mé n i e n s est déplorable. A chaque instant,
l'épouvante et la terreur des massacres, des'
assassinats s'emparent des habitants. Le
fanatisme musulman est arrivé à tel point
dans cette malheureuse ville que les hab i –
tants envient les temps des janissaires. Les
Turcs, les plus farouches, les plus fanati–
ques se sont o r g a n i s é s en bandes de janis–
saires. Ils ont sous leurs ordres et sous leur
protection de misérables turcs, les plus bar–
bares et les plus fanatiques qui pillent et
maltraitent déjà la population et commettent
des assassinats. Le gouvernement les pousse
et les encourage en secret. Il les autorise à
faire tout, mais habilement, et même , s'ils
commettent des assassinats, à les commettre
en l'absence de témoins oculaires. Ces nou–
veaux janissaires n'hésitent pas à commettre
des atrocités ouvertement. D'abord le gou–
vernement les appuie, et ensuite si les
t émo i n s oculaires des crimes commis sont
des Turcs, i l est impossible qu'ils t émo i –
gnent contre les Turcs, et si les t émo i n s
oculaires sont des A rmé n i e n s , ils sont obli–
gés de nier tout ce qu'ils voient de leurs
propres yeux, de peur d'être victimes d'une
vengeance.
Tournons nos yeux vers une autre ville,
vers Césarée. Cette ville qui, lors de l'événe–
ment de 1895 1896, avait bu à son tour à la
coupe arnère, depuis ces tristes j o u r n é e s ,
jouissait relativement d'un peu de tranquil–
lité. Voilà que maintenant l'horizon recom–
mence à s'obscurcir. Bien que six ou sept
ans soient écoulés depuis les tristes jours
d'épouvante, les habitants de Césarée ne
peuvent pas oublier la conversation tenue
par les Musulmans, peu après l'événement,
conversation dont les habitants de Césarée
seuls peuvent saisir le sens : «
Olan Mehmed,
baklavanin ghigidjighini iédik, ortassi kaldi »,
c'est-à-dire «
Mehmed, nous avons pu manger
seulement les bords du gâteau, le milieu est
resté ».
Par ces paroles, les Ma h omé t a n s expri–
maient leur regret de ce qu'ils avaient pu tuer
seulement 7 à 800 ghiaours, au lieu d'en mas–
sacrer quelques milliers, ou bien d ' a n é a n t i r
c omp l è t eme n t l'élément mâle a rmé n i e n , et
de s'emparer de toutes les femmes a rmé n i e n –
nes. Ils exprimaient leur regret de ce qu'ils
avaient pu piller seulement les marchandises
dans les ma r c h é s , et une partie des maisons,
alors que la plus grande partie des richesses
se trouvait dans les maisons. Ils exprimaient
aussi leur regret de ce qu'ils avaient pu enle–
ver seulement 50 à 60 jeunes filles innocentes,
au lieu d'avoir dans leurs harems toutes les
jeunes filles a r mé n i e n n e s et les plus belles
femmes. Et enfin ils regrettaient que toutes
les férocités commises n'eussent pas satis–
fait leurs a p p é t i t s de bêtes féroces. Depuis,
des a n n é e s se sont écoulées, et tous lesjours
ils attendent, impalie; riment et les yeux
fixés, le jour bienheureux pour pouvoir,
«
au nom d'Allah et du très glorieux pro–
phète », manger aussi le milieu du gâteau.
Vo i c i des renseignements authentiques qui
sont extraits des nouvelles parvenues à des
particuliers.
Il y a environ quelques semaines, des
vauriens turcs, pour assouvir leurs passions
brutales, enlèvent par force un jeune homme
de 15 à 16 ans, dont l'unique faute était d'être
doué, par la nature, d'une certaine b e a u t é
physique. U n des parents du g a r ç o n ,
K. Kountakjian, qui est un des notables de la
ville, fait des d éma r c h e s auprès du gouverne–
ment pour sauver le malheureux enfant des
griffes des bêtes féroces. Le gouvernement,
fidèle à la bienveillance envers les Musulmans,
ou bien, qui sait, fidèle à ses promesses, ne met
aucun empressement pourune e n q u ê t e , afin
que les fils du p r o p h è t e jouissent à leur
g o û t des bienfaits de la nature. On fait d é –
marche sur d éma r c h e et à la fin, au bout de
six jours, l'enfant est remis à ses parents
dans un état indescriptible. Les Musulmans
sont furieux contre Kountakdjian, qui trou–
bla leur jouissance paisible, et ils veulent
tirer vengeance. Sa fille, qui est ma r i é e de–
puis six mois avec A . Barontdjian, s'en allait
avec quelques parentes au bain, quand elle
fut enlevée en plein jour par les bêtes féro–
ces, à quelques pas de sa maison. Ces
bandits turcs menacent, avec leur épée, de
tuer celui qui oserait approcher, et la
malheureuse jeune mariée fut emp o r t é e pat'
les Turcs, au milieu des cris de ses compa–
gnes. Le père infortuné s'adresse de nou–
veau au gouvernement, mais comme tou–
jours, on ne met aucun empressement pour
a r r ê t e r les coupables, et ce n'est qu'au bout
de quatre jours que la jeune ma r i é e est
sauvée des mains des b ê t e s farouches.
