Deux Articles du " Figaro
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est difficile aux lecteurs non avertis de s'y r e c onn a î t r e dans les nouvelles
et opinions contradictoires de certains journaux, quand i l s'agit des affaires
turques.
C
'
est ainsi qu'au moment de Mitylène, le
Figaro
publia deux portraits
de Munir-bey, où ce personnage était alternativement traité de pas grand
chose
et de fort h o n n ê t e homme. L a pub l i c i t é a de ces exigences. 11 faut savoir
distinguer entre la r é c l ame hamidienne et le vrai sentiment du j ou r na l . On en
jugera par les deux coupures ci-dessous du même
Figaro,
sur les affaires de
Ma c é d o i n e . L'article du
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novembre, p r é c é d é d'un
V I E N T
D È P A R A I T R E
signifi–
catif est emp r u n t é
à
la collection des c ommu n i q u é s hamidiens ; l'article du
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novembre au contraire, correspond au sentiment réel de l'écrivain qui l'a
s i gn é et sans doute aussi au sentiment réel de la r é d a c t i on . L e tout est de
savoir distinguer.
VIENT DE PARAITRE
Dans la collection des « Grands écrivains français »,
vient de paraître
VAndré
Chénier,
de M . Emile Faguet.
Chez les Ilotes,
roman de Jules Hoche, est la très
curieuse et poignante histoire, se déroulant dans un
cadre nouveau, des amours extrasociales d'un « jeune
bourgeois » et de l'ouvrière pauvre qui lutte contre la
misère et la faim.
EN MACÉDOINE
On a tenté, ces derniers temps, de donner à l'insur–
rection macédonienne une portée et une signification
qui ne sont pas d'accord avec la réalité des faits. Il est
impossible, pour tout esprit impartial, de voir dans
ces équip'es un mouvement nationaliste ou une mani–
festation de mécontentement contre l'administration
Ottomane. L a question est tout autre : i l s'agissait, en
effet, de l'invasion intermittente de bandes organisées
et tquip'es en Bulgarie dans le but de provoquer des
soulèvements parmi la population des provinces
turques.
Le programme des agitateurs était de commettre
toute sorte d'actes de brigandage afin de troubler
Tordre et la vie normale dans ces régions et d'y créer
une situation insurrectionnelle qui serait ensuite pré–
sentée à l'Europe comme le résultat du m 'contentement
local. Quant au remède préconisé pour apaiser l a r é –
bellion, i l aurait consisté en une série de mesures
aboutissant à une annexion immédiate ou prochaine de
la Macédoine à la Bulgarie.
Malheureusement les auteurs de cette combinaison
ne tenaient aucun compte, ni des droits, n i des aspi–
rations des habitants non bulgares, tels que les M u –
sulmans, les Grecs, les Valaques, les Albanais, les
Serbes, qui tous sont fort peu dispos's à subir la
prépondérance de l'élément bulgare. Il est à noter que
les Bulgares e u x - m ê m e s fixés dans ces provinces n'ont
pas suivi l'impulsion des agitateurs : ces populations
préfèrent leur situation actuelle à foutes les promesses
aléatoires ou fallacieuses des Comités de Sofia. Ils
savent qu'au point de vue fiscal, ils supportent main–
tenant moins d'impôts que les habitants de l a princi–
pauté. E n outre, ils sont dispens's du service militaire,
tandis qu'ils seraient forcés d'entrer dans l'armée, d u
jour o ù ils seraient passas sous le régime bulgare.
Ces raisons expliquent suffisamment pourquoi les
C o m i t ' s de Sofia ont été si peu écoutés par les popu–
lations locales. Dans beaucoup d'endroits, des Bul–
gares, aucquels d é s a r m e s avaient et - distribuées en
secret, ont refus '• de marcher avec les perturbateurs et
ont remise leurs fusils aux autorit's ottomanes.
D'ailleurs, m ê m e dans l'hypothèse o ù la prépondé–
rance bulgare serait admise dans le pays, i l est certain
que les troupes de la principaut', réunies à celles de
ces nouvelles provinces, seraient insuffisantes pour
imposer l'hégémonie bulgare aux autres éléments de la
population : Musulmans, Grecs, Valaques, Serbes, etc.
