de son peuple contre les infidèles et provo–
que un massacre qui doit les intimider.
Une opération de ce genre fut exécutée en
septembre 1894, à
Sassoun
et ses environs,
où plus de 2.000 A rmé n i e n s furent massacrés
comme des bêtes sauvages.
Les circonstances furent si effroyables, la
complicité des dignitaires turcs si flagrante,
que les puissances j u g è r e n t nécessaire d'in–
tervenir. Elles firent p r o c é d e r a une e n q u ê t e
sur les lieux et établir dos procès-verbaux
sur les actes de violence. Les fonctionnaires
chargés de cette mission — non des agita–
teurs, ni des partisans des A rmé n i e n s —
mais des consuls des puissances, leur propre
représentant, acquirent, la conviction que le
gouverneme turc, en la personne de ses
hauts fonctionnaires était pleinement res–
ponsable de ces barbares cruautés.
Par une
Noie du 11 mai 1895,
les puissan–
ces p r é s e n t è r e n t au gouvernement turc un
programme de
Réformes
dont i l n'osa nier
directement le bien fondé : ce programme
ne demandait pas l'indépendance nationale
ou provinciale pour les A rmé n i e n s mais seu–
lement la protection de leurs droits et une
organisation à peu près équitable du gou–
vernement.
Le mémo i r e du 11 mai 1895 portait que
dans les administrations de province et do
cercle et dans les municipalités où leur pro–
portion pour cent serait plus grande, les
A rmé n i e n s auraient une représentation ;
cette disposition devait donner la garantie
que les lois, si mauvaises fussent-elles, se–
raient du moins appliquées (impartialement.
Le nombre des gouvernements devait être
d i m i n u é ; vers 1877 i l avait été notablement
a u gme n t é pour procurer des places à un plus
grand nombre de Paschas ; et plus i l y a de
Paschas avec leur cour plus lourdes sont les
charges pour le peuple. En Armé n i e turque
un vilayet est très souvent plus petit que
chez nous un cercle de royaume et le gou–
verneur ou vali veut vivre comme un prince.
Les puissances avaient aussi r e c omma n d é la
diminution des gouvernements afin qu'au
renouvellement des limites des cercles on
puisse réaliser une plus grande homogénéité
sous le rapport du groupement des nationa–
lités.
L a Turquie promit - elle a toujours fait
de grandes promesses — elle promit après
les longues n é g o c i a t i o n s du 22 octobre 1895,
de donner suite aux propositions de la Note.
Le sultan fît "savoir au premier ministre
anglais L o r d Salisbury que la note recevrait
son exécution sans retard : i l l u i en donna
même sa parole. Mais comment tient-il ses
promesses lui et ses fonctionnaires?
D'immenses massacres furent organisés,
des tueries en masse, dont le but était
d'anéantir complètement
le peuple a rmé n i e n ;
boucheries telles que l'histoire n'en a jamais
vu d'aussi grandes et de si cruelles.
On ne peut douter que ces barbaries n'aient
été favorisées de Constantinople. Sans doute
c'est là une grave accusation, mais des hom–
mes d'Etat bien informés et responsables de
leur dire ont d émo n t r é la complicité du
sultan en cette occasion, des rapports dignes
de foi ont établi sa responsabilité, ont d é –
mo n t r é que ces c r u a u t é s ont été commises
sur son ordre, avec son assentiment, et des
hommes, très mo d é r é s d'habitude, lui ont
d o n n é le nom
d'Assassin.
A i n s i déjà, le 2 octobre 1895, l'Assassin se
remettait à l'œuvre.
Ce j o u r - l à le carnage c omme n ç a i t à
Tra-
pézonle :
600
A rmé n i e n s furent tués dans
cette ville et 107 dans les villages environ–
nants.
Los fonctionnaires du gouvernement lais–
sèrent ces crimes impunis et, en présence
de cette
indulgence
et souvent même des en–
couragements dos autorités, les massacres
horribles devinrent monstrueux.
Laissez-moi vous donner quelques chif–
fres. Ils ne viennent pas d'hommes privés
on des missionnaires, mais de fonctionnai–
res des consulats; ils sont pris dans dos
rapports officiels que les ambassadeurs des
puissances ont adressé à leurs gouverne–
ments.
Dans la plupart, on a d é n o n c é formelle–
ment, et en donnant leur nom, les officiers,
les fonctionnaires qui ont assisté complai-
samment à ces assassinats et à ces pillages,
et même en ont été sans doute les auteurs et
les dirigeants.
D'après ces rapports, les nombres des vic–
times des tueries d'octobre et novembre 1895
sont les suivants : à Erzeroum 400, à B a i -
bourd 1,350, à Bayasid 500, à Bitlis 800, à
A r a b k i r 2,800, àKh a r p o u 1500, à Malatia 3,000,
à Sivas 1,500, à Diarbékir 1,200, à Gurna
1,000,
à Aïntab 1,000, à Marasch 1,350, à
Césarée 1,000; la plupart de ces malheureux
étaient sans armes et absolument incapa–
bles de se défendre. (Grand mouvement.)
