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dance : i l s'était acquis, pa rmi la clique
du Pa l a i s , grâce à des libéralités i n t e l –
ligentes, d'utiles amitiés. Il ne tardera
pas à rentrer dans ses débours au
dépens des Arméniens de Diarbékir.
Seul l'ambassadeur anglais a r ap –
pelé à la Sub l ime - Po r t e les antécé–
dents de Fa i k Pa cha ; les autres am –
bassadeurs se sont abstenus de toute
protestation, jugeant qu ' i l ne servirait
à rien d'intervenir, pu i squ ' i l s ont en
vain réclamé contre le maintien à son
poste d'Enès Pa c ha , va l i d ' Al ep .
En i s - Pa c ha , l'auteur des massacres
de Diarbékir —
trente mille morts dans
la ville et les villages
environnants,
selon le témoignage de M . Me y r i e r ,
consul de France — fut nommé à A l e p ,
après un court séjour à Constanti–
nople. Depuis c i nq ans, les membres
du corps consulaire refusent d'avoir
avec l u i aucune relation officielle.
Ma i s ce boycottage de pure forme ne
le saurait autrement contrarier n i d i s –
traire de son travail méthodique.
Il fut cependant dérangé naguère,
au moment où i l avait préparé un mas –
sacre à Aïntab : le projet fut connu à
temps et l'apparition de quelques ba –
teaux de guerre français sur les côtes
de C i l i c i e , l u i donna à réfléchir.
Il s'avisa alors d'un autre expédient
et avec quelques usuriers lit l ' ac capa –
rement du blé : le même système ap –
pliqué à Va n , voilà cinq ans, avait p r o –
voqué une famine effroyable. Le s habi–
tants d ' Al ep ne se sont point laissé
faire : i l s ont protesté, ils ont pille les
boulangeries et i l a fallu l'intervention
de la force militaire commandée par
A l i - P a c h a pour les réduire au calme.
L e v a l i de B i t l i s , Husn i - bey , agit en
digne collègue de Kh a l i d , de F a i k et
d ' En i s . C'est surtout du côté de Segherd
qu ' i l porte son effort et i l ne serait
point extraordinaire que l ' on reçût de
là la nouvelle d'une importante tuerie.
L e s Ku r de s disent qu'un firman du
Sultan invite au massacre des Armé–
niens, comme en 1895 et 1896 et le
grand Cheik de Segherd a rendu un
fetwa disant que tous ceux qu i retour–
nent au christianisme après avoir
accepté l ' i s l am, doivent payer de leur
vie cet acte de félonie. Dans le village
de Bera, les Kurde s en ont profité pour
commettre diverses violences. A Se –
gherd même, en plein bazar, à mi d i ,
un jeune Ku r de a frappé de quatre
coups de poignard et laissé mort sur
P B O A B M E N I A
place un vieillard de 95 ans, Mi nas
Hamasdjan.
L e s subordonnés
de
Husn i - be y qu i ont eu connaissance du
fait, se sont gardés d'inquiéter le jeune
Ku r d e : c e l u i - c i n'avait-il pas ac comp l i
un action agréable à leur maître et à
Hami d effendi, maître de leur maître ?
A i n s i par les choix récents, par le
maintien à leur poste des pires c r i m i –
nels, par l'invitation directe au meurtre
comme en 1895, le Sultan annonce
assez clairement qu ' i l veut reprendre
et parfaire l'œuvre inachevée.
C'est maintenant l'époque où en gé–
néral ses auxiliaires commencent les
tueries : de J u i n à Novembre les routes
sont libres sur les hauts plateaux,
libres pour les égorgeurs hamidiés,
même pour les Arméniens à qu i , en
toute saison, i l est interdit de circuler.
Ne se trouvera-t-il pas en Eur ope ,
un gouvernement assez humain pour
empêcher le Sultan de commettre de
nouveaux crimes?
P I E R R E Q U I L L A R D ,
LIRE
d a n s l e T E M P S d u 25 M a i 1 9 0 2
ARMÉN I E
LETTRES
L E T T R E D E S F R O N T I È R E S
T U R C O - P E R S A N E S
-2 1
janvier
igo2.
En Turquie le régime et la l o i sont tels
que chacun, homme ou femme, doit avoir
sa part de coups, d'insultes, de bastonnades,
et enfin recevoir la balle de fusil qui met fin
à la vie sans faire souffrir.
