Variétés
A L A M É M O I R E D E T I G R A N E Y E R G A T E
(
G A R A B E D B E Y B I L É Z I K D J I )
L a revue a rmé n i e n n e
Puriig
(
Phénix)
paraissant à Alexandrie d ' Egyp t e ,
publie depuis quelque temps la
vie
du
jeune h é r o s frappé p r éma t u r éme n t par
la mort, le l '
1
'
d é c emb r e 1899, alors
que sa malheureuse nation fondait sur
lui de grands espoirs pour les desti–
n é e s de la mè r e - p a t r i e .
Cet é c r i t est d û à la plume de M .
S. Burat, po è t e et publiciste, originaire
de Zeitoun (Cilicie) e l fondateur du
Punig.
Une p o é s i e et un prologue
qui disent le génie qu ' é t a i t Tigrane
Yergate p r é c è d e n t la biographie où
M . S . Bu r a t retrace l'enfance de
Garabed bey Bilézikdji, sa vie scolaire
à l'école d Ar c u e i l (Seine), ses brillants
d é b u t s littéraires dans les grands j ou r –
naux parisiens, ses souffrances, son
retour à Constantinople, son amour
pour la nation. M . S. Burat parle
ensuite du rôle politique de Tigrane
Yergate dont voici un court r é s umé :
L e but visé par Garabed bey en
collaborant au j ourna l a rmé n i e n //<///-
renik
qui était pub l i é à Constantinople
fut de donner à l'instruction nationale
une direction solide b a s é e sur les
t h é o r i e s les plus modernes, alin de
permettre aux A rmé n i e n s de faire de
leurs enfants des hommes libres, ins–
truits et r é s o l u s à lutter pour la dé l i –
vrance de la nation. Il c o n ç u t en m ê m e
temps le dessein de conspirer contre
le gouvernement despotique du sultan
et s'associa aux libéraux musulmans
qui d é s i r a i e n t relever de son esclavage
la Turquie trop soumise : il e s p é r a i t
qu'une è r e de réformes dans l'empire
ottoman permettrait aux A rmé n i e n s de
fortifier en silence les gorges et défilés
de l ' Armé n i e . Le s l i bé r aux comptaient
alors sur un de leurs r e p r é s e n t a n t s
a u t o r i s é s Ahme d Mi dha t effendi, jadis
s e c r é t a i r e et confident de l'infortuné
r é f o rma t e u r Midhat Pacha . Ga r abc J
bey fit c o n n a î t r e à l ' Eu r ope Ahme d
Midhat effendi qui est c on s i d é r é comme
le plus c é l èb r e des é c r i v a i n s turcs mo –
dernes, dans un article sur la l i t t é r a –
ture turque moderne, pub l i é dans la
Bévue des Bévues.
Pu i s , des rapports
aimables et affectueux s ' é t ab l i r en t en–
tre eux et Ahme d Midhat effendi faisait
toujours à son jeune ami le plus cor–
dial accueil dans son yali de Belcos, au
Bosphore. Les nouvelles des massa–
cres de l ' As i e Mineure mirent cepen–
dant lin aux projets de conspiration de
Garabed bey : i l comprit que l'heure
de l'action était venue et que tout vé –
ritable patriote devait servir la nation
a rmé n i e n n e en se vouant même à la
mort. Le s vues politiques d 'Ahmed
Midhat effendi s'étaient aussi modi–
fiées, mais dans un sens tout différent
et Garabed bey lui reprochait franche–
ment el courtoisement de s'être laissé
gagner par les marques de laveur qu'il
recevait d ' Abdu l Hami d , dont i l est
devenu un des plus zélés serviteurs.
Il appuya les deux c omi t é s Hen l chak
et Dr os chag avec sa plu me et l'ut en
quelque sorte l'intelligence de la r évo –
lution. 11 ne prit jamais part, cepen–
dant, à l'organisation des attentats
dans la capitale auxquels i l préférait
l'insurrection en C i l i c i e qu i l u i parais–
sait le seul moyen logique de défense.
Ma i s son patriotisme l u i commandait
de suivre et de servir — dans le p r é –
sent — le plan d'action choisi par la
classe militante de la nation, ce qu'il
fit avec une vo l on t é de fer que la mort
seule, h é l a s ! put briser... C'est à cette
é p o q u e qu'il prit le pseudonyme de
tigrane Yergate, voulant rappeler aux
A rmé n i e n s les souvenirs glorieux lais–
sés dans l'histoire par les deux plus
illustres monarques d ' A rmé n i e : A r -
chagouni Tigrane le Gr and et Pa c r a -
douni Ac h o d Yergate (ce dernier mot
signifie fer) — la vie dont r é p o n d a i t à
son idéal patriotique.
