te défendons de tuer. » Et Hamid-
        
        
          effendi obéira.
        
        
          Qu'on ne parle pas de guerre euro–
        
        
          péenne possible, de contre-interven–
        
        
          tion en faveur du Sultan Rouge : ce
        
        
          serait là un effronté mensonge, une
        
        
          ignominieuse excuse du crime com–
        
        
          mis par faiblesse. Aucun souverain en
        
        
          Europe, autocrate comme le Tsar,
        
        
          Kaiser comme Guillaume II n'osera
        
        
          dire ouvertement : « Je prends parti
        
        
          pour l'Assassin ; je ne veux pas qu'on
        
        
          arrête sur sa route ce chemineau san–
        
        
          glant ; j'entends qu'il lui soit donné
        
        
          licence de se saouler une fois encore
        
        
          de carnage. »
        
        
          Que quelqu'un lève le petit doigt ;
        
        
          la Bête Rouge làcbera docilement la
        
        
          proie saisie. Et si nul ne fait ce geste,
        
        
          c'est qu ' à défaut de gens de cœu r , i l
        
        
          ne se trouve à la tête des peuples,
        
        
          personne d'assez intelligent pour com–
        
        
          prendre qu'il serait aisé de devenir
        
        
          grand homme à bas prix et par une
        
        
          rare fortune de se couvrir de gloire
        
        
          en empêchant de verser du sang au
        
        
          lieu d'en ordonner l'effusion.
        
        
          
            PIERRE QUILLARD.
          
        
        
          
            •
          
        
        
          
            •
          
        
        
          
            LES É T A T S - UN I S
          
        
        
          
            E T L E S A R M É N I E N S
          
        
        
          L ' on sait qu'à la suite des massacres
        
        
          de 1895, un grand nombre d'Armé–
        
        
          niens se sont réfugiés aux Etats-Unis.
        
        
          Ils viennent de tenir à Boston leur
        
        
          congrès annuel.
        
        
          Environ 21 sections de la Fédération
        
        
          révolutionnaire a rmén i enne étaient re–
        
        
          présentées par 43 délégués à ce con–
        
        
          grès présidé par Alexandre Vraniian.
        
        
          Les Arméniens des Etats-Unis ont
        
        
          saisi cette occasion pour adresser au
        
        
          président Mac Kinley une lettre dans
        
        
          laquelle ils demandent au gouverne–
        
        
          ment américain de considérer la situa–
        
        
          tion lamentable du peuple a rmén i en .
        
        
          Si, déclarent-ils, aucune des puis–
        
        
          sances civilisées ne vient au secours
        
        
          des Arméniens, ce peuple qui pendant
        
        
          des siècles a été en Asie Mineure le
        
        
          champion de la civilisation, sera com–
        
        
          plètement exterminé... Nos pères et
        
        
          nos frères ont sacrifié par milliers leur
        
        
          existence pour la cause de la liberté,
        
        
          nous sommes prêts à en faire autant,
        
        
          mais ne pouvons-nous espérer dans
        
        
          cette lutte tragique aucun aide de la
        
        
          grande république qui n'a gagné sa
        
        
          propre indépendance que par une révo–
        
        
          lution et qui est l'héritière des Was–
        
        
          hington et des Lincoln !... »
        
        
          Il est certain qu'alors que l'impéria–
        
        
          lisme menace d'entraîner la grande
        
        
          république américaine dans les pires
        
        
          aventures, loin de toutes ses traditions,
        
        
          i l s'offre à elle une occasion certaine
        
        
          d'intervenir de la façon la plus glo–
        
        
          rieuse et la plus désintéressée en
        
        
          Orient. Déjà l'année dernière, alors
        
        
          que le bandit couronné de Yldiz-
        
        
          Kioskrefusait de payer l'indemnité due
        
        
          à certaines de ses victimes, naturalisées
        
        
          américaines, i l y fut contraint par les
        
        
          Etats-Unis dont l'action prompte et
        
        
          énergique à cette occasion produisit
        
        
          plus d'effet que toutes les tergiversa-
        
        
          lions diplomatiques de l'Europe. L'en–
        
        
          voi d'un croiseur américain à Smyrne
        
        
          mit immédiatement à la raison la Bête
        
        
          Rouge, dont la lâcheté égale la féro–
        
        
          cité.
        
        
          L a grande république américaine
        
        
          peut intervenir là-bas sans être soup–
        
        
          çonnée de buts intéressés. L'Europe
        
        
          pour laquelle une telle intervention
        
        
          serait une leçon aussi humiliante que
        
        
          significative serait, au fond, dans l ' im–
        
        
          possibilité de s'y opposer.
        
        
          
            JEAN LONGUET .
          
        
        
          L E T T R E S
        
        
          DE GONSTANTINOPLE, BATOUM, DIARBÉKIR
        
        
          ET TCHERDEK
        
        
          
            LETTRE DE CONSTANTINOPLE
          
        
        
          16/2:)
        
        
          D é c e m b r e 1900.
        
