LETTRES & DÉPÊCHES
de MM. d'Estournelles
de
Constant,
H. de Vialar, Georges
Clemenceau,
Gabriel Séailles, James Bryce, Ste–
venson, Malcolm Mac Coll, Gotfroid
Kurth, E. Bernstein, Lardy, Denys
Cochin, Albert de Mun, etc.
L E T T R E D E M . D ' E S T O U R N E L L E S
D E
C O N S T A N T .
Paris, le 16 juillet
igo2.
Cher Monsieur,
L'aggravation de la maladie de mon
beau-père m'empêche de m'absenter. Je
tiens à vous prier d'être auprès du Congrès
l'interprète de mes vifs regrets.
Mon absence n'est pas une défection ni
une défaillance. Vous le savez, je suis fidèle
à la noble cause que vous plaidez et, plus
que jamais, j'estime qu'il est du devoir et
même de l'intérêt d'un pays civilisé d'éle–
ver la voix pour la défendre.
Le Sultan compte avec raison sur la di–
vision des gouvernements européens, mais
il ne faut pas que cette assurance aille jus–
qu'à lui permettre de compter sur une
impunité sans limites. Il n'ignore pas que
les gouvernements obéissent à l'opinion et
plus vous pourrez émouvoir cette opinion,
la pénétrer d'horreur pour les crimes de son
administration, plus il sentira la nécessité
de ménager ses infortunés sujets.
Le Congrès arménophile n'est donc pas
une vaine manifestation philanthropique.
Il est un avertissement nouveau et une me–
nace pour le Sultan.
,
Les gouvernements y trouveront aussi,
de leur côté, des indications précieuses et
soit des encouragements, soit même un
point d'appui qui les détermineront à exer–
cer à Constantinople le contrôle et l'inter–
vention que leur impose le plus élémentaire
respect des traités et de la conscience hu–
maine.
Croyez, cher Monsieur, à mes sentiments
de bien sincère et dévouée sympathie.
D ' E S T O U R N E L L E S D E C O N S T A N T ,
Délégué français
au Tribunal d'arbitrage de la Haye.
L E T T R E D U L I E U T E N A N T - C O L O N E L H . D E V I A L A R
Villa
St-Raphaël,
El Biar, le 8 juillet
igo2.
Cher Monsieur,
Vous n'ignorez pas que je suis invalide,
Je marche difficilement et j'ai de la peine,
comme vous pouvez en juger, à diriger ma
plume.
C'est bien pourquoi je ne suis pas entré
avec vous en relation directe et suivie, et
que n'ai pas prêté, comme je l'aurais voulu,
mon faible concours à l'œuvre saine et
bonne que vous avez entreprise.
J'ai vu de près les malheurs qui ont
frappé les pauvres Arméniens.
A la suite de journées terribles, j'ai rendu
visite à des héros d'entre eux, à Zcïtoun,
où la vue d'un uniforme français leur avait
donné quelque réconfort et quelque espoir.
—
Espoirs vains, hélas !
J'étais et je suis resté du côté des faibles
et des opprimés, et c'est pour leur donner
encore un témoignage de mes sympathies
que je vous prie d'inscrire mon nom sur la
liste des adhérents au Congrès des Arméno-
philes qui doit se tenir prochainement à
Bruxelles.
Henri de
V I A L A R ,
Ancien attaché militaire à Constantinople.
L E T T R E D E M . C L E M E N C E A U
Paris, iy juillet
igo2.
Cher ami,
Je regrette bien vivement de ne pouvoir as–
sister au Congrès arménophile de Bruxelles.
Permettez-moi d'exprimer une fois de plus
toute ma sympathie aux victimes du « Sul–
tan rouge », toute ma réprobation à ce
«
grand Assassin » et aux gouvernements
dits « civilisés» qui lui prêtent la compli–
cité de leur indifférence.
A vous bien cordialement, mon cher
ami.
C L E M E N C E A U .
L E T T R E D E M . G A B R I E L S E A I L L E S .
Bruxelles,
i5 juillet
rgo2.
Mon cher ami,
Je regrette vivement que mes obligations
professionnelles ne me permettent pas de
rester plus longtemps à Bruxelles. Vous
savez que je suis, du moins d'esprit et de
cœur, avec vous. Que dans le silence des
diplomates et des «guerriers», nous devions
protester contre le massacre d'un peuple,
c'estdequoi nous rendre modestes et dégon–
fler nos phrases sur l'Europe, sur les nations
civilisées, sur les progrès de la conscience
humaine. Qu'auprès des congrès de la paix
il y ait place pour un Congrès en faveur de
l'Arménie, j'en éprouve quelque surprise :
Je n'ignore pas qu'il est encore nécessaire de
déshonorer cette forme du meurtre qu'on
appelle la guerre ; pour ce qui est de l'assas–
sinat, je croyais que c'était fait depuis long–
temps.
Appelons le jour où il y aura des juges
pour tous les criminels et des asiles pour
tous les aliénés !
Gabriel
S É A I L L E S ,
,
Professeur à la Sorbonne.
D É P È C H E D U D O C T E U R
L A R D Y .
Genève, i
7
juillet.
Ayant durant 7 années vu « la Bête » à
l'œuvre, je fais des vœux sincères pour le
succès du Congrès et espère que l'heure de
justice sera avancée par vos travaux.
Docteur
L A R D Y ,
Directeur de l'ambulance de la Banque
Ottomane pendant la guerre turco-grecque.
L E T T R E D E M . G O T F R O I D
K U R T H .
Liège, le i3 juillet
igo2.
Très honoré Monsieur,
La session du Congrès arménophile coïn–
cide malheureusement avec celle du jury
des examens de l'Université de Liège où je
suis retenu tous les jours. C'est la raison
pour laquelle je ne me suis pas inscrit spon–
tanément au nombre des membres. Si je
puis m'atfranchir, ne fut-ce que pour une
journée, je ne manquerai pas d'être des
vôtres, mais je ne sais si je puis l'espérer.
Je n'ai pas besoin de vous dire que mon
dévouement est acquis sans réserve à la
cause sainte que vous défendez, et qui est
si lâchement abandonnée par toutes les
puissances.
Veuillez agréer, très honoré Monsieur,
l'expression de mes sentiments les plus dis–
tingués.
G O T F R O I D
K - U R T H ,
Professeur à l'Université de Liège.
L E T T R E D E M . F R A N C I S
S E Y M O U R
S T E V E N S O N .
Ce 16 juillet
igo2.
Cher Monsieur,
C'est avec beaucoup de regret que je me
trouve obligé de renoncer à l'idée d'assister
à la Conférence arménophile internationale
qui doit se r é u n i r a Bruxelles demain. Le
Parlement est en ce moment en pleine ses–
sion, des questions de haute importance s'y
discutent, et les raisons qui me retiennent à
Londres retiendront aussi, je crains, mes
collègues parlementaires.
Je tiens, toutefois, à vous prier d'expri–
mer à la Conférence, non seulement mes
regrets, mais aussi ma sympathie avec la
cause de l'Arménie souffrante et opprimée,
et à vous assurer que l'Association Anglo-
Arménienne et les Sociétés qui lui sont ou
alliées ou affiliées seront prêtes, comme
auparavant, lorsque la crise paraîtra exiger
leur coopération, à taire leur possible pour
influencer l'opinion publique chez nous et
la politique gouvernementale en faveur
d'une intervention, d'accord avec d'autres
puissances, ayant pour but l'exécution de
l'article 61 du traité de Berlin et l'améliora–
tion du sort des populations qui font par
de l'Empire Ottoman.
Fonds A.R.A.M