du pays, elles ne pouvaient confier au gou–
vernement ottoman la question des intérêts
de leurs sujets respectifs; mais qu'elles-
mêmes étaient chargées de ce soin, en pre–
nant sous leur protection la question des
intérêts de leurs sujets. Hagop-pacha, en
habile financier, avait, certes, eu raison de
faire une telle proposition juste, en exigeant
que tous les commerçants habitant les pays
de l'empire ottoman fussent soumis au droit
de patente, mais les Puissances aussi de leur
côté, avaient naturellement raison, vu l'in–
sécurité du pays, de protéger les intérêts de
leurs sujets respectifs; aussi cette proposition
fut-elle rejetée à cette époque-là. Hagop-
pacha, ne pouvant faire réussir son projet
contre la force, avait tenté d'exiger le droit
de patente des sujets des Puissances secon–
daires (grecs, serbes, bulgares, roumains, etc.)
mais ces dernières, à leur tour, faisant la
même objection, avaient refusé d'accéder.
Sous Saïd-pacha, la même question est
remise sur le tapis ; aussi des sévices sont
commis ici sur des sujets hellènes à propos
du droit de patente ; la question n'est pas
encore réglée, elle est encore en suspens sur
le terrain officiel; mais le gouvernement, par
des machinations secrètes, continue la per–
ception soit aux environs de Smyrne, dans
les localités où habitent des sujets hellènes,
soit dans les quartiers retirés de la ville.
III
Fin mars.
Je m'empresse de vous communiquer les
graves et intéressantes informations sui–
vantes :
On nous apprend de Marzouan, qu'au mois
de février la population d'Asie-Mineure a eu
à éviter un terrible danger. Le gouverneur
de Sivas envoie un ordre de massacre géné–
ral dans toutes les villes qui sont de son
ressort. Le kaïmakam de Havtcha demande
l'avis de l'autorité centrale au sujet de cet
ordre. Le gouvernement central envoie aus–
sitôt des instructions à tous les militaires
pour empêcher l'exécution de cet ordre et
protéger le peuple arménien. La population
de la ville, ignorante de ce qui se passait,
fut Saisie soudain d'épouvante en voyant les
soldats cerner la ville. Nous sommes heu–
reux de vous dire qu'aucun incident n'a eu
lieu, l'autorité centrale, semble-t-il, n'avait
eu aucune connaissance de ce projet qui
avait été élaboré uniquement par le gouver–
neur de Sivas et par le commandant du ré–
giment. Nous apprenons que ces deux hauts
fonctionnaires furent aussitôt empoisonnés
par ordre supérieur ; leur mort ne donne lieu
à aucun doute. Dans tout le vilayet, la ter–
reur et l'épouvante régnent, quoiqu'il n'existe
plus aucun danger ; par contre le commerce
est dans un état stationnaire, qui s'aggrave
de jour en jour.
Cette information est absolument d'une
source authentique, car je la tiens d'une
personne de confiance. Ce qui est étonnant,
c'est que nous avons seulement reçu, un
mois et demi après, la nouvelle d'un inci–
dent si important. Il est vrai que les jour–
naux turcs avaient parlé de l'envoi d'un
nouveau gouverneur à Sivas, mais la nomi–
nation de ce nouveau vali n'avait éveillé en
nous aucun soupçon, mais cela confirme
maintenant pour nous l'authenticité de la
nouvelle que nous donne notre correspon–
dant à Marzouan.
Quelle terrible situation ! c'est grâce à la
bienveillance d'un kaïmakam qu'une pro–
vince entière, peuplée d'Arméniens, échappe
au terrible danger du massacre ; combien
est pénible la situation de notre malheu–
reux peuple, à quelles mains est confié son
sort! La vie de milliers de personnes dé–
pend du bon plaisir de fonctionnaires
comme le vali de Sivas. Ne faut-il pas en–
vier le soi't, du peuple de Sivas, qui mérita
l'intervention d'un fonctionnaire sage comme
ls kaïmakam de Havtcha. Plût à Dieu que
dans d'autres endroits aussi se fussent trou–
vés do tels fonctionnaires, cela aurait évité
une série de désordres, des massacres, des
destructions. C'est encore une chance aussi,
que le gouvernement central actuel soit
momentanément si bien disposé pour nous.
