Arméniens, au sud-est du lac de Van, dans
le Kaïmakamat de Khizan. Les mudirs de ce
district sont des beys kurdes, comme Chariff
Khan bey, Kiarim Khan bey, Sadoullah bey.
Ce district ainsi que d'autres comme Gargar,
Khizan, Chinitzor, Guétzan, etc., sont confiés
au bon plaisir du chéïke Séïde Ali, et aucun
mudir et kaïmakam ne peut avoir une fonc–
tion sans son consentement ; tous les beys
sont les exécuteurs fidèles de ses volontés.
Les susdits beys après avoir perçu les im–
pôts avec la plus grande sévérité, en remet–
tent la moitié au gouvernement et en empo–
chent l'autre moitié.
Ce sont les Arméniens qui doivent faire
leurs semailles, bâtir leurs maisons, etc.,
etc. En hiver, ce sont les Arméniens qui doi–
vent garder tous leurs moutons par leurs
propres moyens, à condition de les leur re–
tourner au printemps. Si par quelque acci–
dent ou une maladie ou par une mort natu–
relle, i l y a quelque perte, le paysan est
obligé de payer deux midjidiés pour chaque
mouton. Des enlèvements de jeunes filles,
des viols de femmes sont tenus pour des
actes d'héroïsme et restent toujours impunis
dans tous les districts.
Le peuple sait bien que l'auteur principal
de toutes ces atrocités est Séïde Ali, mais le
peuple ne pense même pas à protester, car il
sait bien que même le gouvernement est
impuissant à faire quelque chose contre lui,
à cause de sa très grande popularité.
On écrit du district de Gargar :
Le
4
décembre
1901,
Husséïne, fils de Tou-
mo, du village de Gontosse et un des hommes
de Séïde Ali a blessé Garabcd Katchoyan du
village de Harghan, et le
16
décembre il tua
Sarkis du même village. Mihé, fils de M i -
ratog, du village de Pertak, a enlevé de son
lit, Markirid, fille de Khatcho du village de
Simpon. Séïde A l i envoie tous les mois ses
hommes à chaque village, et fait percevoir
une livre de chaque village.
On écrit de Chadakh
(1
er
février
1902) :
Le gouvernement, sans débourser un para,
lit construire au peuple une route de vingt-
quatre heures dans l'espace de quatre ans;
il fit transporter plus de cinq cents poutres
sur les épaules des habitants pour les fils
télégraphiques, entre Van et Chadakh ; il fit
bâtir un tribunal qui a coûté mille livres, et
tout cela aux frais de la population.
Les impôts sont perçus sévèrement ; le
peuple, incapable de gagner son pain, est
obligé, pour échapper aux coups et aux tor–
tures, de s'endetter et de vendre tout son
bien.
Le
4
mai
1901,
Moussa agha et Rachid agha
du village de Tzétzontz brûlent tout vif le
nommé Thadéos du même village, après lui
avoir attaché les mains et les pieds. Pendant
les massacres de
96,
le père de la victime,
Bédo, et ses frères avaient été tués, et Tha–
déos, lui, s'était sauvé à Van. Ces derniers
temps il retourne chez lui et s'aperçoit que
Moussa s'était emparé de leurs maisons et
des champs ; sur ses réclamations, Moussa
le chassa du village par des menaces. Tha–
déos s'adresse au Kaïmakan qui confie l'af–
faire au colonel Khalil, un parfait brigand.
Celui-ci remet à Thadéos une lettre officielle
scellée pour qu'il aille trouver lui-même
Moussa et l'amènera Chadagh. Thadéos sup–
plie et ne veut point partir, mais en vain ; à
la fin, découragé i l s'en va au village où i l a
été brûlé tout vivant. Le gouvernement em–
prisonna pour la forme, Moussn et Rachid
pendant environ trois mois ; il les relâcha
ensuite.
Ce même Bachid ayant éventré Ress Mikho
du même village, remplit son ventre de pou–
dre et y mettant le feu le fait crever, après
lui avoir coupé les oreilles, le nez et les par–
ties sexuelles. Ces bêtes féroces perçoivent
la dîme à leur volonté; les paysans sont
désespérés car leurs protestations restent
vaines.
Le
25
octobre
1901,
les tribus de Bohtan
du district de Segherd attaquent les villages
de Goridj et d'Ardjgan habités par des Sy–
riens et pillent tous leurs biens jusqu'à leur
mobilier. Les Syriens s'adressent au gouver–
nement qui leur réclame des impôts, au lieu
de travailler à leur restituer leurs biens. Des
milliers d'incidents arrivent journellement
partout, chaque jour, chaque instant, des
faits illicites sont commis partout.
