LES PENDAISONS DE BAYAZID
'
Nous empruntons au
Charjoum
de Varna,
le récit de la double pendaison de Bayazid,
par un témoin.
Bayazid, 2 3 juillet.
Le Sultan Ro u g e vient de se venger de la
r é u n i o n d u C o n g r è s de Bruxelles et de son
é c h e c au Sassoun sur la tète du m a î t r e
d'école, Kha t chadou r , du village de Kh a s s –
dour dans la province d ' A l a c h k e r l e , ainsi
que sur celle d ' Av é d i s s e , du village de
Go g h p l e , dans la province de Bo u l a n i k , le
brave fédaï q u i a é l é blessé dans le combat
de Kh a s s dou r . L e 23 courant, vers l'aube,
par i r a d é i mp é r i a l , ces deux h é r o s a r m é –
niens ont é l é pendus.
La
Bètc Ro u g e , dans le m ê m e i r a d é ,
ordonne que les 45 fédaïs qu i ont pris part
au combat de Kh a s s dou r e l les 15 Cour–
riers Ku r d e s qu i o n l agit pou r le compte
de la r é v o l u t i o n a r m é n i e n n e et ont offert
des facilités aux r é v o l t é s , devraient ê t r e
pendus a u s s i t ô t a r r ê t é s ét sans leur faire
subir aucun i n l e r r oga l o i r e .
Sur la place la plus f r é q u e n t é e de B a y a –
zid, en face du consulat russe, devant les
fonctionnaires du gouvernement et une
grande foule, le fédaï a r m é n i e n en raillant
la potence des sultans, se mi t à parler en
ces termes :
Ces potences ne peuvent pas
épouvanter
le fédaï arménien qui crache sur de telles
potences et sur le front de ceux qui les onl
préparées et de ceux qui, par leur firman,
les ont fait dresser; le fédaï
arménien
marche fièrement vers la potence pour
sanctifier ses idées. Ces viles potences exci–
teront davantage le sentiment de vengeance
du fédaï arménien et le pousseront à lutter
avec plus d'acharnement pour la réalisation
de son idée.
Ap r è s avoir p r o n o n c é ces paroles, le
fédaï s ' a v a n ç a vers la potence. L'agent de
police arrivant d e r r i è r e l u i , voulait l u i
passer la corde au cou . L e fédaï se retour–
nant le r é p r i m a n d a :
Le fédaï arménien ne voudra jamais
tendre le cou au lurc impur pour qu'il lui
passe la corde; /'.... moi donc la corde der–
rière moi; moi, tout seul, je peux me pendre
sans avoir besoin de vos mains souillées.
A i n s i i l parla ; et Av é d i s s e , de sespropres
mains, se passa la corde au cou. L e m a î t r e
d'école Kh a t c h a dou r suivit son exemple.
Six heures a p r è s , les corps des victimes
furent remis aux A r m é n i e n s . P o u r honorer
le souvenir de ces h é r o s , plus de trois
cents A r m é n i e n s , conduits par l'aratch-
norte, De r E mm a n o u ë l Ba l i a n , et d'autres
p r ê t r e s leur firent des funérailles solen–
nelles. A i n s i ils mo n t r è r e n t au gouverne–
ment turc que les gens d é s h o n o r é s par l u i
sur la potence é t a i e n t s a c r é s pour nous
autres a r m é n i e n s .
U N A S S I S T A N T .
Lettres de Yan et d'Alachkerte
L E T T R E D E V A N
28
mai
IQ02.
Dans le district de Gardjghan se trouve le
village a rmé n i e n , Ourantz, où i l y a 1011 fa–
milles; non loin de ce village se trouve
Klioroz, village habité par 120 familles kurdes.
Les Kurdes de Khoroz, e n c o u r a g é s par
Moussa bey, de Ghétzan, et par Séïde A l i ,
chéïk de Khizan, oppriment les A r mé n i e n s
d'Ourantz et ceux des environs. Nous avons
déjà écrit plusieurs fois au sujet de ce
monstre de Séïde A l i ; quant à Moussa bey,
il n'y a pas d'atrocités qu'il n'ait com–
mises. Pendant l'événement de 1896 c'est l u i
qui a tué de ses propres mains plus de
500
A rmé n i e n s . Moussa et. Séïde A l i sont les
chefs et les guides des beys Kurdes des dis–
tricts de Khizan, Spargherd, Chinitzor, Gar-
gar et Gardjghan. Ils p r ê c h e n t toujours
publiquement : « Tuez les ghiaours, celui
qui ne les tue pas n'est pas un islam; tuez-
les, si le Sultan ne vous r é c omp e n s e pas,
Mohammet vous r é c omp e n s e r a sans doute. »
Comme partout ailleurs, de même ici les
Ka ï ma k ams leur sont soumis et partagent le
butin avec eux; le peuple juge inutile de
protester é t a n t bien convaincu que non seu–
lement leurs plaintes ne seront pas écoutées,
mais que de plus cela contribuera à aug–
menter leurs souffrances.