        
          Je m'empresse de vous communiquer
        
        
          les faits suivants pour P/'o
        
        
          
            Armenia.
          
        
        
          i° L'évêque Papken, vicaire à Mouch,
        
        
          qu'on a emprisonne i l y a quelques se–
        
        
          maines, a été amené à Erzeroum le 7
        
        
          
            /20
          
        
        
          du mois courant, sous la surveillance de
        
        
          la police. Ap r è s l u i avoir fait passer une
        
        
          nuit dans l'une des chambres du bâtiment
        
        
          du gouvernement, on l u i a tait prendre le
        
        
          chemin de Trébizonde le lendemain ma–
        
        
          tin, sans le faire passer à l a maison épis-
        
        
          copale.
        
        
          O n ne sait au juste le mobile de cette
        
        
          arrestation : i l y a deux suppositions prin–
        
        
          cipales :
        
        
          
            a)
          
        
        
          que le gouvernement avait
        
        
          voulu l u i faire signer une circulaire ou un
        
        
          télégramme déclarant qu'un calme parfait
        
        
          règne à Mouch, et qu'il avait refusé de
        
        
          signer :
        
        
          
            b)
          
        
        
          que l'écrit qui perce le cœur
        
        
          adressé par l u i au Patriarcat concernant
        
        
          la crise de Mouch avait été communiqué
        
        
          au gouvernement par l ' un des membres
        
        
          de l'assemblée.
        
        
          
            2
          
        
        
          
            0
          
        
        
          Le peuple a rmé n i e n habitant la plaine
        
        
          et les campagnes de Ba ï bou r d vient en
        
        
          groupe à Trébizonde, car les collecteurs
        
        
          d'impôts n'ont laissé n i pain, n i bête, n i
        
        
          lit. Les rues de Trébizonde sont pleines
        
        
          de vieillards, d'enfants en bas âge, de
        
        
          jeunes hommes et de femmes. L'homme
        
        
          aisé d'hier mendie aujourd'hui : i l tend
        
        
          sa main pour un morceau de pain ; ils
        
        
          arrivent principalement des campagnes
        
        
          de Soussounk. Metz-Pclour, N i v , Pelrak,
        
        
          Kissanta, Balaghote. Varazan, etc.
        
        
          Personne n'est en état de porter une
        
        
          attention sérieuse sur eux. car c'est à
        
        
          peine que les ï r é b i z on i o t e s massacrés et
        
        
          pillés arrivent à se procurer leur pain,
        
        
          mais ils ne renvoient pas les mains vides
        
        
          l'émigré qui vient frapper à leur porte, ils
        
        
          donnent au moins un morceau de pain ;
        
        
          n é a nmo i n s leur état est pitoyable.
        
        
          3
        
        
          ° I l est expressément défendu d'aller à
        
        
          l'étranger, on permet seulement, avec de
        
        
          grandes difficultés, à quelques-uns et à
        
        
          titre d'exception, d'aller en Roumanie
        
        
          d'où i l est possible de passer ailleurs.
        
        
          L a Roumanie, qui le lendemain des
        
        
          massacres a r envoyé , sans conscience,
        
        
          tous ceux qui s'y réfugiaient, frappés
        
        
          d'épouvante, accueille aujourd'hui les A r –
        
        
          méniens ; quelle énigme est ceci '?
        
        
          
            4
          
        
        
          
            °
          
        
        
          L a campagne de Tchanakdji, à une
        
        
          distance de six heures de K i g h i n , était
        
        
          soi-disant habitée par des Turcs i l y a
        
        
          
            2
          
        
        
          à 3oo ans. Les Turcs ayant soi-disant
        
        
          émigré ailleurs, les Armé n i e n s viennent
        
        
          s'y établir. Aujourd'hui, profitant de l a
        
        
          situation étroite des Armé n i e n s , les Turcs
        
        
          s'adressant au gouvernement veulent dé–
        
        
          molir les
        
        
          
            40
          
        
        
          à 5o maisons de la campagne
        
        
          qui sont soi-disant construites sur le cime–
        
        
          tière turc. Le vicaire de K i g h i s'adressant
        
        
          au tribunal, grâce à l a bienveillance du
        
        
          juge, et surtout grâce à l'hostilité r é gn a n t
        
        
          entre ce dernier et le Ka ïma k am du lieu,
        
        
          obtient un arrêt favorable aux Armén i en s .
        
        
          Sur cela le Kainiakam est furieux, et l'af–
        
        
          faire est arrivée à tel point que le prêtre
        
        
          Yahriage, vicaire du lieu, désespéré, s'en
        
        
          va à Erzeroum pour trouver le gouver–
        
        
          neur et l u i exposer l'affaire. Mais le gou–
        
        
          verneur ne reçoit pas même le vicaire en
        
        
          sa présence, et celui-ci désespéré part
        
        
          d'Erzeroum pour Constantinople.
        
        
          L a lettre ci-dessus a été écrite de
        
        
          Constantinople par un voyageur venant
        
        
          de Trébizonde. Il faut rappeler, pour
        
        
          Fonds A.R.A.M