Peu de temps avant les terribles évé –
nements de Constantinople, le
Times
publia les manifestes r é v o l u t i o n n a i r e s
de tigrane Yergate qui a t t i r è r e n t l'at–
tention du monde politique sur la cause
a rmé n i e n n e . E t le 15 octobre 1896 —
un mois avant l'assaut de la Banque
Imp é r i a l e Ottomane — la
Bévue des
Bévues
donna le
Mouvement
littéraire
arménien,
où é c l a t e n t les p r é o c c u p a –
tions de l'auteur pour la mè r e - p a t r i e .
Cet article de 'tigrane Yergate fit le
tour du monde.
L e 26 a o û t 1896, Ma r d i r os Bilézikdji,
jeune frère de Tigrane Yergate l'ut sur–
pris dans son bureau à la Banque Ot–
tomane par l'attaque soudaine des F é –
d é r a l i s t e s du c omi t é Dr o s c l i ag . Ma i s ,
a n imé l u i -même par de solides senti–
ments patriotiques; i l se mit s p o n t a n é –
ment à la disposition des chefs et se
d é vou a a u p r è s des vaillants combat–
tants b l e s s é s .
En apprenant la reddition des F é d é –
ralistes, Tigrane Yergate ne cacha pas
sa vive douleur, m ê m e à sa mè r e :
((
Ils sont e n t r é s à la Banque comme
des h é r o s , s'écria-t-il, mais ils devaient
la faire sauter p l u t ô t que de l'abandon–
ner sans béné f i c e ; mon frère aurait
p é r i . . . qu'importe! l ' Armé n i e aurait été
h o n o r é e . . . » Dans une autre circons–
tance, i l avait d é c l a r é avec é n e r g i e
qu'il voulait qu'autour de l u i et dans
sa famille tout le monde fut patriote et
r é v o l u t i o n n a i r e . Ce fut l u i qu i écrivit
les lettres de menace aux ambassa–
deurs a c c r é d i t é s à Conslantinoplc et il
entendit l u i -même l'un d'eux, parler
dans le salon de sa mè r e , de ces « fa–
meuses lettres » éma n é e s des c omi t é s
a rmé n i e n s et qui causaient à l u i et à
ses c o l l è gu e s de si vives i n q u i é t u d e s
sur leur propre vie. Tigrane Yergate
é c ou t a i t silencieux, mesurant
avec
anxiélé la p o r t é e des paroles du r e p r é –
sentant de l'une des grandes puissan–
ces sur une telle question.
Le s h é c a t omb e s humaines qu'il vit
pendant plusieurs jours dans les fau–
bourgs et rues de Cons l an t i nop l c l u i
c a u s è r e n t une impression douloureuse,
mais i l ne se laissa pas intimider, au
contraire.
Il savait bien que la moindre déla–
tion le conduirait i mmé d i a t eme n t à la
pendaison : « S i on o p è r e mon arres–
tation maintenant, ma condamnation à
mort est imminente », avoua-t-il dans
un moment de grande anx i é t é et i l
poursuivit, n é a nmo i n s , en ces jours de
terreur et de d é s e s p o i r son fier et au–
dacieux jeu politique. On s'en fera une
juste idée en lisant le manifeste qu ' i l
adressait a p r è s la tuerie de 10,000
A r mé n i e n s , en date du 7 septembre
1896,
à M . Pa u l Cambon , ambassadeur
de France, et aux autres ambassadeurs
a c c r é d i t é s a u p r è s d e l à Sublime Porte.
Le Secrétaire-Gérant
:
J E A N
L O N G U E T .
L'Émaneipatrice
(
Imprimerie), Rue de P o n d i c h é r y , 3, Paris.
A . M A U M E , administ.-délégué.
Travail exécuté en -otïîtaar-.iite par des ouvriers syndiqué^
L
I R E
LES NOUVE L L E S I LLUSTREES
JOURNAL HEBDOMADAIRE D'ACTUALITÉS
P R I X
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N U M É R O I
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F R A N C E
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lEMESTS:
12
francs par an.
B U R E A U X :
42,
rue de la Victoire
P A R I S ( g ' )
Fonds A.R.A.M