poir, se firent en niasse musulmans, et dans
la nuit du jeudi d'innombrables drapeaux
blancs flottèrent sur le quartier des chrétiens.
Là-dessus, le gouvernement refusa de pren–
dre acte de leur conversion et continua à
exiger la livraison des armes.
A ce moment-là, on présenta aux chefs des
diverses confessions et même à quelques
étrangers, pour le faire signer, un écrit di–
sant que les Arméniens avaient attaqué le
poste et tiré sur lui, tué des musulmans et
des zaptiés, et résisté aux troupes du gou–
vernement au moyen d'armes à feu moder–
nes. Cet écrit fut probablement envoyé au
gouvernement central à Constantinople. Le
12
octobre, quinze notables Arméniens fu–
rent appelés au palais du gouverneur. On
leur demanda ce que signiiiait cette attitude
rebelle ; ils devaient livrer immédiatement
1,800
martinis,
100
revolvers et plus de dix
hommes, choisis dans une liste de
120,
censés impliqués dans l'attaque du poste du
27
octobre. Le chef des troupes, Nazif-Pacha,
leur parla avec sévérité, disant qu'il avait
été en Bulgarie en
1876
et qu'il savait com–
ment i l faut traiter les rayas rebelles.
Les Arméniens livrèrent aussitôt les dix
personnes demandées, nièrent d'avoir des
martinis, proposèrent de rassembler et de
céder toutes les armes qu'ils possédaient, et
se mirent aussitôt en devoir de le faire. Les
pourparlers pour la livraison des armes du–
rèrent quelques semaines ; le gouverneur,
après avoir reçu toutes celles que possé–
daient les Arméniens, persistait à réclamer
sans cesse à nouveau la livraison des mar–
tinis et donnait même à entendre aux Armé–
niens qu'à défaut de fusils, ils avaient de
l'argent pour en acheter. Ils achetèrent, en
effet, des revolvers et d'autres armes à des
amis turcs et à des chrétiens non arméniens,
pour les livrer aux Turcs. Dans leur déses–
poir, ils essayèrent de faire cesser les perpé–
tuelles réclamations d'armes en donnant de
grosses sommes d'argent au moutessarif, au
commandant Nazif-pacha et à d'autres mu–
sulmans. Ils tentèrent aussi de satisfaire de
la même façon leurs soi-disant protecteurs
les réservistes.
Le 3o novembre, ils avaient réuni
240
ar–
mes, pour la plupart de vieux fusils, des pis–
tolets, des poignards, et environ i5 revolvers,
Le même jour, Miss Shattuck, missionnaire,
demanda un permis de voyage et une es–
corte jusqu'à Aïntab. Le permis lui fut ac–
cordé le
28
décembre seulement, une heure
avant le grand massacre.
Le
I
ER
décembre, la populace attaqua de
nouveau le quartier arménien à coups de feu.
Elle fut tenue en respect par le gouverne–
ment. Le 3 décembre,
600
armes de toute
espèce avaient été livrées ; néanmoins le
moutessarif et le commandant renouvelèrent
leurs demandes. Les Arméniens éprouvèrent
dès lors toutes les horreurs d'un siège en
règle. Ils eurent beau corrompre leurs gar–
diens pour se faire apporter des vivres, soi-
disant destinés aux soldats ; ils eurent beau
faire couler à nouveau de vieilles fontaines,
abandonnées depuis bien des années : malgré
tout, leurs provisions de vivres et d'eau
s'épuisaient; des bêtes de somme, valant
plusieurs livres, se vendaient pour autant de
shillings.
A ce moment, ils résolurent de tenter un
effort désespéré pour communiquer avec
Alep. Ils écrivirent un exposé de leur situa–
tion sur un morceau d'étoffe, le fixèrent, en
le cousant, dans la doublure d'un de ces
longs manteaux que l'on porte dans le pays,
mirent ce vêtement sur les épaules d'un
paysan arménien peu propre à exciter l'at–
tention ou la cupidité des Kurdes vaga–
bonds, et envoyèrent ce messager, de nuit,
par un chemin peu fréquenté, en lui promet–
tant une forte récompense, s'il réussissait. Il
fut pris. On lui vola le vêtement qui portait
le message.