Parmi les Kurdes de Khoroz,
Lamon
Khourchid, Miradi Médjid et Tchéti, après
les é v é n eme n t s de 1896, s'étaient emp a r é s
d'un immeuble appelé Thaghou-Tzor, qui
appartenait aux habitants d'Ourantz. Sous la
conduite de Der Sarkiss, curé du village,
les paysans s'adressent au Ka ï ma k am de
Gardjghan; leurs plaintes ne furent pas
écoutées ; comme d'ordinaire, les plaignants
devraient être châtiés sans doute ; aussi,
quand le 27 mars, Manouk, neveu de Der
Sarkiss, un jeune garçon de 15 ans, était
parti vers la montagne pour chercher du
bois, à son retour, près du fleuve Ouranitz,
il l'ut assailli par Midjid, Tchédi et Lu mer,
ce dernier fils de Khourchid, qui l u i donne
un coup de hachette sur la t ê t e ; Manouk,
b a i g n é de sang, tente de se sauver, mais ils
l'arrêtent et essayent de lui couper la tête
avec une hache; après lui avoir l'ait subir de
nombreuses tortures, et lui avoir d o n n é
vingt coups d'épée, ils le tuent affreusement.
Les paysans enlèvent le cadavre et veulent
le porter à Va n , pour protester. Le Kaïma–
kam de Gardjghan et Moussa bey survien–
nent, leur l'ont rebrousser chemin et par
mille menaces leur t'ont inhumer le cadavre.
Cette d e r n i è r e tentative de protestation des
A rmé n i e n s parut condamnable aux yeux des
Kurdes. Le 14 mai, Saïde, frère des assassins
de Manouk, et d'autres Kurdes, attaquent
les femmes a rmé n i e n n e s d'Ourantz qui étaient
parties pour cueillir des l é g ume s . L a plu–
part se sauvent; trois femmes sont atroce–
ment d é s h o n o r é e s et l'une, Kh amé ne cède
q u ' a p r è s avoir été blessée de deux côtés à
coups d'épée.
Vartan, père de Manouk, avait été tué chez
lui, i l y a trois ans, par Malak, frère d'Ali bey
à cause de ses plaintes contre les Kurdes; sa
femme, Gakhav, et son fils, Mouohègh, âgé
d'un an, avaient été tués deux ans avant l u i
par Glazé, lils d'Amar, du village de Khoroz
et par Yakoub, alors que Vartan lui-même
était en fuite par crainte des Kurdes.
Au commencement d'avril, on lit venir
d'Ardjiche à Va n une femme a r mé n i e n n e ,
qu'un derviche d'Ardjèche avait g a r d é e chez
lui par force, objectant qu'elle avait emb r a s s é
l'islam de son propre gré ; le mari de la
jeune femme, Lévon, avait d ema n d é par une
pétition qu'on l u i renvoyât sa femme qui a
aussi un enfant de deux ans. Après avoir
gardé la femme chez un chéïk, en ville, on
la retourne au derviche pour la conduire à
Ardjèche, sans même accomplir aucune for–
malité légale; (il fallait l'envoyer à « l'arat-
chnortaran » des A rmé n i e n s , la garder quel–
ques jours et la persuader; et ensuite si la
femme déclarait publiquement qu'elle em–
brassait l'islam de son propre gré, alors seu–
lement, i l fallait la confiera qui de droit).
Quand la femme part pour Avantz, Edhem
bey, neveu du vali, va la trouver de nuit et
la d é s h o n o r e . L a femme se lamente et pleure
dans le village et demande qu'on la délivre.
Der Sahak, prêtre du village, proteste à la
police du lieu ; ses plaintes ne sont pas écou–
tées, et le derviche s'empare de la jeune
femme et l'emmène à Ardjèche.
A Gardjghan, comme partout ailleurs, des
centaines de familles sont soumises à l'immo–
ralité des Kurdes qui s'introduisent de nuit
dans les maisons où i l n'y a pas d'hommes. L a
femme a r mé n i e n n e est impuissante à défendre
son honneur, quand elle voit son mari ou son
enfant sous l'épée du Kurde. L'Arménien qui
préfère mourir pour défendre son honneur,
est réduit à l'impuissance ; i l ne sait à qui
protester, à qui s'adresser; doit-il tomber de
Charybde en Scylla ; i l ne possède pas
d'armes pour recourir à une d e r n i è r e tenta–
tive de d é s e s p o i r ; i l n'a aucun moyen pour
s'en procurer; les fédaïs dans de nombreuses
luttes, par leur h é r o ï sme , ont semé la terreur
et l'épouvante parmi leurs bourreaux qui les
oppriment.
Dans le village de Sévan, i l y a 60 familles
a rmé n i e n n e s et 40 familles Kurdes. Ap r è s les
é v é n eme n t s de 1896, Mirza agha, un Kurde,
est allé s'y établir; tout le village est entre
ses mains. Chaque maison doit l u i fournir
un homme pour travailler à son compte,
ainsi que pour cultiver ses champs; on doit
lui faire des cadeaux, en argent, et supporter
d'autres corvées, alors que l u i -même ne pos–
sède pas une p o i g n é e de terre dans le village.
Ces derniers temps, les A rmé n i e n s ne pou–
vant plus tolérer ses méfaits désirent ém i -
grer et, une nuit, ils p r é p a r e n t leurs chariots,
et se dirigent vers les habitants de Maghour.
A peine avaient-ils fait un chemin de trois
heures, que Thathar Khan, fils de Ahmet
Khan, du village de L i m , leur barre le passage
et par des menaces, leur fait rebrousser
chemin. Les A rmé n i e n s veulent s'adresser
au gouvernement; mais Hassan agha, chef
des habitants de Chamghek les menace de
dévaster leur village, s'ils font une pareille
d éma r c h e ; illeur réclame le paiement des trois
cents livres à Mirza agha pour que celui-ci
Fonds A.R.A.M