quitte leur village. Les paysans sont fort
emb a r r a s s é s et ne savent quel parti prendre.
Loutfi bey, Ka ï ma k am de Kavacli, est un
turc cultivé, qui travaille de son mieux pour
faire construire les chemins des districts qui
sont sous son a u t o r i t é ; mais avec quoi, com–
ment, et par le travail de qui? C'est toujours
l'Arménien qu i travaille, qu i procure les
chariots pour transporter la terre, la pierre,
qui fournit le bois pour la construction des
ponts, sans recevoir aucun salaire du gouver–
nement pour acheter m ê m e son pain. Sur
les routes, pas un Turc, pas un Kurde qu i
travaille; ce sont tous des A rmé n i e n s , qu i
ont a b a n d o n n é leur charrue et fouettés par
les zaptiés travaillent à leurs corvées, souvent
apportant même le pain des zaptiés, leurs
surveillants. Quelques beys kurdes sont du
côté de Loutfi bey et s'efforcent de lui plaire
par tous les moyens. Husséïne, agha de
Kavache, le 6 avril, démolit quelques mai–
sons a r mé n i e n n e s du village de Kantzak et
fait charger les poutres sur les épaules des
propriétaires de ces maisons et les fait
apporter sur les bords du fleuve An k h i g h ,
pour la construction d'un pont. Tous les ans
on l'ait construire les routes, à Kavache,
comme d'ailleurs dans toutes les provinces
de l'Arménie turque; c'est le peuple toujours
qui fournit l'argent plus que suffisant pour
construire des routes régulières et solides.
En ville, chaque homme doit payer le prix
de quatre j o u r n é e s de travail, mais dans les
villages le prix n'est nullement fixé et n'a
aucune limite ; le vali de Va n perçoit des
milliers de livres par an, fait travailler gra–
tuitement des milliers d'ouvriers; mais dans
aucune ville, et dans aucune province, on ne
peut trouver un chemin plus ou moins régu–
lier et solide; un peu de pluie et un peu de
neige et voilà que toute la ligne est effacée;
il faut recommencer les même s corvées, le
même travail et cela tous les ans.
Abd-oullah, Féhim et Suleyman, trois
commissaires turcs ont été révoqués depuis
quatre ou cinq mois. Us avaient é t é a r r ê t é s en
ville, dans une maison, où ils avaient ame n é
4
ou 5 femmes a rmé n i e n n e s dans des inten–
tions immorales. Férik Hussni pacha leur
avait promis de leur faire obtenir de nouveau
leur poste, s'ils parvenaient à arrêter les
révoltés à Sassoun. Depuis lors tous les
moyens leur sont devenus bons pour y
arriyer. Ces derniers temps, ils remettent à
un jeune homme turc, une lettre rédigée en
a rmé n i e n , en turc et en fiançais, et sb i -
disant écrite de la part des l'édaïs a rmé n i e n s
et adressée au muléssarif de Bachkalé. Le
jeune homme porte la lettre à Bachkalé, et
déclare qu'en chemin i l a été a r r ê t é par
5
ou 6 l'édaïs a r mé s et qui l u i avaient remis
cette lettre pour le mutéssarif. Le mutéssarif
envoie le jeune homme à Va n , au vali.
Celui-ci lui fait subir nu long interrogatoire
et se rend compte de la réalité. Le but des
commissaires était de faire a r r ê t e r quelques
A rmé n i e n s connus et de jouer ainsi un rôle
important.
Dans toute la province, les intrigues des
commissaires sont connues; et aujourd'hui,
non seulement les Armé n i e n s , mais même
tous les hauts fonctionnaires turcs ne leur
ajoutent aucune foi. Mais sont-ils blâmables
pour cela, ces commissaires, qu i voient que
le r é g ime qu i r è g n e , ne l'ait parvenir aux
dignités, que les gens qu i sont disposés à
commettre les plus grandes bassesses, alors
que les gens vertueux et soucieux de leur de–
voir, turcs ou a rmé n i e n s , se voient fermés
tous les chemins du gouvernement.
L E T T R E D ' A L A C H K E R T E
i
5
Août
i
'.)
o2.
Le principe de la l o i de l'islam est de piller,
massacrer, tromper, voler et détruire. L ' i s –
lam ne sait pas construire, travailler; le roi
de l'islam est le méfait, et le crime seul est
le Dieu de l'islam.
L'émigration de l'Arménien, son va-et-vient
troubla le Turc'; aussi créa-t-il toutes sortes
de moyens pour disperser le pauvre A r mé –
nien et l u i barrer le passage, pour que
celui-ci ne p û t jouir de la vie n i sur les mon–
tagnes, n i en ville, n i enfin nulle part.
Les Kurdes déjà de leur côté pillaient suf–
fisamment l'Arménien ; mais, voilà q u ' a p r è s
les massacres les soldats à leur tour vinrent
s'établir auprès des Kurdes à qu i ils p r ê –
chaient continuellement: « Pillez l'Arménien
partout où vous le trouverez, tuez
r
le
»
Telle était la leçon de chaque soldat. Le
Kurde devenait ainsi de plus en plus farouche,
et un instrument aveugle dans les mains des
soldats. Mais ceux-ci bientôt c omme n c è r e n t
à enlever le pain aux Kurdes; ils se livrèrent
au pillage nuit et, jour; i l n'y a pas un seul
émigré qu i puisse é c h a p p e r à leur pillage.
