DE LA NÉCESSITÉ
          
        
        
          D ' U N E
        
        
          CONFÉRENCE EUROP É ENNE
        
        
          P OU R
        
        
          Les Affaires «l'Orient
        
        
          V p i c i l'article de M . Ana t o l e L e r o y -
        
        
          Beaulieu auquel nous taisons allusion plus
        
        
          haut.
        
        
          Pou r qui a le courage de c o n s i d é r e r
        
        
          sans parti pris l'agitation des Pays du
        
        
          Ralkan et les d é s o r d r e s i n t é r i e u r s de
        
        
          l'empire turc, la situation de l'Orient
        
        
          est s i n g u l i è r eme n t i n q u i é t a n t e . E l l e ne
        
        
          saurait longtemps se prolonger sans
        
        
          exposer la Turquie et par suite l ' E u –
        
        
          rope aux périls de conflits a r mé s dont
        
        
          personne ne saurait p r é vo i r ni les d i –
        
        
          mensions n i l'issue.
        
        
          S i les souffrances des peuples de
        
        
          l'Orient, si les humiliations et les tor–
        
        
          tures infligées aux c h r é t i e n s de la M a –
        
        
          c é do i n e , si l'entreprise d'extermination
        
        
          de tout un peuple poursuivie o b s t i n é –
        
        
          ment sur les plateaux d ' Armé n i e ne
        
        
          peuvent émo u v o i r notre é g o ï sme , la
        
        
          prudence des hommes d'Etat et la v i g i –
        
        
          lance des politiques ne sauraient de–
        
        
          meurer indifférentes aux troubles crois–
        
        
          sants et aux rassemblements d'insur–
        
        
          g é s d e l à Ma c é d o i n e et de l ' Armé n i e .
        
        
          E n Europe comme en As i e , le Sultan
        
        
          s'efforce de r é t a b l i r l'ordre par la ter–
        
        
          reur. L e pillage, le v i o l , le massacre
        
        
          sont devenus ses instruments habituels
        
        
          de gouvernement, dans les vallées du
        
        
          Va r da r et de la Struma, aussi bien que
        
        
          sur les rives du lac de Va n ou sur les
        
        
          bords e s c a r p é s du haut Euphrate. Le s
        
        
          c h r é t i e n s de la Ma c é d o i n e , les Slaves
        
        
          surtout, se voient, à leur tour, mena–
        
        
          cés d ' a n é a n t i s s eme n t . Ma i s comme,
        
        
          dans les campagnes au moins, ils ont
        
        
          encore pour eux le nombre, comme ils
        
        
          peuvent s'appuyer sur leurs frères bu l –
        
        
          gares de la P r i n c i p a u t é , ils se lassent
        
        
          de tendre le cou aux é g o r g e u r s . L'élite
        
        
          de la jeunesse quitte les villes et les
        
        
          villages et s'en va grossir les bandes
        
        
          a r mé e s qui tiennent la montagne.
        
        
          N ' é t a i t l'approche de l ' h i ve r , on
        
        
          pourrait redouter un s o u l è v eme n t g é –
        
        
          n é r a l . L a situation de la Ma c é do i n e
        
        
          aujourd'hui est analogue à celle de la
        
        
          Bo s n i e -He r z é g o v i n e en 1876; ou mieux,
        
        
          elle est pire, car les troupes accumu–
        
        
          lées dans la province par le Sultan ne
        
        
          font que la violenter et la ruiner et
        
        
          q u ' e x a s p é r e r , par leur e x c è s , les ma l –
        
        
          heureuses populations c h r é t i e n n e s .
        
        
          S i la diplomatie e u r o p é e n n e ne sait
        
        
          p r é v e n i r le ma l , i l en adviendra de la
        
        
          Ma c é d o i n e comme n a g u è r e de la Bo s –
        
        
          nie. L ' i nsu r r ec t i on s'y é t end r a partout
        
        
          au printemps. L e gouvernement bu l –
        
        
          gare, comme autrefois la Serbie et le
        
        
          Mo n t é n é g r o pour fa Bosnie, sera en–
        
        
          t r a î n é , bon g r é mal g r é , à soutenir ou–
        
        
          vertement les c h r é t i e n s de Ma c é d o i n e .
        
        
          L a Serbie ne voudra pas rester en ar–
        
        
          r i è r e de la P r i n c i p a u t é . L a Russie, à
        
        
          son tour, en dép i t de son accord avec
        
        
          l 'Au t r i che -Hong r i e , et ma l g r é ses p r é o c –
        
        
          cupations d ' Ex t r ême -Or i e n t , ne pourra
        
        
          assister impassible aux luttes et encore
        
        
          moins à l ' é c r a s eme n t de ses frères or–
        
        
          thodoxes. E t ainsi, par l ' imp r é v o y a n c e
        
        
          de la diplomatie, ou mieux par l'indif–
        
        
          férence ou par la pu s i l l a n imi t é des
        
        
          gouvernements, l ' Eu r ope pourra ê t r e
        
        
          p r é c i p i t é e dans une nouvelle guerre
        
        
          d'Orient dont la situation du monde
        
        
          risquerait de faire une guerre mon–
        
        
          diale.
        
