Dans les pays les plus d é f a vo r a b l eme n t
d i s p o s é s , comme l'Allemagne, l ' op i –
nion a été modifiée ; le ton des journaux
même officieux n'a pas été le même ,
avant et a p r è s le Co n g r è s , et i l semble
qu'on ait compris que pour c onqu é r i r
é c o n om i q u eme n t un pays i l fallait que
ce pays fut p e u p l é et riche, et que les
r êve s de colonisation allemande en
Asie-Mineure seraient fort compromis
par la destruction totale du peuple le
plus apte à recevoir la culture et les
mœ u r s e u r o p é e n n e s .
Ai l l eu r s l'action de l'opinion sur la
conduite des gouvernements a été plus
efficace; l'envoi par le gouvernement
français d'un agent consulaire à Mou s h ,
l'été dernier, a eu certainement la plus
heureuse influence sur les é v é n eme n t s
du Sassoun : le massacre p r é p a r é et
imminent n'a pas eu lieu, parce que
nous en avons été p r é v e n u s à temps et
parce que les d éma r c h e s des d é p u t é s
français de tous les partis a u p r è s du
Ministre ont décidé celui-ci à prendre
les mesures n é c e s s a i r e s . A i n s i que le
demandait le Co n g r è s de Bruxelles, les
nouveaux postes consulaires seront
c r é é s dans les r é g i o n s les plus mena–
cées : pa rmi les c r éd i t s nouveaux de–
ma n d é s dans le projet de budget sou–
mis en ce moment au Parlement figure
-
l'a somme afférente au traitement d'un
vice-consul à Va n et le vice-consulat
de Bagdad est é r i g é en consulat ; au
lieu d'un t émo i n de passage, comme
l'agent e nvoy é à Mou s h , i l y aura d é –
sormais un t émo i n permanent des v i o –
lences et des crimes commis ou mé d i t é s .
Ma i s ainsi que l'observe Fr anc i s de
P r e s s e n s é dans l'article que nous repro–
duisons plus bas, ce ne sont là que des
palliatifs et des r emè d e s disproportion–
n é s à l ' é t e ndu e et à la g r a v i t é du ma l .
Sans doute ainsi des vies humaines
sont p r é s e r v é e s et certaines souffrances
adoucies : mais l'état « normal » des
provinces a rmé n i e n n e s demeure effroya–
ble et aucun peuple au monde ne pour–
rait, sans d i s p a r a î t r e , ê t r e soumis plus
longtemps à un tel r é g ime .
Au s s i ne cesserons-nous de deman–
der, comme nous le faisions dans le
premier n umé r o , l'application de l'ar–
ticle 61 du t r a i t é de Be r l i n . E n r é c l a –
mant non les p r i v i l ège s , mais les droits
qui leur sont a t t r i bu é s par ce titre
j u r i d i que , les A rmé n i e n s ne formulent
aucune exigence e x a g é r é e ou i r r é a l i s a –
ble : et i l n'y a rien là qui puisse
éveiller la suspicion de l'une quelcon–
que des autres races de l ' Emp i r e , ni
justifier la criminelle inertie des puis–
sances signataires qui refusent d'as–
treindre le Sultan, par les moyens qui
conviennent, au respect des engage–
ments pris.
Faire c o n n a î t r e les faits, montrer
que les mesures de simple philanthro–
pie sont insuffisantes et que dons l ' i n –
térêt même de la paix que l'on p r é t e nd
ne pas vouloir compromettre, i l faut
e x é c u t e r le traité de Be r l i n , tel est notre
rôle, à nous E u r o p é e n s .
Mais, c'est surtout par e u x -même s
que les A rmé n i e n s conquerront, dans
le sang et dans la lutte, leur propre
salut. Le s quelques h é r o s , chefs de
bande, i n s u r g é s obscurs qui font face
aux é g o r g e u r s hamidiens au Sassoun
et ailleurs ne doivent pas ê t r e aban–
d o n n é s par leurs compatriotes.
Il ne faut pas que la
diaspora
a rmé –
nienne en Europe et en Amé r i q u e
paraisse se d é s i n t é r e s s e r du sort de
ceux qui n'ont pas qu i t t é la terre
natale et qui la veulent conserver à
leurs fils.