Tous les émigrés qui p a s s è r e n t les frontières
de Bayazid et de la Perse, r e n c o n t r è r e n t des
soldats qu i les pillèrent, les emp r i s o n n è r e n t
et les soumirent à des corvées des jours en–
tiers à Bayazid; et ainsi t o r t u r é s ils arrivè–
rent dans leur patrie, morts ou vivants, je
l'ignore.
Les soldats gardiens des frontières em–
ployèrent tous les moyens pour exciter les
Kurdes contre les A rmé n i e n s ; mais les
Kurdes ont appris à les connaître, et les
écoutent avec indifférence ; les soldats, d é –
couragés, s'adressent aux Persans et veulent
les exciter contre les A rmé n i e n s pour piller
et massacrer les A rmé n i e n s ; mais jusqu'ici
tous leurs moyens ne réussissent nulle part.
Salih effendi, maître pilleur, est envoyé à
Moush ; c'est l u i qui prit part au massacre de
800
a rmé n i e n s sur les frontières persanes,
au massacre et au pillage du village de Var,
et à l'assassinat du célèbre Ku r d e , sujet
persan, Dakar Kh a n ; c'est le même person–
nage odieux qu i se p r é p a r e contre les mon–
tagnards de Sassoun.
La lutte, sur la frontière,
• la tribu de
Takour et la tribu de Haïdaran a pris fin poul–
ie moment; la tribu de Ha ï d a r a n a dévasté
et pillé le village de Yénikeu'ï de la tribu de
Ta kou r ; 10 hommes environ ont été tués des
deux côtés et plusieurs b l e s s é s ; i l y a à peine
quinze jours que cette lutte est t e rm i n é e et
voilà que maintenant de nouveaux plans de
lutte et de pillage se p r é p a r e n t des deux
côtés.
—
•*
Nouvelles d'Orient
E N M A C É D O I N E .
—
Le s j ou r n a ux turcs du
17
octobre publient un c o mm u n i q u é offi–
ciel ainsi c o n ç u :
D'après des t é l é g r amme s d'Ibrahim Pacha,
commandant de la 9" division à Serrés, du
commandant du 3« corps et du Vnli de Salo-
nique, des bandes d'insurgés bulgares firent
irruption à Bazlog et à Djumbala et obligè–
rent la population bulgare de nombreux
villages à se joindre à elles. Les habitants
des autres villages s'enfuirent de peur dans
la montagne.
Alors Ibrahim Pacha envoya à la poursuite
des bandes une q u a n t i t é suffisante de trou–
pes qui agirent avec é n e r g i e et mé t h o d e . Les
bandes furent en partie détruites, en partie
captivées ou dispersées. Une grande partie
de la population fugitive commence à ren–
trer et à d é p o s e r les armes remises par les
bandes et prétend avoir été obligée de quit–
ter ses habitations. Au x personnes qu i , par
crainte de c h â t ime n t , n'osent point revenir,
il est signifié par les autorités et par le clergé
que tous ceux qu i le demanderont seront
graciés. Ou espère ainsi en venir bientôt à
bout avec les bandes.
D'autres nouvelles de source ottomane
annoncent qu'avant quinze jours l'insur–
rection sera t e r m i n é e et que le colonel
Jantrof, le colonel N i c o l o l f et le g é n é r a l
Zo c t c h e i ï seront fait prisonniers.
E n m ê m e temps les j o u r n a u x i mp é r i a –
listes anglais m è n e n t grand bruit autour
d'un rapport de S i r Alfred B i l l i o t l i , consul
g é n é r a l à Salon ique, p r é c é d e mm e n t consul
g é n é r a l à l a C a n é e , lors de l'affaire Cre–
toise o ù i l j oua un rôle s i n g u l i e r ; ce rap–
port confirme l'optimisme officiel des j ou r –
naux turcs; et la
Saint-James Gazette
at–
taque violemment M M . Herbert Gladstone
et Stevenson, membres du Parlement, pour
le cas o ù ils auraient o s é t é mo i g n e r de
leur sympathie pour la cause m a c é d o –
nienne, comme ils h; firent autrefois pou r
la cause a r m é n i e n n e et la cause grecque.
Il p a r a î t probable en effet que, g r â c e à
u n d é p l o i eme n t c o n s i d é r a b l e de forces
militaires, le gouvernement d A b d u l t l am i d
viendra à bout du mouvement actuel,
c'esl-à-dire qu'au lieu de continuer l'offen–
sive, les bandes se disperseront quitte à se
reformer plus tard, au printemps. Mais
pour enrayer une i n s u r r e c t i on partielle,
d é s a p p r o u v é e et combattue par les élé–
ments m a c é d o n i e n s les plus r é v o l u t i o n –
naires du c om i t é Sarafoiï, i l a fallu déjà
un effort c o n s i d é r a b l e : les trains militaires
se s u c c é d a i e n t à deux heures de distance ;
et les meilleurs g é n é r a u x turcs — ceux
que d'ordinaire leur valeur m ê m e rend
suspects — ont é t é c o n s u l t é s anxieusement
à Y l d i z .
Tou t n'est pas au mi e ux en Ma c é d o i n e
Fonds A.R.A.M