        
          Voilà certes de sombres perspec–
        
        
          tives ; elles ne sont pas noircies à des–
        
        
          sein pour qui suit les é v é n eme n t s , et
        
        
          pour qui se rappelle l'histoire. E n
        
        
          Turquie, le feu met longtemps à cou–
        
        
          ver ; puis l'incendie é c l a t e tout à coup,
        
        
          terrifiant et d é s o r i e n t a n t les politiques
        
        
          qui, la veille encore, refusaient d'y
        
        
          croire. Telle est aujourd'hui, la situa–
        
        
          tion de la Ma c é d o i n e , de la V i e i l l e -
        
        
          Serbie, de l ' Al ban i e . S i l ' Eu r ope ne
        
        
          veut pas que son repos soit t r oub l é par–
        
        
          le s o u l è v eme n t de ces provinces otto–
        
        
          manes, i l est temps que l ' Eu r ope p r ê t e
        
        
          l'oreille à leurs plaintes et à leurs g é –
        
        
          missements.
        
        
          E t comment peut se manifester l ' i n –
        
        
          t é r ê t de l ' Eu r ope pour ces malheu–
        
        
          reuses populations orientales, s i ce
        
        
          n'est par une intervention d i p l oma –
        
        
          tique? E t si l'on veut que cette inter–
        
        
          vention soit efficace, quel autre moyen
        
        
          employer" qu'une con f é r enc e , sinon un
        
        
          c o n g r è s ?
        
        
          Certes, les puissances peuvent faire
        
        
          des r e p r é s e n t a t i o n s à la Sub l ime Porte
        
        
          ou même à Y l d i z K i o s k . Ma i s l ' expé –
        
        
          rience a dû leur enseigner l'inanité de
        
        
          ces r e p r é s e n t a t i o n s amicales auxquelles
        
        
          la Porte ou le Sultan r é p o n d r o n t tou–
        
        
          jours par des formules éva s i ve s ou par
        
        
          des promesses illusoires. L ' E u r o p e le
        
        
          sait si bien que c'est là un des motifs de
        
        
          son silence et de son inaction, en face
        
        
          des barbaries qui d é s h o n o r e n t ce c om–
        
        
          mencement de siècle.
        
        
          Il n'est qu'un p r o c é d é efficace, i l
        
        
          n'en est qu'un de sérieux devant la
        
        
          mauvaise foi ou devant l'impuissance
        
        
          du gouvernement ottoman, c'est une
        
        
          entente entre les signatai
        
        
          t r a i t é
        
        
          de Be r l i n pour une action commune ;
        
        
          et cette entente, nous le r é p é t o n s , ne
        
        
          peut g u è r e prendre d'autre forme que
        
        
          celle d'une con f é r enc e e u r o p é e n n e .
        
        
          11
        
        
          y a, en Orient, en Turquie même ,
        
        
          bien des questions qui motiveraient la
        
        
          convocation d'une pareille con f é r enc e .
        
        
          Nomb r e des clauses essentielles du
        
        
          t r a i t é de Be r l i n sont d eme u r é e s lettre
        
        
          mo r t e ; une conl'érence
        
        
          e u r o p é e n n e
        
        
          peut seule veiller et p r é s i d e r à leur
        
        
          exé cu t i on , ainsi, du reste que cela est
        
        
          p r é v u par le t r a i t é m ê m e de Be r l i n .
        
        
          Une con f é r enc e avec un objet aussi
        
        
          p r é c i s ne saurait, i nqu i é t e r ni les
        
        
          gouvernements n i les amis de la paix.
        
        
          A u lieu d'ouvrir la porte à des conflits,
        
        
          elle aurait pour effet de les é c a r t e r . L a
        
        
          Turquie e l l e -même et tous les peuples
        
        
          soumis au Sultan, musulmans ou c h r é –
        
        
          tiens, n'auraient qu ' à s'en féliciter; car,
        
        
          à eux aussi, c'est le seul moyen d'as–
        
        
          surer la paix et la s é c u r i t é . E t si les
        
        
          i n t é r ê t s ma t é r i e l s ont aussi le droit de
        
        
          se faire entendre, nous en dirons au–
        
        
          tant du T r é s o r turc et de ses c r é a n –
        
        
          ciers e u r o p é e n s ; ils sont les premiers
        
        
          i n t é r e s s é s à la d u r é e de la paix et du
        
        
          r é t a b l i s s eme n t de l'ordre dans l ' E m –
        
        
          pire.
        
        
          L a t â c h e de la con f é r enc e serait de
        
        
          r é s o u d r e toutes les questions soule–
        
        
          v é e s par la non e x é c u t i o n du traité de
        
        
          Be r l i n , et pour les r é s o u d r e , elle n'au–
        
        
          rait le plus souvent qu ' à exiger l'exécu–
        
        
          tion du t r a i t é .
        
        
          A i n s i , notamment, de la question
        
        
          a rmé n i e n n e . Po u r sauver les restes en–
        
        
          s a n g l a n t é s de la plus e u r o p é e n n e des
        
        
          nations de l ' As i e , i l n'y a q u ' à rappe–
        
        
          ler la Porte au respect de l'article 61
        
        
          du t r a i t é ; et, comme ce t r a i t é y oblige
        
        
          le gouvernement turc, i l n'y a q u ' à
        
        
          contraindre le Su l t an à soumettre aux
        
        
          puissances les mesures prises par l u i
        
        
          pour assurer d é s o r ma i s la s é c u r i t é de
        
        
          ses sujets a rmé n i e n s .
        
        
          De même pour la Ma c é d o i n e et pour
        
        
          les provinces e u r o p é e n n e s r e p l a c é e s à
        
        
          Berlin sous l a domination directe du
        
        
          Sultan. L a con f é r enc e n'aurait qu ' à
        
        
          exiger la c r é a t i on et le fonctionnement
        
        
          Fonds A.R.A.M