police ne sait pas, où ils se mettent d'ac–
        
        
          cord s e c r è t eme n t avec la police, pour leur
        
        
          permettre de faire faire le voyage sans passe–
        
        
          port. Ici le ma r c h é est conclu pour 10 livres
        
        
          par tête, à condition de passer j u s q u ' à
        
        
          l ' é t r a n g e r ; i l est facile de conclure qu'un
        
        
          muletier par un seul voyage peut gagner
        
        
          ainsi des centaines de livres. Mais i l s'agit de
        
        
          savoir comment celui qui est obligé de s'en–
        
        
          fuir se procure l'argent nécessaire pour par–
        
        
          tir; i l est assujetti à toutes les souffrances, et
        
        
          obligé d'emprunter à d.es taux inouïs, et
        
        
          maintenant suivons-le par l'esprit dans son
        
        
          voyage de fugitif; i l faut faire un voyage de
        
        
          10, 15, 20
        
        
          j o u r n é e s , passer la nuit à la belle
        
        
          étoile, sans ressources, sur une pierre, sur
        
        
          une montagne, dans une vallée, souvent
        
        
          rester sans manger des jours entiers, la
        
        
          plupart, pour é c h a p p e r à la policé, sont obli–
        
        
          gés de manger des herbages; i l faut avoir
        
        
          devant les yeux les montagnes et hauteurs
        
        
          d'Arménie, où, en été, même dans ce mois-ci,
        
        
          la neige ne manque pas et on est obligé de
        
        
          faire du feu pour se chauffer; c'est dans ces
        
        
          endroits que les malheureux fugitifs restent
        
        
          des semaines entières, sans
        
        
          1
        
        
          abri, nus et affa–
        
        
          més. Mais souvent, et ce qui est le plus
        
        
          affreux, près de la frontière, après avoir
        
        
          passé ces milliers de souffrances, soudain, ils
        
        
          sont arrêtés, et presque toujours i l en est
        
        
          ainsi ; si cinquante sur cent arrivent à s'é–
        
        
          chapper, l'autre moitié est arrêtée et o b l i –
        
        
          gée de rebrousser chemin. Suivons-le main–
        
        
          tenant dans son retour; le pauvre malheu–
        
        
          reux est jeté de prison en prison, les mains
        
        
          e n c h a î n é e s , affamé, déguenillé, nu et ensan–
        
        
          glanté, dépouillé par les Circassiens, les
        
        
          Kurdes ou bien par les fonctionnaires du
        
        
          gouvernement. La misère devient cinq fois
        
        
          plus infernale après ce retour; les dettes
        
        
          accompagnent la misère, et si le pauvre
        
        
          paysan possède un petit terrain ou un jardin
        
        
          —
        
        
          qu'il avait h y p o t h é q u é pour se procurer
        
        
          l'argent nécessaire pour les frais de son
        
        
          voyage — i l est obligé de le vendre et désor–
        
        
          mais à la grâce du bon Dieu....
        
        
          La semaine passée, la police ayant appris
        
        
          qu'un muletier turc bien connu fait voyager
        
        
          des fugitifs, envoya aussitôt des cavaliers et
        
        
          un commissaire au-delà de Malatia, où l'on
        
        
          arrêta quarante paysans à qui l'on fît rebrous–
        
        
          ser chemin. Il fallait voir cette misère lamen–
        
        
          table et affreuse dans laquelle ils se trouvaient,
        
        
          ce désespoir qu'on voyait sur leur figure. Le
        
        
          groupe s'arrêta devant le palais du gouver–
        
        
          nement et ces misérables c omme n c è r e n t à
        
        
          crier : « Du pain, du pain, pour nos enfants ! »
        
        
          Aujourd'hui, nous avons en Amé r i q u e
        
        
          15,000
        
        
          A rmé n i e n s qui ont émi g r é de la plaine
        
        
          et de la ville de Kharperte ; leurs familles
        
        
          restent ici ; les émi g r é s ne peuvent pas ren–
        
        
          trer dans leur patrie, ni ceux qui sont ici ne
        
        
          peuvent aller rejoindre leurs bien-aimés ; le
        
        
          commerce est dans son agonie ; la plupart
        
        
          des c omme r ç a n t s , qui sont de petits capita–
        
        
          listes et des boutiquiers, sont de plus en
        
        
          plus ruinés. Les Turcs après avoir mar–
        
        
          c h a n d é par force, ne veulent pas payer leurs
        
        
          dettes, car ils attendent un autre massacre
        
        
          général ; le tribunal est ouvert, i l est vrai,
        
        
          mais qui voudrait s'y adresser, puisque le
        
        
          plus petit procès dure des a n n é e s et encore
        
        
          l'Arménien n'a aucune chance d'avoir gain
        
        
          de cause.
        
        
          Nous avons un village n ommé Tahem, qui
        
        
          se trouve à une distance de deux heures du
        
        
          chef-lieu du vilayet ; c'est un village où i l y
        
        
          a une population turque et a r m é n i e n n e ;
        
        
          les A r mé n i e n s sont des agriculteurs, Hadji
        
        
          Bé g h o , le fameux brigand, est le principal
        
        
          p r o p r i é t a i r e d'immeuble de ce village ; depuis
        
        
          vingt à trente ans, i l s'est livré à toute espèce
        
        
          de crimes, des viols, des brigandages, des
        
        
          insultes; m ê m e les Turcs l'ont s u r n omm é
        
        
          «
        
        
          Zalim » (fléau). L'autre jour, les paysans
        
        
          a r mé n i e n s du village de Tahem, ne pouvant
        
        
          plus résister aux atrocités commises, enfants,
        
        
          vieillards, femmes et jeunes, tous ont trans–
        
        
          p o r t é leurs chariots et leurs instruments
        
        
          aratoires devant le palais du gouvernement,
        
        
          et déclarèrent à haute voix qu'ils ne peuvent
        
        
          plus tolérer les crimes de Hadji Bé g h o , et
        
        
          qu'ils d é s i r e n t trouver un autre endroit pour
        
        
          s'y établir. La foule entourait ces pauvres
        
        
          paysans naïfs... Le gouvernement daigna à
        
        
          peine appeler « l'aralchnorte » a r mé n i e n et
        
        
          délibérer avec l u i . L'aratchnorte é n umé r a
        
        
          franchement tous les crimes et tes vexations
        
        
          de Hadji Bé g h o ; i l raconta comment celui-
        
        
          ci avait brûlé les aires, avait volé le blé et
        
        
          l'orge, violé les jeunes mariées, prouvant en
        
        
          même temps au vali qu'il y a des person–
        
        
          nages importants et des beys turcs qui con–
        
        
          firmeraient ses dires. Le vali ordonna aux
        
        
          paysans de s'adresser au tribunal pour
        
        
          donner à l'affaire une couleur officielle. Les
        
        
          paysans s'adressèrent au tribunal et le procès
        
        
          continue; mais Hadji Bé g h o , pour faire
        
        
          é c h a p p e r à l'autorité civile, ses fils farouches
        
        
          qui sont ses complices, leur- fit prendre
        
        
          l'uniforme militaire et les fît inscrire comme
        
        
          Fonds A.R.A.M