est peu probable que ses observations
soient é c ou t é e s à Y l d i z et sa d émi s –
sion, cette fois définitive, y pourrait
seule produire quelque effet, s'il n'ob–
tient pas, au lieu de paroles menson–
g è r e s , des satisfactions r é e l l e s .
L e 17 septembre, a p r è s une nouvelle
r é u n i o n du Conseil mixte, le Patriarche
s'est rendu à Y l d i z où i l a é t é r e çu par
le premier s e c r é t a i r e Tahsin pacha ; i l
s'est plaint que les a u t o r i t é s p r ov i n –
ciales n ' e x é c u t a s s e n t pas l'iradé d'apai–
sement et surtout que la clause concer–
nant les émi g r é s fût v i o l é e ; i l a d o n n é
comme exemple les incidents qui
s'étaient produits à la frontière russe et
les i n c a r c é r a t i o n s de réfugiés qui reve–
naient dans leurs anciens foyers.
S i le Patriarche ne peut pas obliger
Ab d u l Hami d à respecter les engage–
ments pris, d'autres personnes, plus
puissantes, ont le devoir d'intervenir.
Le s Et a t s -Un i s , non signataires du
Tr a i t é de Be r l i n , viennent d'inviter les
gouvernements e u r o p é e n s à en faire
e x é c u t e r les clauses à l ' éga r d des i s r a é -
lites roumains, victimes d'une abomi –
nable p e r s é c u t i o n . L a Ré p u b l i q u e amé –
ricaine a i nd i qu é par là aux nations
d'Europe l'attitude qu'elles devaient
prendre é g a l eme n t envers la Turquie et
son souverain. S i la plupart se taisent
encore et p r é f è r en t demeurer complices
du Sultan, i l ne sera pas dit que la re–
q u ê t e des réfugiés a rmé n i e n s du Cau –
case ait été r e p o u s s é e par la R é p u b l i q u e
f r anç a i s e . Avan t de quitter Tiflis, ceux-
ci se sont a d r e s s é s à notre consul ; ils
seront mis sous notre protection ; le m i –
nistre des Affaires é t r a n g è r e s n'aurait
pas de peine à faire entendre raison au
fou lucide d ' Y l d i z .
Il est m ê m e probable que d'autres
gouvernements se joindraient à l u i :
tardivement, sur les instances com–
munes de l'Angleterre, de l'Italie, de
l'Autriche et de la France, Emi z Pa cha ,
le boucher de Di a r bék i r , a été d e s t i t u é ;
i l ne p r é p a r e r a plus de massacres dans
le vilayet d ' Al ep . Le s même s bonnes
vo l on t é s pourraient agir aussi efficace–
ment pour les réfugiés a rmé n i e n s .
Pierre
Q U I L L A R D .
O c m p v i r e s d e j o t i r n a u x
Agence OBSERVER
Wien XI 1, 1.Turkenstrasse, 1
"7
SUCCURSALES A
Budapest, Genève, Londres,
New-York,
Paris, Rome,
Stockholm.
LETTRE DU CAUCASE
Tiflis, 20 août
j
2
septembre.
Dans ces derniers jours, les émi g r é s
a rmé n i e n s en Caucase se trouvent de
nouveau dans un état des plus d é p l o –
rables. L e gouvernement russe leur
ordonna de s'inscrire comme sujets
russes ou quitter la Russie. U n délai
de dix jours leur a été d o n n é pour r é –
fléchir et pour se d é c i d e r ; ce délai
p a s s é , si les émi g r é s se trouvent encore
sur le sol russe, ils seront c on s i d é r é s
comme sujets russes, m ê m e contre
leur vo l on t é .
L e p r o b l ème n ' é t a i t pas facile à r é –
soudre : ces pauvres gens ne pouvaient
pas accepter la proposition du gou –
vernement russe, car alors ils devaient
dire adieu à tout jamais à leurs c h è r e s
e s p é r a n c e s de revoir leur patrie, leur
foyer, leur famille, dont certains mem–
bres restent encore dans leur pays.
