aide aux A r m é n i e n s , dit M . Bernstein, c'est
de vaincre les préjugés q u i persistent ma l –
gré tout, surtout en •Allemagne, en ce qu i
concerne ces frères malheureux, et protes–
ter contre la froide indifférence des nations
e u r o p é e n n e s , qu i leur enlève toute espèce
de moyens de défense.
Lecture est d o n n é e d'une lettre de M . Cle–
menceau, retenu en France pour cause de
maladie et flétrissant la politique turque.
E n f i n , une lettre de l ' ém i n e n t juriste
M . V a n der V l u g t de Leyde au n om de la
ligue hollandaisede la Paix.
L ' a s s emb l é e aborde ensuite la r é s o l u t i o n
proposée par la C omm i s s i o n ; elle peut se
r é s ume r ainsi dans ses grandes lignes :
«
Le Congrès affirme que les réformes de–
mandées à l'égard de l'Arménie peuvent être
éalisées sans nuire à l'intégrité du territoire
ottoman. Rappelle que le texte de l'article6
1
du
traité de Berlin met le sultan dans l'obligation
de défendre les privilèges des Arméniens, et
l'engage à veiller à ce que les puissances signa–
taires de ce même traité le fassent respecter. »
M . J a u r è s , au n om du parti socialiste,
monte à la tribune.
Discours de M. Jaur è s
Mesdames, Messieurs,
Je me félicite que la question des Arméniens
soit enfin sorti de la période d'obscurité et d'in–
différence.
Au début, alors que la question était timide–
ment posée, MM . Denys-Cochin, de Mu n et
moi, nous nous émûmes du silence d'une
grande partie de la presse, alors que des atroci–
tés se commettaient en masse dans l'Asie-Mi–
neure. Cette presse, dépendante et servile se
taisait, parce que si elle avait dû examiner des
faits elle n'aurait pas osé plaider en faveur du
sultan. Quelques temps après nos démarches,
nous lisions dans le livre jaune consacré aux
troubles de Turquie une dépêche, la seule un
peu vigoureuse que notre ministère des Affaires
étrangères eut adressée à la Porte. Et c'est un fait
singulier de constater le temps énorme qui est
nécessaire pour rendre perceptible le cri des
indignations légitimes et de voir que les frag–
ments dispersés de l'humanité s'ignorent ainsi
les uns les autres jusqu'au jour où les nations
qui se croient civilisées parviennent après com–
bien d'efforts, à réunir ensemble les liens que
la brutalité des gouvernements avaient rompus.
Maintenant, l'Europe est dûment avertie, et
elle serait profondément scélérate si, après ces
avertissements, elle n'agissait pas.
Souvent, aussi, j'entends opposer la commi–
sération des peuples à la coupable inertie des
gouvernements. Ne sont-ce pas là comparaisons
trop flatteuses pour les peuples
(
Applaudisse–
ments).
Oui, les peuples qui, soi-disant, sont
émus par ces grands crimes internationaux, sont
aussi coupables que les gouvernements dans
leur indifférence, et par là même en deviennent
les complices.
Ici l'article
61
du traité de Berlin indique
clairement la légitimité de nos revendications.
Par lui, nous pouvons réaliser l'accord du droit
des nations et de la voix de la conscience hu–
maine. Ainsi, par lui, nous rappelons les gou–
vernements au respect de l'humanité et au
respect d'eux-mêmes.
Les réformes que nous venons demander
peuvent être réalisées sans porter atteinte au ter–
ritoire turc. J'entends que, non seulement, en ce
qui concerne l'Arménie mais pour toutes les
races opprimées, nous devons combattre et
vaincre sans guerre.
Il y a dans le monde des masses entières de
peuples qui ont été brutalement arrachés de
leur terre d'origine. C'est le Schleswig-Holstein,
c'est la Pologne sur laquelle par trois fois, trois
nations se sont acharnées comme des bêtes de
proie; c'est l'Alsace-Lorraine séparée de la
France par la guerre;
tous cespeuples ont droit
à une complète réparation ; nous y
arriverons
non par ta guerre,
mais par des réformes
in–
ternes que nous obtiendrons par l'action
collec–
tive de l'opinion
publique
sur les
gouverne–
ments
européens.
En ce qui concerne l'Arménie, notre voix
sera entendue. A l'heure qu'il est, il parait dif–
ficile de prouver que les cris déchirants qui
nous en viennent, ne sont que l'écho d'une
campagne de presse partie des bords de la Ta–
mise. Il est vrai de dire au contraire, que
Pégoïsme des nations est toujours en éveil et
que si l'ensemble des nations civilisées professe
une opinion unanime, c'est que le doute ne
peut plus planer sur la nature des revendica–
tions des Arméniens de Turquie.