Jusqu'ici, les routes internationales étaient
en partie en sécurité, entre autres celles
qui conduisent en Perse. L a caravane qu i ,
partie de Trébizonde arrivait en Perse en
sûreté et sans inquiétude, est aujourd'hui
dans la plus grande insécurité. Le mois
passé, les chefs de caravane ont perdu douze
charges de marchandises, dont sept consis–
taient en tapis et châles persans ; ils furent
pillés une première fois par des brigands
dans la région qui s'étend entre Erzeroum
et Trébizonde ; les cinq autres charges qui
consistaient en raisin sec furent enlevées
aux environs de Bayazid. Les chefs de cara–
vane s'en allèrent se plaindre, pour ce der–
nier vol, au mutessarif du lieu, Mehmed
pacha, frère de Zéki pacha d'une si triste
renommée ; le pacha leur dit sans hésiter :
«
Je leur (aux brigands) avais recommandé
de m'apporter des balles de soieries et de
tapis; ils se sont mépris et ils m'ont apporté
du raisin sec ><. Les chefs de caravane se
retournèrent tristes et tête baissée.
Dernièrement on a fait aussi un nouveau
règlement; aussitôt que la caravane arrive
quelque part, elle est environnée par les
soldais turcs réguliers. Ceux-ci réclament
aux cheis de caravane de leur donner satis–
faction se disant leurs protecteurs et gar–
diens ; dans le cas contraire, ces soldats iont
ce qu'ils veulent ; le pauvre chef de caravane
ne sait comment contenter tout ce inonde;
il est déjà dépouillé avant d'arriver en Perse.
Il y a une semaine, un chef de caravane,
sujet russe, aux environs du village de
Ghozla (Alachgerd) lutte, fusil à la ma i n ,
contre les soldats : les chefs de caravane,
sujets russes portent quelquefois des armes ;
ils peuvent se défendre à peine contre ces
brigands; à la fin ils se voient obligés de
leur donner ce qu'ils réclament, et arrivent
à se sauver. Jusqu'ici c'étaient des Kurdes
qui s'adonnaient au brigandage; aujour–
d'hui, les soldats les ont remplacés.
Les émigrés.
Le iroid et l'hiver, la ter–
reur et l'épouvante, ne peuvent pas lier le
pauvre émigré qui, désespéré quitte le foyer
paternel et sa famille. Sans protection et
sans maître, les émigrés quittent leur pays,
changé en enfer, et, bâton à la main, ils
voyagent à travers monts et vallées, eux-
mêmes ne sachant où ils doivent aller; si
nous arrivons en Russie, disent-ils, nous
sommes sauvés. Ils ignorent les difficultés
du voyage, ils errent pendant defls mois e n –
tiers dans des villages, sur les montagnes
et dans les vallées; Dieu seul sait en quel
état ils sont réduits a la fin.
Il y a environ trois mois, des émigrés par–
tis des environs de Moghan et de Kaval,
prennent le chemin de la Russie. Après un
long voyage pénible, ils arrivent aux fron–
tières russes ; ils étaient au nombre de 42,
parmi lesquels se trouvaient aussi une jeune
fille. A peine avaient-ils mis le pied aux
frontières russes, qu'ils furent arrêtés; déjà
la plupart souffraient horriblement du froid ;
plusieurs s'étaient égarés et d'autres blessés
et boiteux furent retenus par les soldats
gardiens. Quarante jours environ se passent
ainsi, et les soldats les conduisent à la fin
en dehors des frontières. Ils continuent leur
chemin, ils sont attaqués pendant leur voyage
par des Kurdes, sujets persans; ils sont pillés
et dépouillés et les soldats russes, simples
spectateurs, les regardent en riant. A i n s i ,
les pauvres émigrés, déçus et découragés,
se réfugient au couvent de Sourpe Thadé,
les mains et les pieds engourdis par le froid,
nus et souffrants. Cinq seulement parmi eux
furent gardés dans les casernes russes pour
être soignés. On dirige les autres émigrés
vers la Perse.
L E T T R E S D E S M Y R N E
I
8
mars
igo2.
Ces derniers temps, le gouvernement turc
opprime les Grecs et exige d'eux sévèrement
le droit de patente. Il faut remarquer que
les 2/3 de la population à Smyrne sont des
Grecs et la majorité est composée de sujets
hellènes. Or, les autorités turques locales
Fonds A.R.A.M