sassihats, les fonctionnaires du Sultan pou–
vaient à peine en découvrir mille (1).
C'est ce que voit le gouvernement turc à
Constantinople, c'est au travers de cette
lunette qu'il regarde les massacres accom–
plis par ses soldats : ses yeux se ferment
quand i l s'agit de constater sa responsabi–
lité dans un crime; les oreilles du gouverne–
ment turc sont sourdes aux cris de désespoir
qui viennent de l'Arménie jusqu'au Bos–
phore.
Si les puissances n'ont pas obligé le Sul–
tan à tenir ses promesses de réformes, c'est
pour beaucoup de causes. Principalement,
elles n'ont pas é n e r g i q u eme n t d o n n é suite à
leurs remontrances, parce qu'elles avaient
des intérêts contradictoires en Orient qui les
neutralisaient r é c i p r o q u eme n t .
La Russie ne voyait pas à ce moment la
nécessité de prendre le Sultan au collet, con–
sidérant que les affaires allaient beaucoup
mieux si la situation de la Turquie restait en
l'état où elle se trouvait ; d'autre part, l ' A n –
gleterre, par ses difficultés dans l'Inde où elle
était en guerre avec les populations monta–
gnardes du nord-ouest. En 1895, en Angle–
terre, le gouvernement libéral qui avait eu
jusqu'alors le pouvoir fît place à un gouver–
nement conservateur. Le gouvernement
libéral avait été adversaire des d é s o r d r e s de
la Turquie et i l avait plusieurs fois menacé
de prendre une attitude plus ferme à l'égard
du Sultan. Le gouvernement conservateur
paraissait vouloir continuer sans restriction
cette politique, mais à ce moment des ré–
voltes éclatèrent dans des districts monta–
gneux de l'Inde, révoltes préehées par des
missionnaires ma h omé t a n s ; on pensa que le
Sultan était pour quelque chose dans ces
troubles, on pensa qu'en le serrant de trop
près on courait le risque de voir toutes les
populations ma h omé t a n e s de l'Inde se soli–
dariser avec l'héritier du P r o p h è t e . Pour cette
raison le zèle du gouvernement anglais
tomba.
La France et l'Allemagne marchaient avec
la Russie. Lè gouvernement du Sultan pen-
(1)
De quelle m a n i è r e les commissaires du Sultan ont
coutume d'établir la vérité, le l'ait suivant, rapporté par
Lepsius au commencement de son livre, nous le mon–
trera :
«
Quand le 26 janvier 1895, la Commission turque,
a s s e m b l é e à Moush pour examiner les massacres de
Sassoun (automne 1894) tint sa deuxième séance, les
délégués des consulats anglais, français et russes, qui
lui avaient été adjoints, iirent cette proposition con–
forme à la notion de l a justice européenne, que l'on
devait tout d'abord établir
le fait
du massacre qui,
avec la complicité des soldats turcs, avait coûté la vie
à des milliers de chrétiens et a c c o m p a g n é de la des–
truction de vingt-sept villages chrétiens, et qu'ensuite
seulement on devait passer à la question de culpabi–
lité. Ma i s l a Commission turque, qui niait à
priori
le
fait de massacre et avait, d'après un c o mm u n i q u é de la
Porte publié antérieurement, la mission « d'examiner
les actions criminelles des brigands a r m é n i e n s » re–
poussé totalement cette proposition. Elle se réunit à
Moush, du 24 janvier au 21 juillet, éloignée de cinq à
dix heures du théâtre du massacre, et se renferma
dans d'habiles restrictions, r é c u s a n t les témoins chré–
tiens p r é s e n t é s par les délégués; elle se borna* à en–
tendre, en 108 séances, des témoins turcs p r é p a r é s à
l'avance et parvint de cette manière à rejeter la res–
ponsabilité sur les « brigands a r m é n i e n s ». Les témoins
qui disaient quelque chose de contraire étaient immé-
diament pour cette imprudence j e t é s en prison. Les
délégués des consulats refusèrent d'assister plus long–
temps à cette farce, ils se rendirent à Sassoun et
constatèrent par eux-mêmes les horribles faits qui
sont assez connus et conclurent à 1 innocence du pai–
sible peuple arménien. (Lepsius A . A . O., pages 11-12.)
sait : nous ne serons pas trop inquiété. Il
laissa les protestations à l'état de, protesta–
tions et continua tranquillement à écraser
les Armé n i e n s . Dans les mois suivants on fit
o p é r e r des conversions enmasse au maho-
mé t i sme .
En août 1896,les révolutionnaires a rmé n i e n s
voulant montrer aux puissances d'n ne ma n i è r e
éclatante le désespoir du peuple, firent un
coup de main sur la banque ottomane à
Constantinople. Ils p é n é t r è r e n t dans l a
banque en renversant les actionnaires et
prirent possession du b â t i me n t dans l'espoir
d'arracher aux puissances des promesses
formelles.
Cet espoir fut déçu, le seul résultat de
cette d émo n s t r a t i o n fût de fournil
1
au gou–
vernement turc le prétexte d'un petit mas–
sacre à Constantinople comme épilogue aux
massacres d'Arménie, une tuerie en masse
qui coûta l a vie à 5 ou 6.000 A rmé n i e n s ,
pour le moins, sans compter ceux qui furent
j e t é s à l a mer. Toute l a populace de l a
capitale se rua sur les A r mé n i e n s de Constan–
tinople, excitée et soutenue par les officiers
de la garde du Sultan. C'est sous les-yeux
des ambassadeurs de' l'Europe que ces 5 à
6.000
personnes furent assassinées et l'on ne
fit rien pour l'expiation de ce crime.
