moyen si peu conforme au protocole
fut approuvé à Vunanimité
».
L a d é p ê c h e
se terminait ainsi :
«
En présence
de faits
semblables,
les représentants
des grandes
puis–
sances s'adressent, au nom de leurs
gouvernements,
directement
à la per–
sonne de Votre Majesté, comme chef de
l'État, pour lui demander de donner
instamment, sans délai, des ordres pré–
cis et catégoriques,
propres à mettre
fin immédiatement
à cet état de choses
inouï qui est de nature à amener les
conséquences
les plus désastreuses
pour
son Empire
(1) ».
Le baron Ma r s h a l l de Biberstein,
alors ministre des affaires é t r a n g è r e s ,
avait d o n n é en novembre 1895 au baron
Saurma l'ordre de parler durement au
Sultan et i l ne p a r a î t pas qu ' i l ait
jamais b l âmé son s u b o r d o n n é d'avoir
c o n t r e s i g n é le t é l é g r amme du 28 aoû t
1896. 11
est maintenant ambassadeur à
Constantinople : i l n'aura point de
peine à traduire en claires formules les
instructions qui l u i seraient e n v o y é e s
de Berlin.
E t le j ou r où Ab d - u l - Ham i d cesse–
rait de se savoir ou de se croire pro–
tégé indéfiniment par l'empereur d ' Al l e –
magne, les autres puissances euro–
pé enne s qui peuvent d'ailleurs agir par
e l l e s -même s , ne sauraient plus donner
comme p r é t e x t e et comme excuse à
leur inertie l'attitude du gouvernement
allemand.
Pierre
O U I L L A B D .
LETTRES
de GUIRASSON, de TRÉBIZONDE et de SIGHKRTE
L E T T R E D E
M E R S I N E
a
S
Mai
igo2.
Il semble qu'avec le printemps les atro–
cités turques augmentent de plus en plus.
Les tristes nouvelles nous arrivent, par sé–
ries, de tous côtés.
Nous commencerons par
Adana.
Il y a un
mois, Garabed Djérédjian, "natif d'Adana,
colporteur, se rend à Misis pour des affaires
commerciales. Il se dirige vers un champ, à
un quart d'heure de Misis, pour y faire paître
son cheval; i l y laisse l'animal en liberté et
lui-même va prendre place un peu plus loin.
Deux cavaliers arrivent et s'emparent du
cheval comme de leur propre bien. Garabed
(1)
Cf. Livre Jaune de 1897,
Affaires
Arméniennes.
N»* 146, 154 et Annexe I au 154.
leur cric : « Où menez-vous mon cheval », et
il court en même temps vers les bêtes féro–
ces. «
Khinzir ghinour, chouna bak, nassil
baghirior »,
c'est-à-dire «
Ghiaour le cochon,
regardez-le comme il crie »,
disent-ils, et par
un coup de revolver ils le blessent griève–
ment, et s'éloignent avec le cheval, après avoir
laissé Garabed b a i g n é dans une mare de
sang. Quelques voyageurs l'ayant vu dans
cet état se rendent à Misis et en informent
le gouvernement qui ne fait aucune e n q u ê t e
pour trouver les assassins. Garabed est
transféré à Adana dans un état alarmant et
il meurt dans la nuit.
Sis.
—
Les imp ô t s sont p e r ç u s sévère–
ment;
une marchandise valant mille piastres
est vendue pour cinquante, afin de percevoir
les impôts.
Le gouvernement mit aux e n c h è –
res le vignoble d'un A rmé n i e n , n o mm é
Ismirli-oghlou, valant 5,000 piastres, pour
une dette de 300 piastres.
H A D J I N .
—
L'insolence du Ka ï ma k am n'a
plus de bornes; cet homme effronté est un
fléau pour les habitants de Hadjin par ses
méfaits. II a c omme n c é à p e r s é c u t e r les r i –
chards a rmé n i e n s qui sont bien embarras–
sés, les malheureux, et ne savent que faire ;
ce sont toujours de fausses accusations con–
tre eux, toujours de nouvelles p e r s é c u t i o n s ;
la famille Ré d j é b i a n ' s u r t o u t est soumise aux
plus grandes vexations. Rédjébian est un
des notables de Hadjin; i l a trois fils qui
habitent actuellement Mersine, l'un mé d e –
cin et les autres pharmaciens. Le docteur
Rédjébian est parti pour Paris, pendant
l'Exposition, et de là pour l ' Amé r i q u e ; à son
retour, i l avait r ame n é ses frères qui ap–
prenaient la pharmacie en Amé r i q u e . A leur
arrivée à Mersine, sur le rapport de l'inso–
lent Ka ï ma k am de Hadjin, le gouvernement
emprisonna les frères Rédjébian et ils ne
furent remis en liberté que deux ou trois
mois plus tard, à condition de quitter
Mersine. Mais le Ka ï ma k am de
Hadjin
continua toujours ses fausses accusations
contre la famille Ré d j é b i a n ; le gouverne–
ment fit venir ces jours-ci de Hadjin Rédjé–
bian père et l u i fit savoir qu'il doit rester à
Adana et ne pourra pas se rendre ailleurs
sans l'autorisation du gouvernement. Quant
aux frères Rédjébian, le gouvernement a de
nouveau o r d o n n é au docteur de ne point
s'éloigner de Mersine, car auparavant, i l
lui était permis quelquefois d'aller exercer
son mé t i e r aux environs. On fit savoir de
même aux pharmaciens qu'ils doivent re–
tourner en Amé r i q u e et ne point rester en
Turquie. C'est un grand malheur pour cette
pauvre famille.