P. S.
—
Nous apprenons, au dernier mo –
ment, d'une source authentique, que la
semaine passée, des soldats ont été envoyés
secrètement de Marach, Zeitoun et Hadjin,
dans les villages de Boutouk et Chiviltz,
pour trouver des soi-disant r é v o l u t i o n n a i r e s .
De nombreuses perquisitions, des emprison–
nements ont eu lieu. Le gouvernement a
distribué des armes, des balles et de la pou–
dre, dans tous les villages turcs des envi–
rons de Zeitoun. Des conversations my s t é –
rieuses à voix basse se font entendre parmi
les Turcs; ce n'est pas là, en tout cas, un
boit signe pour les A rmé n i e n s .
A u moment même où je fermais ma cor–
respondance, j'apprends le fait suivant
d'une source authentique. Je vous ai r a c o n t é
plus haut l'enlèvement d'un g a r ç o n a r m é –
nien, à Césarée, par des vauriens turcs. Le
gouvernement turc arrête quelques-uns des
coupables et les emprisonne. A u moment de
l'interrogatoire, les Turcs nient les mau–
vais traitements qu'ils avaient fait subir au
garçon ; on croit nécessaire, par c o n s é –
quent, un examen médical, et faire un rap–
port sur le résultat. Les mé d e c i n s de l'en–
droit, la plupart des A rmé n i e n s , n'osent pas
faire un rapport. Mais i l s'est trouvé un
médecin, aimé par le peuple, noble et hono–
rable, le docteur Nahabed effendi Tabibian,
qui ne peut fermer les yeux devant une
vérité absolue et évidente et fait un rapport
comme quoi le malheureux garçon avait été
atrocement violenté. Savez-vous, pouvez-
vous vous l'imaginer seulement, ô h uma n i t é
civilisée, quel fut le résultat du rapport basé
sur une vérité frappante, le malheureux
docteur, â g é de 50 à 55 ans, fut à son tour
enlevé par les bandits turcs e t . . . A quoi
bon en parler, puisqu'il ne se trouvera pas
un seul médecin qui ait le courage de té–
moigner du si terrible affront fait à un
vieux collègue, et de p r é p a r e r un rapport au
sujet du crime horrible auquel i l a été sou–
mis. Voilà le vulgaire turc, voilà le gouver–
nement turc. C'est à vous, à votre cons–
cience, à vos sentiments humains que nous
nous adressons, ô mé d e c i n s du monde civi–
lisé; tournez un instant les yeux vers le
monde-enfer, qui s'appelle la Turquie, et
voyez de quel abominable crime devient
victime un de vos honorables vieux collègues.
Nous nous adressons à vous, dames et
demoiselles des pays de l i b e r t é ; ayez pitié
de vos s œu r s a rmé n i e n n e s , ayez pitié de ces
vierges d é s h o n o r é e s par des barbares; nous
nous adressons à vous, Huma n i t é entière,
cette tache de la civilisation ne doit plus
souiller l'histoire du siècle ; c'est la honte,
c'est l'infamie d é s o rma i s !
L E T T R E D E
G U I R A S S O N
4
Mai
I
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H)±
Pour des motifs qui nous sont inconnus
(
quelques-uns disent que c'est pour des
papiers dangereux), un jeune homme de
Chabin-Karahissar, n o mm é Karékine Hola-
nian, commissionnaire, fut arrêté, i l y a
deux ou trois ans ; d'autres arrestations
eurent lieu soit ici soit dans d'autres endroits,
en tout vingt-six arrestations. Les Armé–
niens a r r ê t é s sont envoyés à Amassia, i l y a
assez longtemps, excepté K . Holanian; au
nombre des arrêtés se trouvent trois profes–
seurs du collège Anatolia, de Marzaouan,
qui ont été remis en liberté, les autres sont
encore emp r i s o n n é s . On espérait, à l'occa–
sion de la fête de P â q u e s , qu'une amnistie
générale serait o r d o n n é e , mais i l n'en fut
rien. Holanian attend encore i c i , nous
n'avons aucun renseignement s u r l u i .
Les A r mé n i e n s ont eu l'épouvante d'un
nouveau massacre, i l y a un mois. On disait
que le peuple turc attendait tous les jours
l'occasion pour faire un massacre. Quelques
Turcs avaient avoué leurs intentions à des
amis grecs, et même ils leur avaient dit
qu'ils n ' é p a r g n e r a i e n t même pas les enfants ;
on a dit aussi que le gouvernement en serait
averti et aurait emp r i s o n n é quelques chefs
et aurait pris ainsi les devants d'un mas–
sacre inévitable.
Nous ne savons pas à quel point ces nou–
velles sont authentiques, mais nous ne
croyons pas que les bruits de telles nou–
velles qui ont inspiré une telle terreur réelle
au peuple, soient d é n u é e s de tout fonde–
ment.
On avait distribué des armes perfection nées
aux paysans turcs ; les chefs de massacres
qui ont été emp r i s o n n é s étaient di s contre–
bandiers d'a'*mes ; ils ont avoué qu'ils
agissaient de la sorte pour être p r ê t s à la
volonté du sultan. Un rapport a été dressé
par le gouvernement et c ommu n i q u é à l'au–
torité centrale ; ordre a été d o n n é de
ramasser les armes et de châth r les insou–
mis. Mais i l n'est pas facile de reprendre les
armes aux paysans; jusqu'aujourd'hui on a
pu trouver à peine 10 à 15 armes.
De r n i è r eme n t , i l fut absolument interdit
Fonds A.R.A.M