Quant aux atrocités et aux massacres invoqués par
les Comités de Sofia, ce sont, d'après les témoignages
des journaux anglais, fort peu suspects de partialité
pour la Turquie, des actes de brigandage commis par
les perturbateurs eux-mêmes.
Les témoignages des consuls et des correspondants
de diverses nationalités sont, au contraire, unanimes à
reconnaître que les troupes ottomanes - ont a g i avec
beaucoup de calme et de modération : souvent m ê m e
elles ont empêché les familles musulmanes de se venger
sur les brigands des meurtres ou des actes de brigan–
dage dont elles avaient eu à se plaindre.
Z.
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novembre.
Un discours de M . Danef
Le Télégraphe nous apporte le résumé d'un discours
que M . Danef a prononce au Sobranié sur la question
macédonienne. On conçoit que le président du Conseil
ait éprouvé le besoin de s'expliquer à ce sujet, car les
nouvelles de Macédoine sont mauvaises depuis quelque
temps, et rarement, au début de l'hiver, les désordres
ont été aussi continus et aussi graves que cette a n n é e .
M . Danef a déclaré que ce qui émeut surtout la Bul–
garie, c'est le trouble politique et économique, que
déterminent, en se réfugiant sur son sol, les émigrés
macédoniens. « Aussi longtemps, a-t-il dit, que les causes
de l'émigration subsisteront en Macédoine, nous ne
connaîtrons pas de repos. Nous ne songeons pas à
annexer ni à partager une province turque. Mais, pour
que cette province cesse d'être pour nous une source
d'agitation et de gêne, i l faut qu'elle devienne habitable
à ses habitants et que l'Europe oblige la Turquie à y
appliquer les réformes promises par le traité de Berlin.
Sans quoi nous ne répondons de rien. »
L a thèse que M . Danef a soutenue est celle qu'ici
m ê m e nous avons toujours défendue. Certes l'insécurité
est grande en Macédoine. E t i l est incontestable que des
bandes de brigands, dont beaucoup sont d'origine bul–
gare, sillonnent le pays en tous sens. Mais d'une part
ces brigands ne sont pas tous des Bulgares, et d'autre
part s'ils se recrutent avec une regrettable facilité, c'est
que les aulorités turques, par leurs exactions, réduisent
la population aux extrémités. Il y a des Bulgares q u i
pillent et qui tuent : c'est entendu. Mais i l y a aussi des
Albanais, — comme en A r m é n i e i l y a des Kurdes. Il
se produit contre les paysans de déplorables violences.
Mais le principe de ces violences est dans l'iniquité
oppressive des méthodes administratives. L e Bulgare de
Macédoine prend le fusil et court les grands chemins.
Mais, ne l'oublions pas, ce-sont les fonctionnaires otto–
mans qui d'abord l'ont mis hors la loi. Et, après avoir
connu les charges de cette condition il est assez naturel
qu'il en veuille connaître aussi les bénéfices. Réfugiés
ou brigands, on a fait d'eux ce qu'ils sont. E t leurs
excès sont la revanche de leur servitude.
Il serait aussi absurde d'exiger que la Bulgarie se
d'«intéresse de leur sort qu'il est injuste de prétendre
que le gouvernement princier provoque ou favorise
leurs menées. Le temps n'est plus o ù Stamboulof était
à la tête de l'agitation. L e prince Ferdinand et son pre–
mier ministre font ce qui dépend d'eux pour surveiller
leurs frontières. Mais, alors que les troupes turques ne
parviennent pas à fermer toutes les issues, pourquoi
veut-on que les troupes bulgares soient plus infaillibles
ou plus heureuses? L'anarchie macédonienne, qui chasse
de mois en mois vers la principauté de nouveaux con–
tingents d'émigrés, ne facilite pas la tâche du gouver–
nement bulgare. Cet élément agité et souvent inassimi–
lable, qui p ' n è t r e sur son territoire, l'inquiète et le
paralyse. Et, dans la conviction o ù il est que ni la
Russie ni l'Autriche n'aulori seraient en Macédoine des
modifications territoriales auxquelles d'ailleurs ne se
prêteraient ni les Serbes ni les Grecs, i l préférerait à
coup sur à la situation violente, qu'il subit plus qu'il ne
l'exploite, un état de choses régulier et un voisinage
paisible.