D'autre part, ils ne connaissaient pas
les vues s e c r è t e s du gouvernement
turc, aussi bien que ses dispositions
envers leur retour possible. Ma i s bru–
talement mis en demeure de choisir
entre le sort du p r o l é t a r i a t russe et les
horreurs de la Turquie, les malheureux
émi g r é s a rmé n i e n s ne savaient quel
parti prendre. L ' amo u r de la patrie
e n s a n g l a n t é e et de la terre natale est si
fort chez tous ces martyrs de la tyrannie
hamidienne, qu ' à lafindu compte ils
préfèrent se mettre en route vers la
frontière, c ' e s t - à - d i r e vers l ' i nconnu ,
presque vers la mort.
E t depuis le 10/23 du mo i s d ' a oû t ,
ils s'en vont tristement, le front l i d é ,
la t ê t e c o u r b é e ; ils quittent la Russie
qui ne veut plus d'eux, qui les chasse.
Il y a une dizaine de jours que, cha–
que soir, le spectacle, à la gare de
Tiflis, est des plus navrants : chacun
arrive avec sa famille, avec tout son
bagage, qui tient dans un petit sac ;
l'homme marche en avant, la femme
suit avec ses petits, tous v ê t u s de vieux
paletots multicolores, r ama s s é s un peu
partout; ils s'en vont vers la frontière
pour frapper encore une fois à la porte
de leur pays natal, de leur c h è r e A r –
mé n i e , fermée par des mains c r imi –
nelles devant ses propres enfants.
L e gouvernement de Tiflis d'abord
autorisa une souscription au profit des
émi g r é s pour leur fournir au moins les
moyens de transport j u s q u ' à la fron–
tière. Ma i s depuis hier, celte autorisa–
tion a é t é brusquement suspendue, on
ne sait pou r quo i . Vo u s pouvez vous
imaginer la d é c e p t i on et la douleur de
tous ces pauvres gens qui se trouvent
ainsi p r i v é s des secours de leurs frères
du Caucase, et e x p o s é s à l a p i r e
m i s è r e .
Que le gouvernement soit ma î t r e de
revenir sur sa p r em i è r e dé c i s i on pour
des raisons s e c r è t e s et politiques, c'est
entendu, mais de quel droit, se de-
mande-t-on,
le même
gouvernement
a-t-il confisqué une somme de quarante
mille roubles, qu'avec son autorisation
les Arméniens
du Caucase avaient ra–
massé en 1896 pour les émigrés et qui
reste jusqu'aujourd'hui
dans les co/fres-
forts du gouverneur
général,
prince
Galitzine ?
Pou r qui garde-t-on cet
argent? Pou r quo i , à p r é s e n t du moins,
quand les émi g r é s s'en vont, sans
aucune ressource, sans v ê t eme n t s ,
vers un avenir plein d'horreur et d ' i n –
connu, le gouvernement ne veut-il pas
leur rendre la somme de quarante
mille roubles, qu i appartient à ces pau–
vres gens en propre, ayant été ramas–
sée s p é c i a l eme n t pour eux? On en
parle, mais le prince Galitzine fait le
sourd.
Quelques milliers d ' émi g r é s , actuelle–
ment, sont g r o u p é s à Ka r s en attendant
leurs autres camarades. De là ils vont
se diriger vers la f r on t i è r e . On ne sait
pas encore si le gouvernement turc
leur permettra de p é n é t r e r dans l ' A r –
mé n i e , mais ils sont d é c i d é s à avancer
à tout prix, et même , le cas é c h é a n t ,
à se jeter sur les b a ï o n n e t t e s turques,
pour en finir une fois pour toutes.
Avan t de quitter Tiflis, ils p r é s e n t è –
rent au consul f r anç a i s une pétition
dans laquelle ils disaient à peu p r è s ce
qui s u i t : « F o r c é s par les circonstances
douloureuses, nous devons quitter la
Russie et nous marchons vers notre
pays, vers l ' Armé n i e turque. V
u
l ' i n –
certitude de ce qui nous attend l à -
bas, nous nous mettons sous l a pro–
tection de la Ré p u b l i q u e F r a n ç a i s e , la
seule réelle protectrice des c h r é t i e n s
de Turqu i e , le seul É t a t g é n é r e u x , qu i
dans ses aspirations ne soit pas a n i mé
par l'esprit mercantile et mesquin. »
Je ne sais pas, cher ami , si M . le
consul de France à Tiflis a t r ouv é
utile de faire part à M . De l c a s s é de
cette p é t i t i on , mais les A rmé n i e n s du
Caucase sont convaincus que, g r â c e à
Fonds A.R.A.M