Certes, cette disposition favorable n'est
qu'accidentelle et de même obligatoire par
la volonté des circonstances.
Tous les jours arrivent ici des environs,
des soldats de réserve, de tout âge et de
toute condition; ils sont successivement en–
voyés à Salonique en hâte. Le bruit court
que la situation est mauvaise en Albanie et
en Macédoine, des rencontres sanglantes,
des luttes y auraient lieu. De tous côtés on
réunit des réserves de soldats. On dit que
30,000
soldats seront envoyés prochaine–
ment. Le gouvernement turc prendra une
attitude très sévère, semble-t-il, et s'efforcera
de noyer dans le sang les voix de protesta–
tion, car ses ordres sont très laconiques et
sévères et ses préparatifs sérieux.
— 11
y a quelques jours, des policiers turcs
se tenaient devant tes portes des écoles
étrangères du lieu, pour connaître les Turcs
qui envoyaient leurs enfants à ces écoles
étrangères.
L I R E
Précis Populaire d'Hygiène Pratique
Par le D
1
'
A . - F . P L I Q U E
(
Librairie Pion).
L ' A F F A I R E
D ' A R M A V I R
Des informations récentes ont lait
connaître que dans le village d ' Arma v i r ,
province de Kouban , des rixes graves
avaient éclaté entre Arméniens et
Russes.
V o i c i très probablement quelle est
la cause originelle de ces événements.
L e village d ' Arma v i r est situé sur les
rives du fleuve Goupan , dans la p r o –
vince de Goupan . I l a été fondé en 1845
par les Arméniens du Caucase septen–
trional.
A l'époque où les Russes n'avaient
pas encore conquis le Caucase septen-
tentrional ainsi que les parties des ter–
ritoires qui s'étendent jusqu'à l a mer
No i r e , plusieurs peuplades indépen–
dantes, au nombre de 36, y habitaient;
à cette époque, les Arméniens vivaient
avec les Ci r cas s i ens . Ces Arméniens
exportaient la cire, le mi e l , des four–
rures et imjiortaient des armes, des
vêtements, du sel. L e s Circassiens v i –
vaient en très bonne intelligence avec
les Arméniens qu i , d'ailleurs, étaient
considérés comme les plus civilisés
pa rmi les races barbares. L e s Armé –
niens, tout en restant chrétiens, épou–
saient des Circassiennes et avaient
adopté peu à peu les habitudes, les
mœurs, la langue des Circassiens.
Quand au mi l i eu du x i x
e
siècle, l a
lutte entre les Russes et les mon t a –
gnards prit une grande extension, la
situation des Arméniens montagnards
changea aus s i .
Comme partout ailleurs, les Armé–
niens chrétiens se mirent du côté des
chrétiens russes. Ils furent obligés de
quitter leurs montagnes natales et les
Circassiens dont plusieurs étaient leurs
parents. L e gouvernement russe v ou –
lant profiter de la force militaire des
Arméniens leur donna des terrains
situés sur les rives du Goupan , sur les
frontières russo-circassiennes d'alors.
Les Arméniens se réunirent et y f on –
dèrent un village qu'ils appelèrent
A rma v i r du nom de l'une des capitales
de l'ancienne Arménie.
E n cavaliers habiles, et braves guer–
riers qu'ils étaient, les Arméniens ont
rendu les plus grands services aux
Russes. E n revanche, le gouvernement
russe avait une bonne attitude envers
les Arméniens d ' A rma v i r . Ma i s , plus
tard, les relations amicales cessèrent
pour deux causes différentes.
Quand se posa la question de la
russification des petites nations, le
gouvernement commença à ne conférer
aucune fonction à ceux qui n'étaient
pas orthodoxes et russes, ou à les ré–
voquer et comme conséquence de cette
politique, les écoles primaires furent
fermées : d'où mécontentement général
de tous les Arméniens.
Particulièrement, à A rma v i r , à tout
cela fut ajouté une autre circonstance
qui avait un caractère l o c a l .
Quand A rma v i r fut fondé en 1845 et
que les Arméniens s'établirent sur les
rives du Goupan , vis-à-vis des C i r c a s -
Fonds A.R.A.M