Les viols, les e n l è v eme n t s surtout, commis
par ce monstre, le Ka ï ma k am , révoltent la
conscience humaine. Nous ne savons pas
comment les habitants de Hadjin peuvent
tolérer ces férocités.
On nous raconte que le Ka ï ma k am fait
venir par force tous les jours des nouvelles
ma r i é e s et des vierges pour assouvir sur
elles ses passions brutales. Le Ka ï ma k am
avait, paraît-il, un domestique a r mé n i e n qui
se marie ; la p r em i è r e nuit de noces, c'est le
Ka ï ma k am qui joue le rôle de mari. Il sur–
passe, par ses vexations, tous ses collègues.
Il fait percevoir les i mp ô t s si s é v è r eme n t
qu'environ deux mille immeubles sont vendus
depuis qu'il est en fonction. Une marchan–
dise de cent piastres est vendue pour dix
piastres. Vous pouvez alors vous faire une
idée sur la misère de la population de
Hadjin.
Le gouvernement ne permet pas que les
A r mé n i e n s de Kharpout, de Diarbékir, a i l –
lent dans d'autres endroits pour travailler.
Les habitants de Kharpout venaient tous
les ans à Adana pour travailler; ils ne pu–
rent pas venir cette année-ci, excepté quel–
ques-uns qui arrivèrent avec les Kurdes. L e
gouvernement voulait é g a l eme n t faire la
même défense aux habitants de Zeitoun, de
Fernouz, de Gaban, mais i l ne put y réussir.
Les Zeitouniotes sont arrivés en assez
grand nombre à Adana pour travailler.
Voilà, telle est la situation des environs;
les nouvelles qui arrivent de l'intérieur du
pays sont aussi ou m ê m e plus alarmantes;
d'après les renseignements authentiques que
nous recevons de Diarbékir, l'état général y
est aussi déplorable. De r n i è r eme n t , deux
A r mé n i e n s y sont tués, dont l'un, Tc h é k e r -
gné Ohannès, courtier, est trouvé assassiné,
au milieu des ruines des fortifications de la
ville; l'autre, Migirditch Dé r o u n i a n , un
jeune homme de vingt-quatre ans, fils u n i –
que d'une veuve, assassiné dans les cir–
constances navrantes que voici :
Le susdit malheureux jeune homme et
deux camarades s'en allaient au village de
Haïéjik, qui est situé à une heure de la ville,
vers le nord ; ils furent a t t a q u é s sur leur
chemin, près d'un village, turc, par cinq
Turcs a rmé s . Les jeunes gens, stupéfaits,
veulent s'enfuir; l'un d'eux se réfugie dans
une maison voisine, l'autre disparaît sous
les arbres touffus des jardins,, et le troi–
sième, le malheureux Dé r o u n i a n , qui était
un jeune homme assez brave, veut leur r é –
sister. On ne sait pas combien de temps la
lutte a d u r é ; les cinq Turcs tuent le jeune
homme à coups d'épée et jettent le cadavre
dans le fleuve, le Tigre, qui coule à l'est du
village. Le lendemain, les camarades de la
victime rentrent en ville et informent la
mè r e de tout ce qui s'était passé ; la pauvre
femme fait des d éma r c h e s a u p r è s du vali.
Celui-ci envoie trente cavaliers au lieu du
crime ; dix-huit Kurdes sont a r r ê t é s , mais
on ne retrouve pas le cadavre de la victime.
De nouvelles d éma r c h e s furent faites a u p r è s
du vali, qui donne des ordres sévères au
commandant pour retrouver sans faute le
cadavre de la victime. On retrouva, sur le
lieu du crime, les chaussettes, la ceinture et
les chaussures de la victime ; on conclut de
là que le cadavre avait été jeté au fleuve ; sur
l'ordre du vali, des hommes furent envoyés
pour retrouver le cadavre ; ils le r e t r o u v è –
rent, en effet, devant le village turc R i s m i l ;
ils
r é u s s i r e n t à r e p ê c h e r le cadavre, les
pieds, les mains liés derrière, et t r a n s p e r c é
de plusieurs coups d'épée.
Les nouvelles qui arrivent d'Ourfa sont
aussi très é c œu r a n t e s ; dans cette ville de
souffrances, digne d'être intitulée « cime–
tière d'êtres vivants », la situation des A r -
Fonds A.R.A.M