Déjà par eux-mêmes ces chiffres sonnent
douloureusement à nos oreilles, mais si
vous lisez les descriptions de ces meurtres,
si vous apprenez dans quelles conditions
hommes, femmes, vieillards et enfants ont
été assassinés, avec quelle c r u a u t é et quelle
bestailité ces crimes ont été perpétrés,
quelles mutilations raffinées et diaboliques,
dont le fanatisme et l'exaltation dos Orien–
taux sont seuls capables, les ont a c c omp a g n é s ,
alors vous comprendrez qu'un homme d'Etat
anglais, qui n'est pas sentimental, a pu dire
que la vision des massacres d'Arménie trou–
blait son sommeil toutes les nuits.
Des enfants furent é g o r g é s avec la plus
grande férocité devant leurs parents, dos
femmes enceintes furent éventrées aux yeux
de leurs maris, des hommes furent mutilés
d'une ma n i è r e infâme avant d'être assas–
sinés.
Certainement, l'imagination surexcitée de
ceux qui ont échappé ou survécu a mis en
circulation beaucoup d'exagérations, mais
alors môme que de tous ces récits on retran–
cherait la moitié ou les trois quarts, i l reste–
rait encore plus de c i u a u l é s inconcevables
que l'on en rencontre dans tout le cours de
l'histoire. E n dehors de ceux qui ont péri
dans les massacres, combien de milliers ont
été blessés, combien de milliers et de milliers
ont trouvé une mort douloureuse dans des
prisons ou de p r é t e n d u s hôpitaux. En outre,
les soldats'turcs, d'un commun accord avec
leurs officiers, pillèrent villes et villages et
les réduisirent en cendres.
Si loin que l'on recherche dans les annales
de l'histoire, on ne trouve pas d'exemples de
semblables sauvageries exercées contre tout
un peuple.
Si nous nous rappelons la nuit do la Saint-
Barthélémy à Paris, si nous pensons à la
c o n q u ê t e de Drogheda où les soldats de
Cromwell ma s s a c r è r e n t presque toute la
population masculine, si nous nous souve–
nons à Paris des massacres de septembre
1792,
des combats de juin 1848, do la Se–
maine sanglante de 1871, même si nous évo–
quons les massacres exécutés par les Turcs
à Chios, dans le Liban et on Bulgarie, —
tout cela pâlit devant les orgies sanglantes
qui ont été commises en Armé n i e , sous la
protection ou par l'ordre des fonctionnaires
du Sultan, — qui ont été exécutées contre
un peuple dont la seule faute a été d'avoir
voulu s'opposer à une oppression qui a indi–
gné même les gouvernements r é a c t i o n n a i r e s
de l'Europe, of qui doit révolter tous les
hommes susceptibles de sentir.
Eh b i en ! i l s'est trouvé des gens qui,
même dans de telles circonstances, ont cru
devoir prendre la défense de la Turquie et
ont traité d'exagération sans mesure toutes
les bestialités constatées.
Comme à co moren nt-là je m'indignais do
ce que chez nous pas une parole de protes–
tation ne s'était élevée, un bon ami m'écrivit
une lettre dont les points principaux étaient,
p r em i è r eme n t , qu'il n'y avait pas d ' Armé –
niens en Turquie et, d e u x i èmeme n t , que
les A rmé n i e n s qui s'y trouvaient étaient fort
heureux et enfin que les gens qu i se révol–
taient contre K s fonctionnaires turcs étaient
tous dos agents de la Russie. 11 y a des gens
qui, aveuglés par leur très juste haine de la
Russie, s'érigent on défenseurs do la Tur–
quie !
Le gouvernement turc, de son côté, essaya ^
très naturellement do nier. Que des massa–
cres avaient eu lieu, i l ne p û t cependant le
contester, mais i l donna sur le nombre
des victimes dos chiffres-dérisoires par rap–
port à ceux qu'avaient fourni les consuls.
Le Dr Johannes Lepsius, dans son livre
Arménie et Europe
(
Berlin 1897, page 60),
compare la statistique officielle de la Tur–
quie à celle de l'Europe. Ce tableau donne
pour les A rmé n i e n s tués pendant le moment
de la terreur de 1895-1896 les nombres c i -
a p r è s :
Statistique officielle
du
gouvernement turc,
La vérité
d'après les sources
européennes.
Erzinghian . . . .
70
1.000
Bitlis
130
900
Kharpout
80
900
A r a b k i r
-
200
4.000
Amâ'ùa
v
80
1.000
Vezir-Keupru
38
200
Aïntab
100
1.000
Marasch
30
1.390
Là, ou les fonctionnaires e u r o p é e n s et les
voyageurs relevaient plus de dix mille as-
Fonds A.R.A.M