obligent aujourd'hui ces sujets hellènes à
payer des taxes. Tout le monde s'en étonne,
car aucun sujet étranger, ne paye, en Tur–
quie le droit de patente, et maintenant, à
Smyrne, le gouvernement impose aux sujets
hellènes de tels impôts.
Nous ne savons pas encore au juste si le
gouvernement imposera, dans d'autres loca–
lités le même droit de patente aux sujets
hellènes. Ce qui est évident, c'est que beau–
coup de Grecs, sujets hellènes, se virent
obligés de payer pour échapper à la ven–
geance du gouvernement. -Malheur à ceux
qui sont des sujets étrangers et ont un gou–
vernement i'aible qui ne peut protéger ses
intérêts, ils sont obligés de graisser la patte
habituellement et à ce prix seulement ils ont
leur liberté. Ceux des Grecs, sujets hellènes,
qui veulent construire ou réparer leurs bou–
tiques et leurs maisons, rencontrent mille
difficultés ; on ne leur délivre pas de permis
et les pauvres gens subissent ainsi des pré–
judices; les protestations de leur consulat
n'ont aucune influence et ils se voient ainsi
obligés 'de payer les droits pour ne pas
rester dans une situation plus précaire.
Ce sont surtout les pauvres, les artisans
grecs qui se trouvent les plus gênés par ce
nouveau droit. Ils ne veulent pas payer, ils
résistent, le gouvernement les arrête et les
conduit par force en prison. Le gouverne–
ment réussit surtout dans les coins retirés ;
il ne peut pas montrer la même exigence en
plein marché; i l s'approche avec plus de po–
litesse des commerçants hellènes qui ont
jusqu'ici refusé de payer.
La semaine dernière 4,500 Grecs, s'adres–
sent à leur consulat et l'ont une protestation
collective contre l'attitude prise par le gou–
vernement. Le consul se met à leur tête et
s'en va au palais du gouverneur; celui-ci
parle au peuple par la fenêtre et veut calmer
les esprits en disant que la perception sera
ajournée jusqu'à ce que des instructions
arrivent de Constantinople. Le consul grec
reste auprès du gouverneur assez longtemps,
et après l'avoir quitté, vient déclarer aux
Grecs qu'ils, ne doivent rien payer sans que
le consulat les y autorise. Quelques jours
après, le gouvernement recommença la per–
ception et les Grecs s'adressent de nouveau
au consulat pour connaître l'avis du consul.
Ce dernier leur déclare de nouveau qu'ils
ne doivent rien payer et que le gouverne–
ment peut les emprisonner par force, mais
que lui aussi il attend des instructions, qu'ils
doivent attendre l'avis officiel dans les jour–
naux du lieu et qu'à défaut de cet avis offi–
ciel, ils doivent persister à ne rien payer. Ce
qu'ils firent aussi. Ces jours-ci le méconten–
tement est général parmi les Grecs; partout
c'est le même sujet de conversation, dans
les cafés, dans la rue, dans les maisons.
«
Nous voulons bien payer, disent-ils, mais
pourquoi le gouvernement ne défend-il pas
nos intérêts, les intérêts de la communauté,
les intérêts commerciaux? Puisqu'il n'y a au–
cune sécurité même en plein jour, des vols,
des assassinats sont impunément commis
dans les rues, pourquoi alors payer des
droits à un gouvernement qui ne veut, qui
ne peut défendre les intérêts du peuple
contre les voleurs et les brigands? Dans les
autres pays, tout le monde paye, mais les
gouvernements aussi y protègent les intérêts
communs. »
Voyons à quoi tout cela va aboutir; je vous
écrirai pour une autre fois, au sujet de l'in–
sécurité à Smyrne.
11
26/11
mars 1 g 0 2.
Dans ma précédente lettre, je vous avais
promis de vous écrire au sujet de l'insécurité
à Smyrne et aux environs; remettant aujour–
d'hui cette matière à une autrefois, je me
hàtc de vous envoyer des renseignements
plus intéressants et curieux.
Le gouvernement turc, depuis de longues
années, percevait l'aghnam (impôt sur les
moutons), à partir du 1er mars. C'est un fait
connu par tout le monde; tous les pay
r
sans
payaient
l'aghnam,
jusqu'ici, après le mois
de mars. Et voilà qu'aujourd'hui, le gouver–
nement turc perd cette habitude et com–
mence la perception dès le 1
er
février. Plu–
sieurs s'étonneront peut-être en pensant
qu'un mois d'avance ou de retard ne peut
pas causer un préjudice aux paysans ou aux
propriétaires de moutons. Mais voici la pen–
sée directrice de cette nouveauté.