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est donc inexact et illogique de faire retomber sur
la Bulgarie la responsabilité des conflits, dont la rumeur
monotone nous arrive quotidiennement. Quand on a
prouvé qu'il y a en Macédoine des bandits, et que,
parmi ces bandits i l y a des Bulgares, on n'a rien
prouvé du tout. Ca r c'est l'oppression qui a créé le
banditisme, et, seules, des réformes sincères en extir–
peraient l a racine. Il faut respecter les gouvernements
établis, c'est entendu; mais i l faut aussi que les gouver–
nements respectent leurs engagements. Or, l'article 23
du trait" de Berlin est resté toujours et reste aujourd'hui
lettre morte. Quand on en aura tenté une application
loyale, alors — mais alors seulement — on aura le
droit de reprocher aux populations chr-tiennes des
révoltes et des violences qui sont le fruit naturel de
leur misère et de leur écrasemenl.
Georges V I L L I E K S .
22
novembre.
Les Émigrés du Caucase
L a d é t r e s s e ' d e s é m i g r é s au Caucase est
de j o u r en j o u r plus grande : i l semble
q u ' i l y ait eu de l a part des a u t o r i t é s russes
une sorte de malveillance sournoise e l que
des ordres contradictoires aient été d o n n é s .
No u s recevons de Ka r s une p r e m i è r e cor–
respondance et nous empruntons au
Char-
joum
une lettre de Tiflis q u i montrent à
quel d e g r é de m i s è r e et parfois de l é g i t i me
e x a s p é r a t i o n sont a r r i v é s les malheureux
r é f u g i é s au cours de leur tentative d'exode.
R i e n n'est plus tragique que l'impuissance
du calholicos d ' E t c hmi a d s i n , à leur venir
en aide.
Kars,
26
octobre
igoi.
Le gouverneur de la province a d o n n é au
sujet des émi g r é s des ordres inhumains et
contradictoires.
Comme vous le savez, ordre a é t é d o n n é à
ceux des émi g r é s qui ne voulaient pas s'ins–
crire comme sujets, de retourner dans leur
pays; aussi, bon nombre d ' émi g r é s se d i r i –
g è r e n t vers nous ; le chiffre de ces émi g r é s
augmente de jour en jour, chose à laquelle
ne s'attendait pas le gouvernement; la p l u –
part d'entre eux sont des nécessiteux; les
secours d'argent furent r ama s s é s pour eux.
Les groupes d ' émi g r é s qu i circulaient dans
la ville éveillaient en nous les tristes souve–
nirs du passé et nous causaient un grand
chagrin. Une Commission c omp o s é e de trois
personnes fut organisée pour laire les d é –
penses; des fourgons lurent loués et les
émi g r é s furent dirigés vers la frontière. Les
émi g r é s furent d i s t r i b u é s dans les villages
de Passen, dans toutes les maisons, pour
faire des é c o n omi e s de d é p e n s e s ; la popula–
tion a rmé n i e n n e de Passen, pendant un mois
et demi, en toute patience, et en subissant
mille et mille privations supporta ce fardeau,
dans l'espoir que ces malheureux émi g r é s
pourtaient enfin aller se reposer dans leurs
foyers, dans la patrie ; mais hélas !... De
même que le gouvernement, turc, le gouver–
nement russe de son côté leur défendit
officiellement, sur la frontière, de marcher
plus avant, et leur montra le chemin qu i
conduit en Perse; le couru ni des ém i g r é s se
dirige vers la province d'Ara rat, pour passer
de là en Perse. Mais à peine les malheureux
étaient-ils arrivés aux environs de Goghzouan
que les soldats russes les e n v i r o n n è r e n t et
leur firent rebrousser chemin vers Kars.
A i n s i après avoir, pondant deux mois entiers,
envoyé les émi g r é s d'un endroit à un autre,
le gouvernement russe les a tous réunis au–
jourd'hui en ville et les oblige tous à s'ins–
crire comme sujets. Les ém i g r é s ont de nou–
veau refusé de s'inscrire et maintenant la
plupart s'en vont dans les villages de Chirak
ët sont à la charge des paysans; la minorité
est r e t o u r n é e au lieu d'où elle est partie et
un assez grand nombre attendent encore en
ville, on ne sait trop pourquoi.
Sur la frontière, pariai les émi g r é s i l y a
eu dix victimes; dix autres ont tenté de s'en-
Fonds A.R.A.M