¥ *
A Gardjghan, Yakoub, hamidié, de la tribu
Haladj, et son frère Zafar agha pillent le dis–
trict. Zafar agha au cours de ces quatre der–
nières années a fait embrasser l'islam par
force à deux Arméniennes. Ces derniers
temps aussi, il enlève par force Kino, bru de
Gonhar Ghazar du village de Sorfe, et après
lui avoir fait embrasser l'islam, l'épouse par
force. Des violences sont commises pour la
perception des impôts. Les Turcs et les
Kurdes ne pensent qu'à enlever des Armé–
niennes et leur faire embrasser l'islam ; Séïde
Ali, d'ailleurs, les y encourage.
Les hamidiés kurdes s'adonnent à toutes
les intrigues. Ils font toujours courir le bruit
que les fédaïs vont passer les frontières, et
ils veulent ainsi obliger le gouvernement à
leur donner de nouvelles armes et à en en–
voyer sur les frontières. Les chefs de ces
hamidiés sont, Charaff bey, Husséïne bey et
d'autres.
Le mois passé Charaff bey envoie en Perse
six Kurdes (dont deux Arméniens, devenus
Kurdes), qui habillés en fédaïs passent la
frontière vers Bachkalé. Leur but était de
.
tuer dans un combat simulé les deux Armé–
niens devenus Kurdes, qui n'étaient pas
encore circoncis ; iis voulaient ainsi faire
accroire partout qu'il y avait eu une attaque
des fédaïs.
D'un autre côté, deux à trois cents Kurdes
armés étaient préparés à attaquer Backhalé
pendant ce combat simulé. La bande des
faux fédaïs tire quelques coups de fusil du
haut de la forteresse en ruines de Bachkalé;
un colonel et quelques zaptiés tombent sou–
dain sur eux, qui prennent la fuite, quel–
ques-uns sont arrêtés et tout est dévoilé.
Les autres Kurdes se dispersent.
L'autre jour Ormanian avait envoyé une
dépêche ici. L'aratchnort communiqua cette
dépêche avec une circulaire aux conseils
ecclésiastiques des villages et des villes. Les
notables sont appelés et on leur conseille
que s'il se trouve des fugitifs dans leurs
quartiers, ils doivent en avertir le gouverne–
ment. Nous verrons comment tout cela pren–
dra fin.
L E T T R E D E S MY R N E
Fin Murs.
Je vous avais déjà écrit au sujet de l'impôt
sur les moutons; le gouvernement vient
d'entreprendre une série de nouveaux règle–
ments qui démontrent que le nouveau vizir
a recours successivement à de nouveaux
expédients pour enrichir le Trésor.
Vous n'ignorez pas sans doute qu'une
souscription générale a été ouverte parmi le
peuple turc pour la construction du chemin
de fer du Hedjaz; des sommes considérables
sont offertes pour cette entreprise. Le riche,
le pauvre, le commerçant, le fonctionnaire,
toujours, de tous côtés font pleuvoir de
fortes sommes à Constantinople, dans la
caisse insatiable de Hassan pacha, ministre
de la marine, homme d'une si triste renom–
mée. En commençant par les îles indiennes
jusqu'à Boukhara, la communauté musul–
mane participe avec joie par ses riches dons
à cette œuvre sacrée ; ces pauvres gens, les
naïfs, croient que tout va être bientôt
achevé, et que leur lieu saint de pèlerinage
deviendra ainsi un rendez-vous de plus larges
relations et rassemblements ; Hassan pacha,
de son côté, en sa qualité de président de
la haute commission qui doit surveiller la
construction du chemin de fer, empoche
toutes les sommes considérables, selon sa
vertueuse habitude qu'il a de grossir sa
bourse personnelle. Et maintenant, que les
Turcs, les Islams, envoient sans cesse à
Constantinople, tous leurs riches dons, à qui
mieux mieux, pour exprimer leurs sentiments
religieux; qu'ils rêvent que la Patrie sacrée
du Grand Prophète verra tout prochainement
le « kara vapor » (littéralement « navire de
terre », signifie chemin de fer), inventé par
le ghiaour ; lesJiauts fonctionnaires de leur
côté, accompliront leur devoir sacré, qui est
d'avaler toutes ces sommes amassées. Quel
moyen facile pour créer une source de
revenus !
Avant le Bayram, le gouvernement avait
déclaré dans ses journaux que les peaux des
moutons égorgés seraient vendues aux en–
chères, et que le prix en serait employé
pour la construction du chemin de fer; à
cette occasion, en faisant appel à l'ardeur
religieuse du peuple musulman, il leur con–
seillait, sous une forme à demi obligatoire,
que chaque individu devrait accomplir son
devoir sacré, en égorgeant un mouton et en
offrant la peau à l'entreprise sacrée du
chemin de Hidjaz, qui commence à être
construit. Grâce à cet arrangement, le gou–
vernement réunira aussi une somme assez
rondelette, surtout qu'il a fait annoncer
dans ses journaux que les moutons sont à
Fonds A.R.A.M