La perception de l'impôt sur les moutons
commençant le I
e1
'
mars, durait pendant trois
mois, c'est-à-dire jusqu'à la fin de mai. La
fête de « Kourban bayram » des Turcs com–
mence cette année le 7 mars, c'est-à-dire
dans les premiers jours de la perception de
l'impôt sur les moutons. Quand vous saurez
que chaque famille musulmane est obligée
d'égorger un mouton, et que vous apprendrez
que le gouvernement en percevant l'impôt
annuel sur les moutons, l'ait payer 31/2-41/2
piastres par mouton, vous en conclurez
facilement que si la perception avait com–
mencé après le « bayram », le gouvernement
aurait perdu des sommes énormes. Aussi,
pour éviter ce préjudice, le grand vizir Sai'd-
pacha, cjui aime tant l'économie, a eu recours
à ce moyen si simple. Si vous prenez en
considération le nombre de moutons égorgés
dans les quatre jours de Kourban-bagram,
dans un pays qui compte près de 20 millions
musulmans, vous comprendrez aussi facile–
ment que cette « nouveauté financière » fera
entrer une somme assez rondelette dans le
Trésor impérial central dont la détresse est
connue depuis longtemps.
L'autorité centrale
doit avoir eu des motifs
sérieux
pour recourir à ce moyen, car il n'y
avait pas de doute que les musulmans ne
seraient pas contents de cette nouveauté. Et
voilà que les mécontentements ont déjà
conimeucé partout;
ees gens
malintentionnés
disent que le gouvernement est dans une
mauvaise situation financière, que le 'trésor
serait, une fois encore, tout à fait vide et que
le gouvernement aurait beaucoup à réflé–
chir. Nous qui n'ajoutons pas foi aux mau–
vaises langues, nous-mêmes nous sommes
inquiets en prenant en considération l'em–
barras du gouvernement.
Ce n'est pas seulement la question de l'im–
pôt sur les moutons qui donne lieu au mé–
contentement pour le peuple musulman.
Cette année la perception de tous les impôts
a été très sévère; dans toute FAsie-Mineure,
les abus commis dans les procédés de per–
ception des impôts ont donné lieu à des
plaintes, à des protestations. Ce n'est pas
seulement l'élément chrétien qui gémit sous
le poids insupportable de ces impôts et s'en
plaint; aujourd'hui, les percepteurs obéissant
aux instructions centrales et en partie à leurs
instincts sauvages, mettent en œuvre tous
les procédés barbares pour la perception.
L'emprisonnement, la vente aux enchères,
les coups sont devenus des faits habituels
pour 1B perception dont la population chré–
tienne ou musulmane, souffre dans toutes
les circonscriptions de l'Asie Mineure.
La misère est extrême parmi les habitants
des villages et des villes. Une série illimitée
de fonctionnaires, ignorants, sans cons–
cience, barbares et affamés, restés sans rému–
nération el sans appointements font ce qui
bon leur semble. Le gouvernement habille
seulement le soldat et les policiers et ne
s'occupe pas du reste. Le gouvernement sait
très bien que ces gens ne touchant pas d'ar–
gent de lui doivent vivre par des moyens
illicites, puisque lui-même, quand sa popu–
lation a à se plaindre
de ses auxiliaires,
il les
protège,
en
faisant taire et châtiant
les mau–
vaises langues
et ceux
qui prolestent
injuste–
ment.
Quand je vous enverrai ma correspondance
sous
le
titre «
VInsécurité
à Smyrne »,
vous
serez persuadés cju'à Smyrne, qui est la ville
la plus commerçante et la plus peuplée après
Constantinople, le rôle joué par le gouverne–
ment est non moins triste.
Le gouvernement central prenant en con–
sidération la crise financière, envoie des
instructions à droite et à gauche pour se
procurer de l'argent. La question du droit de
patente réclamé par le gouvernement des
sujets hellènes s'ajoute à la nouveauté de
l'impôt sur les moutons. Je vous avais déjà
écrit à ce sujet dans ma précédente lettre.
Ce n'est pas d'ailleurs une question nou–
velle; le gouvernement turc agita à diffé–
rentes reprises cette question, et à chaque
fois, ayant rencontré une résistance, l'inci–
dent fut ainsi clos. Il serait peuUêtre intéres–
sant de vous faire connaître les phases de
l'histoire de cette question.
E n 1889, alors que Kiamil-pacha était
grand-vizir, et Hagop-pacha, ministre des
finances, la question de la patente fut mise
sur le tapis. Hagop-pacha était un habile
financier; aussitôt nommé à son poste si
élevé, i l ne tarda pas à s'apercevoir que le
gouvernement était pillé par tous, petits ou
grands. C'est grâce à l'estime qu'il avait
gagnée auprès de son souverain, et à sa
volonté énergique, qu'il put éloigner de son
ministère les brigands attitrés et les petits
pillards protégés ; le l'ait est connu par tout
le monde en Turquie : mais Hagop-pacha l'ut
victime de son honnêteté financière et fut
écarté par ses adversaires. Hagop-pacha,
dans le but d'enrichir le Trésor impérial,
avait exigé le droit de patente de tous les
sujets étrangers. Les grandes puissances
avaient refusé en objectant que n'ayant au–
cune garantie pour la sécurité du commerce
Fonds A.R.A.M