Le i3 décembre, le commandant des trou–
pes, sous prétexte que la tranquillité était
complètement rétablie, ordonna aux quel–
ques Arméniens dont les bureaux ou les ma–
gasins, les boulangeries, par exemple, étaient
encore utilisables, de venir en ville et de re–
prendre leur travail. Ils le firent, furent atta–
qués et blessés, et retournèrent en toute hâte
dans leur quartier. Le commandant les força
de nouveau à se rendre à leur travail. Sous
la garde des cavaliers, ils durent se livrer à
leurs occupations dans des conditions horri–
blement angoissantes. Le gouvernement
força alors vingt-cinq notables arméniens à
signer un télégramme adressé à Constanti–
nople, disant que la paix avait été troublée
par la conduite irrégulière de quelques Ar–
méniens, mais qu'ensuite des efforts des
autorités locales la ' tranquillité était com–
plètement rétablie. Les autorités assuraient
aux Arméniens qu'ils n'avaient rien à crain–
dre, que le gouvernement allait désarmer les
musulmans. Les Arméniens avaient jusqu'a–
lors livré
1
,200
armes de toute espèce, dont
quelques revolvers et un martini ; un grand
nombre de ces armes avaient été achetées
pour satisfaire aux perpétuelles réquisitions
des autorités. Malgré tout, des bruits de
massacre circulaient ; des Turcs bienveil–
lants avaient fait dire à des Arméniens de
se tenir sur leur garde, et l'on avait conseillé
aux chrétiens non arméniens de porter par
précaution un turban noir.
Enfin, le samedi
28
décembre, un capi–
taine de gendarmerie vint informer Miss
Shattuck qu'elle pouvait partir pour Aïntab,
puisque tout était tranquille. Il alla ensuite à
la cathédrale où l'assemblée nationale armé–
nienne était réunie et venait d'envoyer un
•
message au moutessarif pour appeler son
attention sur les motifs de crainte, et im–
plorer sa protection. Le capitaine donna, de
la part du gouvernement, l'assurance qu'au–
cun désordre ne se produirait. A peine avait-
il quitté la cathédrale que l'orage éclata. Le
massacre général des
28
et
29
décembre avait
commencé. Le samedi matin, le commandant
des troupes avait fait dire aux chrétiens non
arméniens de se rassembler dans leurs
églises, de ne pas les quitter et de ne donner
asile à aucun Arménien, à quelque condition
que ce fût.
La troupe, avec un peu de police à cheval,
s'était placée sur une colline au penchant de
laquelle est bâti le quartier arménien, et se
pressait vers les issues principales du quar–
tier. Derrière se trouvait la populace armée ;
sur les minarets se pressaient des musul–
mans, accourus sans doute pour assister à
un événement annoncé; les femmes turques
s'étaient aussi placées en foule sur les toits
et sur les glacis de la forteresse qui domine
le quartier arménien. Entre
11
heures et
midi, des flots de musulmans armés se ré–
pandirent dans la même direction, excités
par leurs femmes. Elles poussaient
lezilghit,
un cri guttural particulier et bien connu,
dont les femmes orientales se servent pour
encourager les combattants. Vers midi, la
prière ne fut récitée que du haut d'un seul
minaret ; du sommet de la citadelle, au-des–
sus du quartier arménien, on donna un si–
gnal avec un verre brillant, en forme de
croissant; à l'autre bout du quartier, un
mollah arbora sur un minaret un drapeau
vert.
Quelques coups de feu furent tirés. L a
trompette, retentissant au milieu des sol–
dats, donna le signal de l'attaque. On vit la
troupe ouvrir les rangs pour laisser passer
la populace placée jusque-là derrière elle.
Aussitôt populace et soldats se précipitèrent
dans le quartier arménien et commencèrent
une boucherie générale de tous les habitants
mâles adultes.
(
A suivre.)
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