De nouveau on rédigea une note, de nou–
veau on établit la responsabilité du Sultan,
mais on s'en est tenu là.
Comme i l est facile à comprendre, massa–
cres, pillages et incendies apportaient à leur
suite une grande famine. Sur plusieurs points
del'Europe des souscriptionsfurentouvertes,
mais les ressources recueillies n'ont pu suf–
fire à toutes les misères et nul ne sait com–
bien de personnes sont mortes de détresse
ou dans de misérables h ô p i t a u x . Des notes
furent échangées, mais i l n ' a p p a r a î t pas que
le gouvernement turc ait été contraint d'amé–
liorer la situation.
Le peuple a rmé n i e n ne peut rien par l u i -
même . Le secours dont-il a besoin doit l u i
venir de l'Europe, et, je le répète : par le
traité de Berlin de 1878, les puissances ont
pris l'engagement de p r o t é g e r le peuple ar–
ménien ; quand elles ne remplissent pas cette
obligation elles
violent le traité.
Et, puisque les gouvernements ne se sou–
cient pas de leurs devoirs, le peuple a r m é –
nien cherche maintenant des défenseurs
parmi les peuples, dans l'espoir qu'ils élève–
ront la voix et forceront leurs gouverne–
ments à intervenir et à faire preuve d'une
volonté é n e r g i q u e en face du sultan. Les
orientaux ne comprennent que les volontés
é n e r g i q u e s . Ils ont mille chemins de sortie
pour ajourner et promettre indéfiniment des
mesures qu'ils n'exécuteront jamais ; mais
ils c è d e n t en présence d;s attitudes fermes
derrière lesquelles ils sentent la force.
J'ai.déjà dit que le traité de San-Stefano
imposée par la Bussie à la Turquie en mars
1878
avait été, quoique nous pensions de la
Russie, plus avantageux pour les A r mé n i e n s
que le traité de Berlin.
L'Angleterre était intervenue contre le
traité de San-Stefano, guidée par Disraeli-
Beaconsfield, chef du cabinet -tory. Beau-
| coup de gens ont a dm i r é cet homme, mais
je crois que la réputation qu'on lui a faite
comme homme d'Etat a été exagérée. En
tous cas ce qui est certain, c'est que son
sous-secrétaire d'Etat, Lo r d Salisbury, au–
jourd'hui ministre des affaires é t r a n g è r e s
d'Angleterre, qui r e p r é s e n t a ce pays au Con–
grès de Berlin et à la Conférence deCons–
tantinople de 1876, se vit obligé, en 1896, de
condamner l'œuvre de son ancien chef. Bien
qu'il y eut pris part, en présence des infa–
mies de la Turquie i l eut assez de courage
pour vouloir éclairer s i n c è r eme n t tout le
peuple : « En 1878, dit-il, nous avons com–
mis une faute, nous devons l'avouer; en 1878
nous avons placé notre argent sur un mau–
vais cheval »; c'est-à-dire sur un gouverne–
ment qui n'a ni la possibilité ni la volonté
de faire, dans les pays qui lui sont soumis,
les réformes pour lesquelles l'Angleterre, en
1878,
lui a prêté son appui. Toutefois Salis–
bury, pour des raisons que nous avons expo–
sées, ne voulait pas engager l'Angleterre
seule contre la Turquie, ce qu'il désirait,
c'était une action commune des puissances.
Mais j u s q u ' à p r é s e n t elles n'ont jamais pu se
réunir si ce n'est pour recevoir les notes et
promesses du sultan.
Actuellement la Bussie p r o t è g e le Sultan,
et la France en Orient joue avec la Bussie
sous la même couverture. E s p é r o n s que cet
état de chose aura une fin.
Ces jours derniers, au Parlement français,
notre camarade Jean J a u r è s , le très éloquent
r e p r é s e n t a n t de la classe ouvrière, a coura–
geusement combattu pour l a dénonciation
de l'alliance séparatiste franco-russe, deman–
dant qu'elle soit remplacée par une fédéra–
tion réelle et effective de tous les peuples
civilisés, par une fédération de peuples sans
aucun s é p a r a t i sme .
(
Applaudissemenls.)
Nous avons à rapporter un deuxième fait
à la fois réjouissant et triste. Les Armé n i e n s
qui r é s i d e n t à l'étranger ont reçu des dis–
tricts de Sassoun et de Moush, l'informa–
tion que l'on p r é p a r e de nouveaux massacres.
On c o n n a î t très bien les p r é s a g e s de ces
o p é r a t i o n s . Quand les Kurdes prennent les
armes, que le gouvernement turc envoie des
troupes irrégulières dans les districts a r m é –
niens, on sait, d'une expérience c h è r eme n t
acquise, que le feu ne tardera pas à éclater,
qu'un massacre va avoir lieu.
(
A suivre.)
Coupures de journaux
Agence OBSERVER
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SUCCURSALES A
Budapest, Genève, Londres,
New-York,
Paris, Rome,
Stockholm.
LES CAHIERS DE LA QUINZAINE
8,
rue de la Sorbonne
Ont publié le 28 Juin,
Mémoires et Documents pour
la Défense des Arméniens.
Par P I E R R E Q U I L L A H D
(
Un volume de 160 pages).
Le Secrétaire-Gérant :
J E A N L O N G U E T .
Fonds A.R.A.M