Peu à peu les légendes se dissipent, les pré–
jugés s'atténuent. Pendant quelque temps le
parti socialiste allemand a été hésitant à l'endroit
des Arméniens. Il croyait que cette agitation
provenait du dehors. Il y voyait la main de la
Russie, car dans cette question comme dans
certaines de ces séances de spiritisme on
croyait en un certain moment voir des mains
flotter partout.
Les articles et les discours et la lettre de
Bernstein qu'on vient de lire dissipent main–
tenant toute équivoque. Les yeux du peuple
allemand se sont ouverts et nos frères les
socialistes doutre-Rhin ne seront pas les der–
niers à répondre à notre appel.
Quelle sera à l'égard de l'Arménie l'attitude
de la Russie ? J'ose le dire, elle dépend de celle
de la France; sans une intervention énergique
de ces deux nations, il n'y a pas d'alliance
franco-russe possible, puisqu'elle ne serait pas
basée sur la justice et sur les droits imprescrip–
tibles de l'humanité.
Je le répète, nous ne voulons pas de guerre,
car par elle nous donnerions l'essor à tous les
oiseaux de proie qui veillent au sein des grands
empires ; nous avons mieux qu'une guerre, nous
avons un texte diplomatique.
Je puis affirmer, sans chauvinisme, que j'es–
père beaucoup de la France, en provoquant
l'action collective de l'opinion publique euro–
péenne.
Elle va doubler les postes consulaires en Ar –
ménie, c'est un commencement; il ne faut pas
qu'elle s'arrête en chemin et elle doit aller plus
loin si elle ne veut pas déroger au code d'hon–
neur qui, depuis des siècles, la lie aux destinées
du monde ! »
L a salle éclate en applaudissements
enthousiastes et fait ovation à l'orateur qu i
descend de la tribune. M . F . de P r e s s e n s é
l'y succède et s'exprime ainsi :
Discours de M. de Pr e s s e n s é
Mesdames, Messieurs,
C'est spécialement sur le fond international
de la question qui nous rassemble aujourd'hui,
que je veux vous entretenir. La résolution que
nous venons de voter porte que nous prenons
acte de l'augmentation des consulats français et
russes en Arménie. Cette dernière mesure n'a
pas été spontanée, mais bien le résultat de dé–
marches de députés qui se sont rendus chez
M . Delcassé en appuyant leurs demandes sur ce
que les massacres de l'Asie-Mineure n'avaient
pas eu de témoins jusqu'à aujourd'hui. Le
Ministre a envoyé des agents consulaires et a
promis en outre, d'entourer les foyers des trou–
bles d'une ceinture de postes, qui surveilleront
la région volcanique et prendront les mesures
nécessaires pour arrêter les éruptions.
Nous de–
mandons que toutes les puissances
veuillent
bien prendre des mesures
analogues.
Les nations européennes avaient lié le Sultan
par des engagements précis au traité de Berlin.
Soudainement toutes les diplomaties ont cessé
de veiller à son exécution. On a alors demandé
les raisons de ce retour en arrière. 11 a été
répondu qu'en face des divergences de vues
qui s'étaient établies entre les divers gouverne–
ments, il fallait se contenter d'un minimum
d'action ; on s'est contenté de palliatifs, de me–
sures partielles; on a fait de la philanthropie et
non de la diplomatie. Il faut reprendre une action
efficace.
Nous avons pu dire à M . le ministre Delcassé :
«
Les puissances ont fait quelque chose de singu–
lièrement étrange. Elles ont subitement aban–
donné le terrain juridique du traité de Berlin.
Il est trop facile au Sultan de se dire : Puisqu'on
n'exige aucune des garanties que je me suis
engagé à fournir, il ne m'appartient pas à moi
d'en provoquer l'exécution. »
Le Sultan, on le sait du reste, ne comprend
que quand on revendique fermement des dettes
matérielles ou morales, et lorsque le paiement
en est forcé par des cuirassés d'escadre, dans ce
cas, il obéit. Mais les simples remontrances sur
l'humanité et la liberté, ne sont pour lui que des
mots qu'il ne comprend pas, il faut agir.
On a formulé contre nous certaines objections
qu'il faut repousser. On nous dit facilement :
Vous êtes pavés de bonnes intentions, mais
soyez pratiques et n'exigez pas autre chose que
l'envoi de nouveaux consuls supplémentaires,
il vous est impossible de désirer voir se réaliser
autre chose, tih ! bien, nous entendons faire
exécuter le traité de Berlin, etobteniren Arménie
une réforme d'ensemble, grâce à ce titre juri–
dique qui est entre nos mains. Autre objection
spécieuse : il est impossible de s'appuyer sur le
concert européen puisque vous voyez que l'en–
tente n'y existe pas et qu'il barbote dans un
inextricable marécage.
11
est vrai que pendant la dernière guerre
turco-grecque de
1896,
le concert européen a
échoué; il est vrai que l'empire d'Allemagne et
l'empire d'Autriche ont gardé dans cette affaire
Fonds A.R.A.M