Ma i s i l est n é c e s s a i r e aussi qu'au–
cune éne r g i e de p e n s é e et d'action ne
soit inutilement ga s p i l l é e : nos amis
a rmé n i e n s n'ont p e u t - ê t r e pas toujours
suffisamment c o o r d o n n é leurs efforts ;
ils les ont quelquefois d é p e n s é s en
vain, et ce nous serait une grande joie
de p r évo i r qu ' à l'avenir i l n'en sera
jamais plus ainsi : qu'ils nous permet–
tent de faire ce souhait avant de repren–
dre notre besogne, selon les principes
que nous nous sommes i mp o s é s d ' é c a r –
ter d'ici toute p o l ém i q u e stérile et
dangereuse.
A u prochain anniversaire, Ab d - u l -
Hami d tremblerait davantage d e r r i è r e
la triple enceinte d ' Y l d i z , s'il savait
que ses victimes ne sont pas unies seu–
lement par une haine commune envers
l u i , mais qu'elles se sont entendues
aussi sur les moyens de c h â t i e r leur
bourreau et de le mettre hors d ' é t a t de
nuire.
P I E R R E
Q U I L L A R D .
Coupures de j ournaux
Agence OBSERVER
Wien I, 1. Turkenstrasse,
17
SUCCURSALES A
Budapest, Genève, Londres,
New-York,
Paris. Rome,
Stockholm.
P R O
A R M E N I A
Nous sommes heureux de reproduire l'éloquenl a r –
ticle de Francis de Pressensé, paru dans
l'Aurore
du
21
Novembre; il faut espérer que M . Delcassé s'empres–
sera, en effet, de « payer aux A r m é n i e n s un léger acompte
sur la dette que la diplomatie a contractée envers eux ».
M . F r a n ç o i s Deloncle, député, s'est associé, par une
lettre publique, à M . Francis de Pressensé.
Un g é n é r e u x ami de l ' Armén i e , qui
tient à rester anonyme, vient de m'ex-
péd i e r la somme de cinq mille francs,
qu'il destine à l'assistance d'une partie
de ses infortunés compatriotes. Ceux
qui suivent les affaires de ce malheu–
reux pays a b a n d o n n é par la diplomatie
e u r o p é e n n e à la merci d ' Abdu l -Hami d ,
savent que la population de tout un dis–
trict, à bout de patience, sous les pro–
vocations et les attentats de tout genre
des Kurdes, des Ham i d i é s et des r é gu –
liers Tur cs e u x - même s , et sous la per–
s é c u t i on hypocrite d'un bourreau qui
ne pardonne pas à ses victimes le ma l
qu'il leur a fait, a résolu de quitter la
terre natale et d'aller demander un
asile à un pays plus hospitalier.
Ce n'est pas de g a î t é de cœu r que
des paysans a t t a c h é s par toutes les
fibres de leur âme à ce sol où ils sont
n é s , où ils ont connu et g o û t é les joies
et les souffrances de la vie humaine,
où ils ont mis le berceau de leurs en–
fants à côté de la tombe de leurs p è r e s ,
se d é c i d e n t à renverser leur foyer et à
aller faire au dehors l ' expé r i enc e tou–
jours incertaine et parfois cruelle de
l'exil. 11 a fallu que, dans ce grand
silence de la conscience occidentale,
qui s'est fait depuis l'avortement mi s é –
rable du concert des puissances, la
lente et impitoyable action d'une tyran–
nie toujours aux aguets r édu i s i t ces
villageois au d é s e s p o i r .
Le s braves gens qui avaient senti
quelque émo t i o n et quelque pitié en
p r é s e n c e des Vê p r e s a rmé n i e n n e s et
qui s'imaginaient, parce que le sang ne
coule plus à flot, parce que les massa–
cres ne se font plus sur une grande
échelle et que l'écho des g ém i s s eme n t s
de toute une nation ne leur arrive plus
c e n t u p l é par les organes de la presse,
que tout allait pour le mieux dans la
meilleure des Turquies, feraient bien
de p r ê t e r quelque attention à cet exode
d'un peuple. Quand on é c r i r a l'histoire
de la diplomatie contemporaine, ce ne
sera pas le plus glorieux de ses chap i -
Fonds A.R.A.M